Les vrais chiffres du chômage, fléau social de ce temps.

Extrait d'une étude de Jacques Sapir ["une rentrée difficile"].

Les données présentées en France ne sont pas celles qui concernent directement le "chômage" mais les "demandeurs d’emploi". De ce point de vue, les données ne sont pas nécessairement cohérentes avec celles correspondantes au sens du BIT. Ces données sont réparties en catégories définies comme suit par la DARES.

La Dares et Pôle emploi présentent à des fins d’analyse statistique les données sur les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi selon les catégories suivantes:

C’est la catégorie "A" qui est constamment citée comme chiffre de référence. Mais, on constate que la catégorie "D" en est en réalité très proche. Une personne déchargée de l’obligation de faire un "acte positif de recherche d’emploi" dans le mois courant, quel qu’en soit la cause, mais sans emploi, correspond bien à la conception normale d’un "chômeur". Les personnes qui sont en catégorie "B" ont un emploi à temps très partiel qui leur a été imposé (- de 78h par mois) et souhaitent travailler. Cela correspond aux chômeurs qui retrouvent un emploi pour quelques jours par mois, mais qui ne cessent pas d’être des chômeurs pour autant. Ainsi, le chômage réel couvre en réalité les catégories A + B + D, et l’on peut considérer que la catégorie B+D correspond à un chômage masqué par des artifices statistiques.

Les catégories "C" et "E" posent d’autres problèmes. La catégorie "C" correspond à des travailleurs ayant dû accepter un emploi de + de 78h mais de – de 156h par mois. Ceci est très fréquemment la situation des femmes travaillant dans la grande distribution. On ne peut certes pas dire que ces personnes sont au chômage, mais elles n’ont pas non plus un emploi leur permettant de vivre. Elles représentent une nouvelle catégorie, que l’on appellera le "quasi-chômage", de personnes contraintes d’accepter un emploi dont la durée est inférieure au niveau légal de 156h/mois ou 35h/semaine. Enfin, nous avons la catégorie "E" qui comprend des personnes qui sont en emploi, mais dont celui-ci est très souvent lié à l’existence d’une aide publique particulière, qui est la condition même de cet emploi (emplois aidés). Ces personnes ne sont pas au chômage, mais se trouvent dans une situation particulièrement précaire. On peut considérer aussi que ces personnes sont des "quasi-chômeurs". Cette nouvelle catégorie inclut donc les catégories C+E de la DARES.

Les personnes de la catégorie "C" sont en réalité les victimes de la flexibilisation du marché du travail, et ce sont elles qui sont les premières licenciées dès qu’il y a des difficultés économiques soit générales soit locales. On peut aussi constater que la baisse du nombre des salariés contraints d’accepter un temps partiel imposé chute quand la catégorie A augmente très brutalement, d’août 2008 à l’été 2009. Les mécanismes de lien entre ces catégories ne sont donc pas les mêmes en période de crise aiguë et en période de crise longue.

C’est l’une des caractéristiques de la "flexibilisation de l’emploi" telle qu’elle a été imposée aux salariés français. De ce point de vue, il est intéressant et instructif de constater que ce phénomène existe aussi en Allemagne, avec une multiplication des temps partiels imposés. En fait, le travailleur français travaille plus (en moyenne annuelle) que le travailleur allemand (environ 5,8%), résultat contra-intuitif, qui remet en cause la représentation d’une Allemagne vertueuse. Ceci est encore plus vrai pour le travailleur italien qui travaille en moyenne 18,5% de plus que le travailleur français. Il faut alors signaler qu’une catégorie échappe aux statistiques de la DARES, les personnes admises au RSA "socle" mais qui ne font pas de "démarches positives" de recherche d’emploi. Une partie de ces personnes sont des chômeurs réels, découragés ou radiés par Pôle Emploi.


le chômage et le sous emploi affectent ainsi près de 20% de la population active.

Les statistiques du chômage et du sous-emploi calculent les pourcentages par rapport à la population active. Mais la population active ayant un emploi inclut les fonctionnaires (5.5 millions), les professions libérales (médecins, chirugiens, dentistes, avocats, notaires...), les non salariés du secteur privé, et les employés des entreprises parapubliques EDF, SNCF, Poste, et les retraités... ce qui au total représente près de 30% de la population active, lesquels ne sont pas touchés par les licenciements. Les vrais chiffres du chômage en pourcentage affectent donc environ 30% de la population active soit un acfif sur 3. Chacun a dans son entourage quelqu'un qui souffre du chômage.

Le chômage et le sous emploi sont la conséquence d'une sous activité des facteurs de production, ce qui se traduit par un gachis de ressources humaines, une décadence sociale, l'humiliation et la perte de dignité, l'érosion des savoirs-faire. Le capital et la main d'oeuvre et la combinaison des deux par le savoir faire lié à la formation et à l'utilisation des techniques. Une croissance économique nulle signifie pour certains, des baisses ou cessations d'activité car il y a forcément d'autres qui sont en croissance, répondant à une demande soutenue voire accrue de consommateurs - ménages, entreprises, État et collectivités locales. Réduire le chômage nécessite donc de relancer la demande et la production (7). La demande est contrainte par les bas salaires, la pauvreté des emplois, la fiscalité et les dépenses publiques excessives. Les grandes entreprises font des bénéfices et distribuent des dividendes; les bourses se portent bien. Mais sur le front de l'emploi c'est une autre histoire (8.1). Comment pousser l'emploi (8.3).

Il faudrait aussi comprendre ce qui pousse les gens à dépenser et à épargner leurs revenus. Et quand ils épargnent, soit parce qu'ils en ont trop, ou qu'ils ont peur de l'avenir, ce que devient leur épargne, car ils ne mettent pas des billets de banque ou de l'or sous leur matelas. Leur épargne alimente quels secteurs de l'économie, ou la dette publique, ou quelles bulles?

Il faut aussi se demander qui et comment on devient chômeur. Je vois 5 raisons.

  1. Le chômage frictionnel:
    C'est le chômage de ceux qui quittent leur emploi pour en trouver un autre, mieux, mieux payé, pour déménager, pour suivre un conjoint
  2. Le chômage technique:
    C'est le chômage qui résulte de l'obsolescence de certains métiers, activités ou produits ou de la concurrence de pays à compétitivité plus élevée.
  3. Le chômage politique:
    C'est le chômage dû à l'interventionnisme de l'état et des syndicats; le chômage de ceux qui refusent les salaires courants et qui peuvent vivre des allocations versées par l'état, défendues bec et ongle par les syndicats.
  4. Le chômage cyclique:
    C'est le chômage dû à l'insuffisance de la demande et qui ne peut être résolu que par des dépenses publiques et le déficit pour créer des infrastructures jusqu'à ce que le secteur privé reprenne et se remette à créer des emplois.
  5. Le chômage systémique:
    Le chômage serait inhérent au capitalisme; c'est la thèse de Marx. Le capitalisme se nourrit de bulles qui gonflent et éclatent. La théorie économique voudrait que les gens sont interchangéables en qualifications et en localisation, par la formation et la relocalisation . Quand un ouvrier d'abattoir perd son emploi à Quimper, il pourrait retrouver facilement un emploi dans l'informatique à Sophia-Antipolis ou dans les services financiers à Paris. Ce n'est pas vrai.

Site web de Jacques Sapir "Russeurope".


Références

  1. Les vrais chiffres du chômage (liens)
  2. 3 millions de chômeurs, NON, six!
  3. Pôle Emploi : Rebsamen veut « renforcer les contrôles »
  4. Statistiques de l'emploi et du chômage OCDE.
  5. Dares chiffres du chômage
  6. Emploi salarié et non salarié au 31 décembre 2012 | Insee
  7. Population active et taux d'activité selon le sexe et l'âge en 2012 | Insee
  8. Effectifs par sexe, âge, durée du travail et par versant de la fonction publique | Insee
  9. Les déterminants de la décision d’investir : une approche par les perceptions subjectives des firmes | INSEE Antoine NABOULET et Sébastien RASPILLER
  10. Site de l'OIT
    1. La faible reprise économique ne touche pas l’emploi | OIT
    2. Rapport sur le travail dans le monde | OIT
    3. Comment pousser l'emploi?

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Mis en ligne le 01/08/2014 pratclif.com