Harold Allen Ratcliffe Calais 24 avril 1921 - Dachau 4 juin 1945
un destin tragique dans la 2è guerre mondiale

Lors du rapatriement de déportés à Calais en 1947, dans la presse locale (Nord Eclair) le rédacteur en chef Robert Chaussois, lequel a écrit plusieurs livres sur Calais pendant la guerre 1939-1945 a relaté les événements concernant Allen Ratcliffe déporté à Dachau et ceux de ses parents mon oncle Harold et tante Baby.

Harold Allen Ratcliffe (Allen) né le 24 avril 1921 était, avec Harold Adam fils d'Hilda Ratcliffe et Albert Adam, le premier des petits enfants de Allen William Ratcliffe mon grand-père. Il avait 19 ans en 1940. En mai 1940, un navire de guerre est venu à Calais et le consul de Grande Bretagne avait fait savoir que les sujets britanniques pouvaient s'embarquer pour se réfugier en Angleterre. Mes parents en séjour à Sangatte à ce moment là, avec Gisèle et moi, ainsi que mon cousin Jack Ratcliffe venu de Dunkerque, ont été prévenus par nos voisins les Vanpouille (photographes rue des Fontinettes). Ils ont pris quelques affaires et nous nous sommes rendus au port soumis aux bombardements de l'aviation allemande, (voir Calais sous les bombes en 1940), nous protégeant sous les wagons de chemin de fer lors des passages des avions.

Mon oncle Harold, prévenu par mon père de la présence de ce bateau de guerre dans le port, ne put profiter de l'occasion, car sa famille était à Escalles à 13km de là et il ne pouvait pas les rejoindre. Il était gérant de la coopérative anglaise bd Jacquard et sans doute pensait-il que son devoir était de rester là, ce que firent d'autres anglais de Calais. Il est donc resté. Après la prise de Calais le 26 mai 1940 et l'armistice du 22 juin, en juillet 1940 avec d'autres sujets britanniques, il fut fait prisonnier et envoyé en Allemagne - camp d'internement de civils à Tost en Haute Silésie aujourd'hui en Pologne. Voir la relation de la l'arrestation et de la déportation de Harold.

Sa femme ma tante Baby, de nationalité anglaise comme lui de par son mariage, fut internée à Lille avec son fils Guy; puis elle fut libérée mais interdite de séjour à Calais, car zone interdite. Elle choisit de se rendre à Champs sur Marne où elle avait une soeur; mais elle était assignée à résidence et avait l'obligation de se présenter tous les jours au commissariat en rapport avec la Komandantur allemande, située dans Paris intra-muros.

Après un court séjour à Champs sur Marne près de sa soeur Suzon, Baby, Allen et Guy se logèrent 24 rue Taine au 5è étage au dessus de l'appartement qu'occupaient Edith Ratcliffe et Jacqueline ma cousine (c'était plus proche de la Komandantur). Edith Ratcliffe née Paillez, une famille calaisienne bien connue, émigrée à Paris, était l'épouse d'Allen Abraham Ratcliffe un frère cadet de mon père. Celui travaillait pour un marchand de tableaux, Knoedler, à Paris. Il avait combattu dans l'armée anglaise pendant la première guerre mondiale où il avait reçu un éclat d'obus dans le crâne qu'on n'a jamais pu extraire. Lors des évènements de 1940, il se réfugia en zone libre à Bourganeuf, où il fut assigné à résidence comme sujet britannique. Il y mourut en 1945 de maladie. Voir son histoire ici.

En 1940, Allen était en poste d'instituteur à Wissant dans une école privée (*) où il y avait des enfants d'émigrés espagnols qui avaient fui la guerre civile en Espagne avant la guerre. Il résidait à l'hôtel Maris Stella.
(*) C'était sans doute le pensionnat Jeanne d'Arc de Calais car après la débacle de mai 1940 il s'était replié à Wissant. Les religieuses avaient loué une villa pour la transformer en école. Cela signifierait qu'Allen était instituteur à Jeanne d'Arc.

Ayant rejoint sa mère à Paris, Allen prit un emploi à la banque BNCI à Paris. Il avait des contacts avec les Canterel -Mme Canterel était la soeur d'Edith - et leur fils Jacques. En 1942, Allen amena son frère Guy Ratcliffe à Dampicourt près de Virton province de Luxembourg, chez ma tante Hilda, la soeur de mon père qui avait épousé Albert Adam, un belge. Albert Adam avait aussi combattu pendant la première guerre sur le front de l'Yser. Arrivé à Dampicourt, Guy y resta jusqu'en fin 1945; son père ayant été libéré et de retour à Paris, Guy revint donc à Paris. Harold sa femme et leur jeune fils Guy (10 ans) s'installèrent 24 rue Taine. Pendant la guerre, Edith et Baby recevaient une pension du gouvernement britannique. Allen complétait les ressources de la famille.

En 1942, les allemands et le gouvernement de Vichy instituaient le service du travail obligatoire en Allemagne (STO) et imposèrent la conscription obligatoire de tous les hommes âgés de 18 à 50 ans et toutes les femmes célibataires de 21 à 35 ans. Plus grave encore en 1943 La loi du 16 février 1943 portant institution du travail obligatoire, impose la réquisition pour une durée de deux ans, de tous les jeunes hommes nés entre 1920 et 1922, c'est à dire âgés de 20, 21 et 22 ans. Les jeunes français tentaient d'y échapper soit qu'ils étaient étudiants, travaillaient dans les mines, ou se réfugiaient en zone libre. Ce fut le cas de nombre de mes supérieurs mineurs. Allen a probablement tenté de se soustraire au STO. Hilda avait insisté pour qu'il reste en Belgique et y prenne le maquis

On le retrouve ensuite ayant un contact avec Mr Damerment receveur des PTT à Marquette lez Lille; Mr Damerment faisait passer des français en Angleterre. Sa fille Madeleine y était passée en 1941. La maison de Damerment fut l'objet d'une rafle de la Gestapo et de la milice le 21 mars 1943; il fut arrêté avec Allen; tous deux furent emmenés à la prison de Loos et de là à Sachenshausen. Voir la relation de ceci dans la publication de François Rouquet, "Le poids de l’occupation allemande aux PTT", texte de la communication au colloque "Les agents des PTT dans la Résistance" du 21 au 23 novembre 1984.

Voici la fiche d'Allen trouvée par Patrick Fontaine fils de Jacques Fontaine un cousin, en 2014 lors d'une visite au mémorial du KL-Natzweiler en Alsace (*); voir la relation avec Jacques Fontaine. Cette fiche contient toute l'histoire d'Allen depis son arrestation à Lille le 21 mars 1943 jusqu'à sa mort à Dachau le 4 juin 1945.
(*) Le camp de Struthof-Natzweiler fut un camp terrible pour les prisonniers qui y furent déportés. Nombreux sont ceux qui y laissèrent leur vie.

Après son arrestation il fut envoyé au camp de concentration de Sachenhausen. Les allemands avaient besoin de main-d'oeuvre pour travailler dans les usines d'armement. La majeure partie des actifs étaient sur les fronts en Russie en France en Afrique et autres pays d'Europe. Ils organisèrent un vaste système de camps de concentration pour des travailleurs, véritables esclaves de l'époque. Allen devait travailler dans une des usines servies par le camp de Sachenhausen, probablement une usine de construction d'avions Heinkel.

La fiche indique qu'il est entré au camp de Natzweiler le 1 octobre 1944 venant de Sachenhausen. Il y était donc resté 1 an 6 mois et 9 jours depuis le 21 mars 1943. A Natzweiler, il fut affecté au camp de Kochendorf, un des 70 camps de concentrations administrés par Struthof (lien). Les déportés devaient aménager dans une mine de sel, à 200 mètres sous terre, de 40 à 50 ateliers dans deux galeries, faisant chacune 180 à 200 m de long, 10 à 15 de large et 20 à 20 m de haut. Ces ateliers étaient destinés à la production de moteurs d’avions de la firme Heinkel. L'avance des alliés a contraint les allemands à fermer le camp le 29 mars 1945 et à transférer les prisonniers au camp de Dachau, ce qu'indique la fiche. Ce fut une des infamantes "marches de la mort". Allen en réchappa; mais manque de chance, et parce qu'il était affaibli par 2 ans de camp de concentration, il y contracta le typhus qui faisait rage dans ce camp. La fiche de décès mentionne comme cause du décès, la tuberculose pulmonaire [lien].

Le 29 avril 1945, le camp de Dachau fut libéré par les américains; ils y découvrent l'horreur et l'horreur. Voir ce témoignage d'un soldat US le jour de la libération du camp. Allen était parmi les survivants mais très affaibli et souffrant du typhus il ne put pas être rapatrié par la voie de l'hôtel Lutétia. Il fut recueilli par la Croix Rouge Internationale et fut hospitalisé. Il put envoyer une carte à sa tante Hilda (soeur de mon père) en Belgique indiquant que le cauchemar était fini et qu'il espérait rentrer, mais que Mr Damerment était mort. Cette carte fut reçue avec joie par la famille à Dampicourt; ma tante prenait des dispositions pour qu'Allen puisse arriver par le train à Arlon via Luxembourg. Mais quelques temps après, une autre carte arrivait annonçant son décès le 4 juin 1945. Allen avait été assisté, lui comme les autres prisonniers du camp, par les prêtres catholiques du camp qui étaient dans les "barraques des prêtres". Protestant, il s'était converti au catholicisme. Le témoignage d'un prêtre sur son cauchemar et celui des prisonniers du camp, dont je ne connais pas le nom, fut donné à ses parents. Ce qui s'est passé entre son arrestation et sa sortie du camp, on ne peut pas le savoir. Pour l'imaginer, il faut regarder le documentaire "les survivants" de Patrick Rotmann.

Allen fut enterré au cimetière de Dachau le 5 juin 1945 (voir cette fiche). Son corps fut rapatrié à Calais en février 1947 (*) où il repose dans le carré des résistants de la deuxième guerre mondiale. L'ironie de ce destin tragique, est que s'il avait suivi le STO, il serait peut-être revenu. Mention "mort pour la France"; refus STO; en somme ils ont eu tort....
(*) En recoupant les souvenirs des membres de ma famille, je pense qu'à la libération du camp par les américains le 29 avril, et l'action de la Croix-Rouge qui s'est occupée des prisonniers survivants, cela a dû se passer comme suit (Voir ce lien sur Dachau et l'action de la Croix-Rouge).
La CR a demandé à chacun de dire son nom et de donner les coordonnées de sa famille. Allen a donné les noms et adresses de sa tante Hilda à Dampicourt et de sa mère 24 rue Taine à Paris. Il a écrit (via la CR) à Hilda - je le sais par Harold et Evelyne - disant qu'il était "sauf" mais que Mr Damerment était mort. Il a écrit aussi à sa mère rue Taine via la CR. Oncle Harold et Tante Baby ont voulu s'organiser pour se rendre à son chevet et le voir (je suppose). Mais le 4 juin il est décédé et lorsqu'ils ont été informés par la CR, on leur a dit, pour atténuer leur douleur, qu'il était mieux de ne pas l'avoir vu. Après le décès, ce fut le problème de la rapatriation et des formalités administratives entre la CR, la France jusqu'au centre départemental de dispersion d'Arras et finalement Calais le 17 février 1947. Il faut se rappeler qu'à cette époque d'après une guerre horrible de 5 ans, il n' y avait pas de téléphone, pas de routes et que les trains circulaient très mal.

Allen Ratcliffe a fait de la résistance c'est certain car :

  1. il porte la mention "déporté politique"
  2. il faisait partie du "dernier train de Loos" où l'on a bourré tous les résistants de la région arrêtés et non encore déportés (1er septembre 1944)
  3. il est enterré dans le carré des résistants du cimetière sud de Calais.

Le fait que l'on ne trouve pas trace de lui dans les principales actions de résistance tend à dire qu'il n'était pas un acteur majeur de la résistance, mais plus un rouage d'un réseau. Ce qui lui aura coûté la vie...

Ce récit a pour objet de lui rendre hommage ainsi qu'à tous les autres, victimes de la barbarie humaine.

Références:

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Mis à jour le 13/04/2022 pratclif.com