Incertitudes françaises | RAYMOND ARON 1978

Ce texte est de Raymond Aron, philosophe, sociologue, politologue, historien et journaliste français, fondateur de "la revue Commentaire". Une analyse de la société française à travers le temps; de quoi tempérer les excès de nos médias qui ne s'apesantissent que sur le temps présent.

L'habitude, qu'on a prise en France, de faire reposer la politique sur des opinions, a conduit nécessairement à isoler les faits de leurs conséquences. Les esprits s'épuisent dans les vains efforts qu'ils font pour comprendre chaque événement sans le rapprocher des événements qui l'ont précédé. Cette citation est de Joseph Fiévée (1767-1839)

AU PRINTEMPS dernier, mes amis et moi, alors que nous préparions le premier numéro de Commentaire, nous choisîmes ensemble le titre de l'article politique de tête : Incertitudes françaises. Avouons-le en toute humilité : avant les vacances, nous supposions tous que la campagne électorale, prévue de septembre 1977 à mars 1978, se déroulerait bloc contre bloc, droite contre gauche, l'actuelle majorité contre les trois partis signataires du programme commun. Or, à cette date, la victoire de l'opposition nous paraissait pour le moins plausible. Du même coup, le régime de la Ve République semblait mis en question en même temps que le système économique du pays.

Aux yeux des étrangers, des Américains en particulier, il ne s'agissait que de la participation éventuelle du P.C.F. au gouvernement, donc d'un cas particulier de l'Eurocommunisme. En Italie, le P.C. administre nombre de régions et de municipalités, le gouvernement démocrate-chrétien négocie avec son rival avant de proposer les lois à l'Assemblée. Une sorte de compromis historique appartient déjà au présent plus qu'à l'avenir. E. Berlinguer tient un langage de « responsable », il prêche « l'austérité » afin de rétablir les équilibres économiques.

Situation autre en France. Des partis communistes d'Europe occidentale, c'est le P.C.F. qui refusa avec le plus d'obstination de tirer la leçon du discours de N.S. Khrouchtchev au XXe Congrès, c'est lui qui célébra le plus longtemps le culte de Staline ; c'est le plus stalinien encore dans son style lors même qu'il prend ses distances par rapport à l'Union soviétique. Enfin et surtout, seul le parti socialiste conclut avec le P.C. non pas seulement un pacte électoral mais un programme commun qui prête à une interprétation révolutionnaire, à supposer qu'il ne l'impose pas.

L'accession à l'Etat des partis du p.c.g. évoquait à la fois 1924 — le cartel des gauches — et 1936 — le Front populaire. Dans les deux cas, les partis de gauche, par ignorance des contraintes économiques, se heurtèrent à ce qu'ils appelèrent le mur d'argent. Au bout d'un an ou deux, l'union de la gauche laissa la place à une autre majorité. En 1926, le parti radical entrait dans un gouvernement d'union nationale ; en 1938, il présidait à un gouvernement qui excluait certains des alliés du Front populaire. En 1924, le parti socialiste avait refusé de participer au gouvernement du cartel; en 1936, le P.C. avait, à son tour, refusé la participation.

En 1978, les deux partis « marxistes » resteraient presque face à face, le mouvement des radicaux de gauche étant trop faible, dans l'électorat ou l'Assemblée, pour tenir un rôle quelconque — de médiateur ou d'arbitre — entre les deux puissants partenaires. Le parti communiste, bien loin de se contenter, comme en 1936, de soutenir le gouvernement tout en le critiquant, réclamait à l'avance sa part, et toute sa part, des postes ministériels. Bien plus, le p.c.g., les discours des dirigeants communistes et socialistes promettaient bien plus que des réformes limitées ou des avantages sociaux. Rupture avec le capitalisme, annoncent les uns ; « démocratie avancée » avant la phase du socialisme, disent les autres.
Toutes les matières inflammables qui, dans le passé, provoquèrent l'explosion, semblaient rassemblées : usure d'une équipe trop étroite, au pouvoir depuis vingt ans ; impatience des opposants, exclus de l'Etat, qui glissent vers l'extrémisme au fur et à mesure que se prolonge la quarantaine ; popularité des idéologies fumeuses et des espoirs illimités à l'occasion d'une crise ; groupes de pensée, sectes, partis et syndicats qui rivalisent d'ardeur à changer la vie. Au siècle dernier, du tumulte sortait au bout de quelques jours, le duc d'Orléans, au bout de quelques années, Napoléon le petit — comme si le Grand n'avait pas suffi à la gloire et au malheur de la France. Après février 1848, les journées de juin ; après la guerre perdue, la Commune. Depuis 1789, la France détient le ruban bleu des Constitutions, voire des guerres civiles.

La nation française a-t-elle gardé un tempérament révolutionnaire ? Quelle réponse, les événements de 1968 suggèrent-ils à cette question ? A cause d'un chahut d'étudiants, le régime a tremblé ; pendant des semaines, les émeutes et les grèves ont paralysé le pays et personne, ni d'un côté ni de l'autre, n'a tiré une seule balle.

Au milieu d'août, je laissai l'article à demi rédigé : la rupture entre communistes et socialistes devenait possible avant même les élections. Depuis les élections municipales, la gauche unie, forte des sondages, jouissait déjà de la victoire prochaine ; en septembre, l'échec des négociations en vue de « l'actualisation » du p.c.g. dissipait pendant quelques semaines la grande peur. La politique française méritait une fois de plus sa réputation d'imprévisibilité. Unité de la gauche : personne n'ignorait les désaccords en profondeur des socialistes et des communistes, mais peu de commentateurs prévoyaient le divorce avant les élections, le jour où les communistes mettraient les points sur les i ou prendraient des assurances. Dès lors, à supposer même que les partis de gauche obtiennent à l'Assemblée quelques sièges de plus que la majorité, l'expérience socialiste aura-t-elle lieu ?
Faut-il évoquer, à défaut de 1924 et 1936, 1958 ou 1968 ? Vieille de vingt années, la Ve République donne-t-elle déjà des signes d'usure à la manière de tant d'autres régimes de la France ? Ou bien un incident quelconque, à la manière des troubles estudiantins, risque-t-il demain de jeter des millions de Français dans les rues ? Ou bien, au contraire, la crise de la Ve République a-t-elle été pensée, rêvée, simulée et finalement liquidée à l'avance ? Si la gauche a perdu son unité et son programme, la majorité, en dépit de ses dissensions, en dépit de la crise, retrouve sa chance, faute d'une opposition crédible. Quel que soit le nombre de ses électeurs, le P.S. ne représente pas un gouvernement, susceptible d'assumer la gestion de la France, puisqu'il ne peut pas collaborer avec le P.C. et qu'il ne veut pas collaborer avec le centre ou la droite.

Au siècle dernier, la stabilité de la société, en raison de la relative lenteur de l'industrialisation, contraste avec l'instabilité des régimes. Traits au fond complémentaires, logiquement liés l'un à l'autre. Les révolutions — de 1830 ou de 1848 — furent étroitement, strictement parisiennes. La capitale imposait sa décision au pays. En 1830, le monarque légitime quitta la France tranquillement en trois semaines ; il avait lui-même, par les ordonnances, en violant la charte, déclenché une insurrection urbaine que la troupe ne pouvait pas ou ne voulait pas réprimer. La masse de la population vivait dans les campagnes ou les petites villes. Cette masse accepta Charles X, Louis-Philippe, la République ou Louis Napoléon ; consultée au suffrage universel, elle aurait donné une légitimité nouvelle aux descendants des quarante rois qui firent la France, mais ces descendants se réclamaient de l'ancienne légitimité et la branche cadette n'osa pas risquer le saut. Seul le prétendant impérial usa de cette arme que l'Assemblée, en supprimant le suffrage universel, avait offerte au Président. Louis Napoléon décréta la dissolution de l'Assemblée afin de rétablir le suffrage universel et celui-ci approuva le coup d'Etat, alors que Victor Hugo racontait l'Histoire d'un crime.

Karl Marx écrivit le récit des crises françaises, de 1848 à 1851, plus tard de la Commune. Récit événementiel et social à la fois : le peuple de Paris fut effectivement l'acteur principal et les classes sociales arrivaient tour à tour au premier rang de la scène, unies puis divisées. En 1830, les libéraux, les orléanistes, à la faveur des trois glorieuses, mirent sur le trône le fils d'un Orléans régicide ; les républicains se jugèrent frustrés de leur victoire et la plupart des historiens de la IIIe République répandirent cette version, tout aussi arbitraire qu'une autre. Le peuple de Paris, toujours prêt à prendre les armes, éleva des barrages et Charles X abdiqua au bout de trois jours alors qu'à Saint-Cloud, il avait méconnu trop longuement le péril. Si les insurgés avaient réussi à proclamer la République, ils n'auraient pas davantage que les Orléanistes exprimé la volonté du peuple français ou même du peuple de Paris. C'est dans les milieux cultivés ou privilégiés du pays que les opposants au régime établi devenaient des émigrés de l'intérieur, républicains ou bonapartistes sous les monarchies, légitimistes à partir de 1830, républicains de nouveau sous l'Empire. Encore une fraction des républicains et des orléanistes finit-elle par se rallier au Second Empire.

Trois données, permanentes jusqu'à la fin du siècle, rendent donc intelligible l'instabilité du régime : l'absence d'une légitimité reconnue par les privilégiés ou ressentie par le peuple, l'acceptation par la masse paysanne de n'importe quel régime pourvu que les acquisitions de la Révolution ne soient pas mises en question, le rôle de Paris ou même la puissance militaire et morale de la capitale. Or, dans la capitale, la structure sociale présentait déjà la complexité caractéristique des sociétés modernes : ouvriers et prolétaires, artisans et petits bourgeois, boutiquiers, intellectuels ou étudiants, journalistes, grands bourgeois de la finance ou de l'industrie, nobles des grandes maisons ou des grandes propriétés. Marx analysa donc les moments successifs de 1848 : l'émeute, que l'opposition dynastique déclencha sans le vouloir, l'unité révolutionnaire, prolétariat inclus, durant la première phase, la bataille du prolétariat isolé en juin alors que les provinciaux, les paysans prêtent la main aux bourgeois contre les « partageux », la tentation vaine de la Montagne, de la petite bourgeoisie, contre l'Assemblée élue, l'irruption sur la scène historique du peuple paysan, absent de Paris mais décisif au suffrage universel et, de ce jour, le déclin de Paris.

L'opposition républicaine contre le Second Empire grossit dans les villes mais c'est la défaite plus que la population parisienne qui abattit Napoléon III. Par un coup d'Etat militaire, le Président de la République avait fondé l'Empire. L'armée défaite, l'Empereur prisonnier, l'Empire n'existait plus.
Monarchie légitimiste, monarchie de la branche cadette, République, Empire, quatre régimes en cinquante ans — entre 1815 et 1870 — aucun n'atteignit la vingtième année. Cette suite de restaurations et d'instaurations, toutes avortées, évoque la définition, donnée par un philosophe allemand, du travail del'historien, Die Sinngebung des Sinnlosen : donner un sens à ce qui n'en a pas. L'histoire politique de la France défie peut-être l'expert le plus subtil au déchiffrement du sens caché sous le foisonnement de l'absurde.

Après 1815, les monarchies capitulèrent devant les révoltes parisiennes parce que celles-ci répétaient la grande Révolution ; aucun régime ne survécut à la défaite, ni Napoléon III bien entendu, ni la IIIe République dont l'Assemblée du Front populaire vota les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, le deuxième dans la série des sauveurs, qui commence en 1871 avec A. Thiers et qui se termine provisoirement avec le Général de Gaulle, bi-sauveur puisqu'il fut d'abord le libérateur de la France, ensuite celui de l'Algérie (ou, si l'on préfère, qui libéra la France du boulet algérien).
Vieille histoire qui n'a rien à voir avec nos problèmes ? Paris vient de recevoir l'absolution de ses crimes du passé, sous la forme d'un maire. En dépit des velléités du général de Gaulle et des secrets révélés par Philippe de Saint-Robert, le comte de Paris inspire la sympathie dans la plupart des milieux, dans aucun ou presque le dévouement qui s'adresserait à un authentique prétendant et qui se nourrirait d'une fidélité vivante. Les Bonaparte ont définitivement renoncé. Ni Michel Jobert ni l'Amiral de Gaulle n'apparaissent désignés au rôle de sauveur. Tous les partis, y compris le parti communiste en paroles, souscrivent à la légitimité qui résulte de l'élection au suffrage universel et de la rivalité entre les partis. Nulle menace de guerre ne plane sur la France à moins qu'une catastrophe ne s'abatte sur l'Europe entière et ne prive nos ratiocinations de tout intérêt.

A coup sûr, la France d'aujourd'hui, diffère radicalement de la France des villages et des petites villes au siècle dernier. Mais, en ce siècle, la France a connu déjà trois républiques, sans compter le gouvernement de Vichy. L'instabilité politique persiste donc, pour des raisons qu'il n'est pas impossible de déceler.
Les historiens républicains ne se lassent pas de dauber sur l'aveuglement des rois, attachés au suffrage censitaire ; seuls votaient les milieux déchirés par des fidélités ou des idéologies irréconciliables. L'irréalisme des républiques égale parfois celui des rois. En dépit du suffrage universel, en dépit des moyens de communication, la classe politique réussit encore à dissimuler au pays des vérités premières, sans être, à proprement parler, victime de sa propre comédie.

Quand je publiai la brochure intitulée La tragédie algérienne (1957), je rencontrai — ce fut la seule fois dans ma vie — un grand nombre de députés. A quelques rares exceptions près — G. Bidault par exemple — ils ne doutaient pas plus que moi de l'aboutissement, à savoir l'indépendance algérienne. Pourquoi les élites algériennes se contenteraient-elles de moins que des résultats obtenus par celles de Tunisie ou du Maroc ? Comment transformer dix millions de Musulmans en citoyens français de plein exercice et leur appliquer les lois sociales de la métropole, conçues pour une population déclinante ? L'intégration : absurde ; l'autonomie : étape vers l'indépendance ; le partage : guerre interminable. La conclusion allait de soi : l'indépendance, négociée avec le F.L.N. ou le G.P.R.A. Un jour, vers 1957-58, alors qu'au Figaro je discutais avec Pierre Brisson, Louis Gabriel-Robinet entra dans le bureau. A la question de Pierre Brisson : comment voyez-vous la fin de l'affaire ? Il répondit, sans hésiter : l'indépendance.

Peut-être tous les hommes, tous les peuples inclinent-ils à cette attitude ; ils se refusent à voir ce qui leur crève les yeux. Mais ce curieux dialogue entre les dirigeants et les simples Français, cette surenchère de silence et d'hypocrisie me paraît caractériser le style français de la politique, the french way of politics. Les dirigeants n'osent pas dire au public ce que celui-ci, au fond de lui-même, sait déjà. En 1958, le parti du Général de Gaulle se fit élire au nom de l'Algérie française ; en 1962, il obtint un triomphe en exaltant la fin de la guerre et, du même coup, l'indépendance de l'Algérie.
Ainsi s'explique que tant d'hommes se rallient aussi aisément à des idées ou à des décisions qu'ils avaient combattues passionnément. Maurice Schuman, à la tribune des intellectuels catholiques, avait mobilisé contre moi en 1958 l'auditoire, tonné contre les insulteurs des officiers français et subsidiairement contre moi, jeté les étincelles de son éloquence dans les passions enflammées ; un jour, après la fin de la guerre, chez un ami, en présence de Nelson Rockefeller et de Henry Kissinger, je lui rappelai l'épisode. Pourquoi aurais-je plaidé pour l'indépendance algérienne, me répondit-il, puisque la IVe République était incapable de l'accomplir ? Les hommes de la IVe République qui ne croyaient pas à l'Algérie française, furent chassés ignominieusement par ceux de la ye qui feignaient d'y croire et qui liquidèrent en acte ce mythe devenu mystificateur.

Que l'on se garde d'imputer aux seuls députés cet aveuglement volontaire. Par quelle aberration les Français ont-ils accepté huit années de guerre en Indochine ? C'est le général de Gaulle qui nomma l'amiral d'Argenlieu, gouverneur-général de l'Indochine ; l'amiral qui moquait les généraux, hésitant à se battre, qui créa le gouvernement de Cochinchine alors que Ho Chi Minh négociait à Fontainebleau. Le Général de Gaulle lui-même, en 1950, dénonçait avec mépris toute velléité d'un accord avec Ho Chi-Minh. Revenu au pouvoir en 1958, il se plia à la réalité à laquelle ses adversaires, mais non ses partisans, auraient voulu se soumettre.

Obstination dans l'irréel : telle est l'origine des explosions typiques de la politique française. En 1830, le monarque légitime continue de vivre dans l'ancien régime. Louis Philippe et Guizot résistent aux revendications modestes de l'opposition dynastique — opposition qui pose elle même la bombe dont elle redoute l'explosion. La majorité de l'Assemblée, en 1851, accule Louis-Napoléon à choisir entre le retrait ou le coup d'Etat, sans préparer le combat ou s'assurer l'appui du peuple (ce que l'on appellerait aujourd'hui les masses). On peut, à la manière de Marx, rattacher la monarchie légitimiste à la propriété foncière, la monarchie orléaniste à la propriété mobilière, la République à la conciliation, faute de mieux, des deux formes de propriété, le second Empire enfin à la paysannerie. Banquiers et industriels ne complotaient pas contre Louis XVIII ou Charles X ; les Orléanistes prenaient avant 1830 l'Angleterre pour modèle, comme l'avaient fait les Constituants. La glorieuse Révolution de 1688, transposée en France, promettait la réconciliation du roi et de la nation, sous le drapeau tricolore. Mais à l'intérieur du corps électoral censitaire, ni les Républicains ni les Bonapartistes ne désarmèrent. Les légitimistes s'ajoutèrent aux émigrés de l'intérieur. Déjà, en 1848, la République apparaissait à Thiers comme le régime qui divise le moins. Les paysans, Louis-Napoléon, les lois votées par l'Assemblée reculèrent de vingt-cinq ans l'instauration d'une République de résignation dont la Constitution réservait la place d'un monarque.

De 1946 à 1958, l'Etat appartint à un groupe étroit de personnalités qui se partageaient les postes ministériels sans accorder à aucun de leurs chefs la chance de durer. La plupart des vedettes de la Ive tombèrent dans les oubliettes. Quelques-unes, Edgar Faure, René Pleven revinrent, plus ou moins tard, à la surface de la ve, malgré tout dans des fonctions marginales. Là encore, le juge ment d'Emmanuel Berl s'applique : la France est toujours gouvernée par une « bande ». Alain Peyrefitte, en un aveu candide, déclara un jour : « Si nous ne commettons pas d'erreur, nous sommes au pouvoir jusqu'à la fin du siècle ». Même avec l'aide des communistes, l'histoire lui donnera-t-elle raison ?

Qu'en est-il de la France de 1977 ? Unie ou déchirée ? Une guerre froide, une campagne électorale permanente entre la gauche et la droite ou bien une nation modérée, avec une masse de bourgeoisie moyenne au centre ? La lutte politique entre les deux camps reflète-t-elle fidèlement la fracture du pays ou bien, tout au contraire, déforme-t-elle la réalité profonde de la société ? Société stable avec un régime politique vulnérable ? Ou bien un gouvernement stable par la grâce de la Constitution au-dessus d'une société agitée par des mouvements plus ou moins violents ?
En 1968, aucun parti, aucun homme ne tenta de s'emparer de l'Etat à la faveur des émeutes populaires. Paris redevint Paris qui arrache ses pavés mais les étudiants imitaient ceux du xIxe siècle, eux-mêmes imitateurs de la Grande Révolution ; donc reflétant un reflet. Le pouvoir se joue — pour l'instant — aux élections. De ce jeu, la majorité a fixé la règle, majoritaire. Obsession du modèle anglais ou juste adaptation de la règle aux spécificités de la nation française ?

En 1789, les Constituants greffèrent un parlement de style anglais sur une monarchie, à la fois usée et toujours sacrée. La résistance du monarque, la débandade de la noblesse, le déchaînement populaire précipitèrent la ruinede la monarchie parlementaire et l'ascension révolutionnaire vers les extrêmes. Il fallut un siècle d'essais et d'erreurs pour aboutir à une République modérée que l'Académie boudait, que les monarchistes vitupéraient mais dont, finalement, les catholiques et les voltairiens, les élites et les masses toléraient le prosaïsme et les scandales.
Depuis 1958, le scrutin majoritaire s'applique à toutes les élections. Certes, à la différence des Anglais et des Américains, la loi exige la majorité absolue et maintient la coutume française du deuxième tour. Au deuxième tour de l'élection présidentielle, seuls les deux candidats arrivés en tête au premier tour restent en lice. Les Français se divisent en deux camps dont chacun s'incarne dans un homme. Les sondages, le pourcentage des votants ne laissent pas de doute : les Français ont pris goût à l'élection directe du chef de l'Etat. Mais, au rebours de l'expérience anglaise et américaine, le duel n'a pas comblé le fossé entre les deux candidats ou les deux combattants. Tout au contraire, il a séparé deux hommes, qui ne se concertent pas sur le bien commun, qui se serrent tout juste la main, comme si les chefs des camps étaient voués à un conflit inexpiable. Bien entendu, l'élu de la moitié des Français devient automatiquement le Président de tous les Français : mais comment transfigurer celui qui, à défaut de la cathédrale de Reims, a été oint par les bulletins de vote, s'il l'a emporté non sur un autre homme mais sur une autre France ?

En 1962, le cartel des non, les ci-devant de la Ive République mesurèrent l'impopularité qui les mettait hors d'état de former une opposition. Si les Républicains en veston avaient accordé l'indépendance à l'Algérie, si un million de Français avaient fui en catastrophe le pays qu'ils jugeaient le leur, qui n'aurait mis l'événement au compte d'un détestable régime ? OEuvre d'un héros historique, l'événement fut accueilli avec soulagement et reconnaissance.
Les ci-devant de la Ive évanouis, la gauche continuait d'exister. En 1965, le Général de Gaulle ne fut pas élu au premier tour. Le centriste, Jean Lecanuet, recueillit quelque 15 % des voix. Le débat politique, presque étouffé depuis 1958, remplit la presse, la radio, la télévision. Les Français redécouvrirent, à défaut des plaisirs, des charmes et des poisons de la République des députés, les distractions légères ou les joutes passionnées que la démocratie ne peut ni ne doit refuser au souverain. Les « événements de 1968 », une année après l'élection de 1967 qui n'avait laissé que quelques voix de majorité à la coalition gaullistes-indépendants, interrompirent l'évolution et rendirent une majorité confortable au bloc gouvernemental. Mais, en 1973, les élections marquèrent la continuation normale, logique, des scrutins de 1965 et de 1967. (Il n'y eut pas de véritable bataille en 1969 ; arrivé au deuxième rang, Alain Poher, pour des raisons visibles à la télévision, n'était pas « papabile »).

La « bande gaulliste » s'était élargie comme l'y invitait l'élection de 1967. Le centre lui-même, à mesure que socialistes et communistes se rapprochaient d'une alliance, se rapprochait lui, inévitablement, du bloc gouvernemental. Trop hostiles aux communistes pour accéder au gouvernement avec la gauche unie, J. Duhamel ou J. Lecanuet n'avaient d'autre voie d'accès au pouvoir que l'alliance avec le post-gaullisme, Duhamel avec Georges Pompidou, Lecanuet avec Giscard d'Estaing. Aussi bien dans nombre de circonscriptions, le mode de scrutin et la coalition socialiste-communiste laissaient rarement au troisième homme la chance de l'emporter dans une compétition triangulaire. En dépit de son élargissement, le bloc gouvernemental demeurait, aux yeux du pays, le même. En 1971 et 1972, la création du nouveau P.S. et la rédaction du p.c.g. achevèrent de cristalliser la conjoncture actuelle, aboutissement logique du règne gaulliste et du principe majoritaire.

Le parti gaulliste, qu'il s'appelle U.N.R., U.D.R., R.P.R. doit sa prédominance au mode de scrutin ; il constitue la majorité du bloc ou du camp gouvernemental. Certes, en 1974, il a été victime du mode de scrutin. Il a perdu l'Elysée parce que son candidat, Jacques Chaban-Delmas, a été battu au premier tour par Giscard d'Estaing (il n'avait même pas reçu l'appui de tout son parti). Lorsque Jacques Chirac, qui avait provoqué une scission dans l'U.D.R. à l'occasion du premier tour de l'élection présidentielle, rompit avec le Président, la majorité parlementaire de la majorité présidentielle se trouva dans la situation antérieure des indépendants par rapport aux gaullistes. Oui, mais : prendre ses dis-tances par rapport au gouvernement auquel on participe, mais moins que jamais, il n'entend renoncer au scrutin majoritaire dans les élections législatives. Avec ses cent soixante sept députés sortants, il espère gagner la plupart des « primaires » sur les autres fractions de la majorité, donc rester le noyau de la majorité ou de l'opposition.
Au lendemain des élections municipales et de la querelle entre le Président de la République et Jacques Chirac au sujet de la mairie de Paris, alors que les sondages annonçaient une victoire presque certaine de l'opposition, nombre de conseillers. autour de Valéry Giscard d'Estaing, songèrent au scrutin proportionnel. Peut-être celui-ci assurerait-il la victoire de l'opposition mais du moins une victoire étroite, alors qu'avec le scrutin majoritaire, l'opposition pouvait obtenir les deux tiers des sièges.

La rupture entre socialistes et communistes donne sur ce point raison à Jacques Chirac et tort à ceux qui recommandaient la révision du mode de scrutin, mais il reste que le scrutin majoritaire contribua à la fracture du pays en deux camps, s'il n'en fut pas la cause unique. Il ne favorisa ni la gauche de la droite ni la droite de la gauche mais, tout au contraire, il poussa le bloc socialiste- communiste vers l'extrémisme. Quand on se rappelle l'action de la S.F.I.O. durant la Ive République, on lit, avec stupéfaction, le p.c.g., charte de l'action que les deux principaux partis de gauche se proposaient de mener ensemble, pendant un bout de chemin.

Certes, la « divine surprise » du 24 septembre pouvait différer au moins de quelques années la décision historique. Par quelle aberration les Français confieraient-ils leur destin à une gauche qui ne s'accorde pas sur l'essentiel avant même de se présenter aux électeurs comme un gouvernement de substitution ? Selon les traditions françaises, la gauche ne peut l'emporter au deuxième tour qu'à la condition de s'unir. Ou bien le parti socialiste semble faible et les électeurs craignent l'hégémonie communiste ; ou bien le parti socialiste semble dominer la coalition, et le parti communiste refuse de troquer sa première place dans la gauche contre une part du pouvoir d'Etat.
Dira-t-on que l'unité de la droite ne résistera pas, elle non plus, à la désagrégation du bloc de gauche ? Là encore la Constitution a pris des précautions : le Président de la République joue de la menace de dissolution pour contraindre une fraction récalcitrante de sa majorité. L'élection du parlement européen au suffrage universel fut votée en usant de l'article 49 de la Constitution. En vérité, la Constitution, telle qu'elle est interprétée depuis 1958, assure une sorte de stabilité politique, un pouvoir théoriquement fort en dépit de la fracture de la nation en deux blocs.
Démocratie française, compresse sur la fracture, écrit Françoise Giroud. La France supporte gaillardemment la fracture à la condition, il va de soi, que le P.C. aboie sans mordre.

Etat stable grâce à la Constitution tant que les communistes ne s'allient pas aux autres partis de gauche, grâce aussi à l'acceptation définitive (provisoirement) de la légitimité démocratique ou électorale : telle serait la conclusion de ces analyses, au premier abord paradoxales.
La France a-t-elle trouvé, grâce au Général de Gaulle, une Constitution quasi impériale ou encore, si l'on préfère, une synthèse du principe monarchique — monarque élu et transitoire — et du principe parlementaire, synthèse malgré tout précaire tant que des partis, qui représentent la moitié du pays, en réclament la révision ?

En dehors de cette menace sur la stabilité politique, sur la pratique constitutionnelle, une autre, autrement grave, pèse sur les prochaines années. La société nouvelle, bâtie durant le dernier quart de siècle, la France des villes, des grands ensembles, d'une main-d'oeuvre salariale à 82 %, cette société civile que l'on appelle à juste titre modernisée, faut-il la dire cohérente ou désintégrée, vulnérable aux chocs ou déjà solidement enracinée ? Les événements de 1968 ne nous enseignent-ils pas que seule la légitimité démocraque fit butoir à la vague révolutionnaire ? En bref, au lieu d'une France paysanne avec les classes privilégiées poursuivant leur querelle sur la forme de l'Etat, une France industrielle qui s'accroche à la légalité républicaine en dépit des mouvements qui travaillent la société civile.

Les débats entre hommes politiques ou entre intellectuels ne permettent pas un diagnostic catégorique. Les Français cèdent à la mode ou, si l'on préfère, ils souhaitent, à la manière des enfants, les conquêtes de l'industrie sans en payer le prix. Ils veulent protéger la nature, ils détestent le bruit et les grands ensembles. Mais ils ne renoncent ni aux automobiles ni à l'élévation annuelle du niveau de vie. Le taux de croissance a perdu son aura et chacun chante le nouveau paean, la qualité de vie. Thèmes idéologiques qui parcourent le monde entier et qui n'appartiennent pas à la France en propre, encore moins à un parti, de droite ou de gauche.

Une minorité d'écologistes vont jusqu'au bout de leur refus de la pollution, voire de l'industrie, en tout cas du nucléaire. Les radicaux de l'écologie sont les uns proches du parti socialiste, les autres proches du gauchisme non violent. Mais à supposer que les écologistes décident du résultat des élections, ils ne détermineront pas la politique. A tort ou à raison, le Président de la République a pris un pari hasardeux sur les surrégénérateurs — choix sur lequel la prochaine majorité, selon toute probabilité, ne reviendra pas.

Selon les sondages, les Français comptent sur une progression régulière de la production et de leur niveau de vie, ils appellent de leurs voeux un parti socialiste, parent des sociaux-démocrates qui gouvernent plusieurs des pays européens, une moindre inégalité. En bref, les extrêmistes ne représentent qu'une très faible minorité, l'immense majorité de la nation se déclare attachée au régime capitaliste-libéral. Pourquoi l'inquiétude sur le consensus ou l'absence de consensus ? Le p.c.g. n'est — n'était — pas perçu par nombre de ceux qui voulaient voter pour lui comme révolutionnaire. Les convertis, les giscardiens venus au P.S., acceptaient des nationalisations et un impôt sur le capital, ils n'y voyaient pas les prémices d'un autre monde.
Ce qui frappa les observateurs, ce fut le contenu de la rhétorique politique en 1977. A l'étranger, une simple élection législative offre rarement l'occasion de mettre en question, d'un coup, globalement, l'organisation tout entière de la société. Mode de propriété, nature de la croissance, centralisation étatique, finalité de l'existence, tout l'essentiel faisait l'objet des discours politiques. Je n'en déduis pas que les Français de 1977 ou 1978 sont plus portés à l'aventure que les autres Européens de l'Ouest.

Le danger ou plutôt l'incertitude ne tient ni aux discours ni aux passions mais à la situation. Les Français sous-estiment la gravité et la longueur probable de la crise. Même en l'absence de la hausse des hydrocarbures, le quart de siècle d'expansion accélérée de l'économie mondiale aurait achoppé sur l'inflation qui s'accélérait et faussait le calcul économique. De nouveaux acteurs interviennent sur le marché mondial. L'O.P.E.P. a précipité une transformation inévitable et l'a rendue dramatique.
La France se trouve parmi les pays les plus touchés : fort peu de matières premières, peu d'espoir, pour l'instant, de ressources pétrolières, quelques industries condamnées à disparaître ou à survivre à la charge de l'Etat, certaines des industries de pointe, fondées sur la science, en difficulté. L'adaptation de l'économie française au marché mondial imposera plus d'efforts et de sacrifices que l'intégration, heureusement menée, à la communauté européenne.

Or, ces années difficiles, Michel Rocard à gauche, Raymond Barre de l'autre côté, ne les ignorent pas ; bien plus ils envisagent lucidement le renouvellement, l'innovation que l'épreuve imposera à l'économie. Ni la masse des électeurs ni la majorité des hommes politiques n'ont une conscience claire de la tâche qui attend la majorité sortie des urnes en 1978. Entre l'énarque de la gauche et celui de la droite, il y a plus d'idées en commun que de dissentiment. L'un et l'autre obéissent à l'impératif industriel, l'un et l'autre comptent sur l'orientation de l'économie par l'Etat, éventuellement sur la nationalisation de certaines entreprises (ou la participation étatique dans certaines destinées au rôle de pionnier, dont la production ne pourrait être à court terme rentable). L'énarque de gauche préférerait la nationalisation alors que l'énarque de droite se contenterait de participation financière ou de prêt. La seule opposition porte, semble-t-il, sur la politique conjoncturelle. Michel Rocard, à s'en tenir à ses propos, juge possible d'augmenter les salaires sans relancer l'inflation grâce à la réforme des circuits de distribution.

En d'autres termes, l'incertitude concerne avant tout la conjoncture économique ; si lagauche unie gagne les élections, c'est la classe politique qui aura provoqué une période de troubles jusqu'à la rupture entre socialistes et communistes (à moins que ces derniers n'entraînent la gauche entière vers une aventure de démocratie populaire). Une fois la gauche désunie, l'éventualité d'un gouvernement socialiste, avec le seul appoint des radicaux de gauche, n'éveille ni l'espoir ni l'angoisse. Au Portugal, l'expérience d'un parti qui se veut socialiste et non social-démocrate, aboutit, conformément à toutes les prévisions, à une impasse ; il doit choisir l'alliance avec le P.C. ou avec le centre, avant tout le parti social-démocrate. Bien plus, il doit ou bien rétablir les conditions nécessaires aux équilibres dans le cadre de l'économie mixte ou bien rompre avec l'économie mondiale. Mario Soarès veut l'entrée du Portugal dans la Communauté européenne donc il veut, s'il accepte les moyens de sa fin, l'alliance avec les partis à sa droite.

A supposer que se réalise le rêve de François Mitterrand, sept millions d'électeurs socialistes au premier tour l'élèveraient au premier rang moral de l'Assemblée, mais même alors quelles perspectives s'offrent à lui ? Appliquer le p. c. g. sans le P. C. ? Il ne trouverait pas de majorité parlementaire pour approuver les propositions de lois. Rétablir une alliance avec le P.C. sur un p.c.g. atténué ? Pourquoi le P.C. y consentirait-il ? Il sait bien que le changement radical promis se traduirait en quelques nationalisations, éventuellement un impôt sur le capital, une hausse du S.M.I.C. et une inflation accélérée. Même un pacte électoral à la faveur duquel la gauche unie obtiendrait quelques sièges de plus que la droite à l'Assemblée, ne ranimerait pas la gauche rêvée du printemps de 1977. Après avoir vécu à l'avance la campagne électorale et la victoire de la gauche, la France morose attend le verdict des urnes.

La défaite de la gauche nous éviterait une expérience socialiste qui coûterait cher. Une victoire de l'actuelle majorité maintiendrait au pouvoir les élus d'une moitié du pays, un gouvernement aussi précaire qu'aujourd'hui, ou fort seulement de la déception ressentie par les fidèles de la gauche. L'insatisfaction soulèverait-elle les masses contre un pouvoir usé, une équipe au fond divisée ? L'événement de 1968 interdit d'exclure une pareille éventualité. Je n'y crois guère. La IIle République fut renversée par la défaite, la IVe par la guerre d'Algérie ; la ye fut ébranlée par les émeutes de Paris et de quelques grandes villes. Le passage des émeutes à la Révolution suppose des gouvernants incertains de leur légitimité et l'existence de minorités révolutionnaires.

Déjà en 1974, l'on annonçait des troubles graves au cas de l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, on redoute aujourd'hui la révolte de la gauche, frustrée, une fois de plus, de sa chance. Je n'exclus pas l'agitation. Mais la diversité contradictoire des mouvements sociaux — les écologistes, les autogestionnaires, les tenants de l'impôt sur le capital ou des nationalisations, les protestataires du blocage des salaires — reflète plutôt l'anarchie larvée de nos sociétés. Je ne vois pas la société civile, capable de rassembler en une volonté révolutionnaire les protestations divergentes des groupes sociaux-professionnels.

La société française échappe pour l'instant aux formes extrêmes du terrorisme bien queles Bretons, les Corses et les Occitans ne dédaignent pas le plastic. Indulgente aux criminels, plus qu'à la répression (au moins par l'intermédiaire de ses intellectuels), elle partage les faiblesses, l'autocritique caractéristique de l'Europe occidentale. C'est le « révolutionnarisme » du P.S. qui la met à part des autres pays d'Europe occidentale. Si le parti communiste s'obstine dans l'actuelle tactique et condamne l'actuel P.S. à une révision déchirante, alors ni l'Etat ni la société civile ne nous réservent une catastrophe salvatrice ou un bouleversement ruineux.

En revanche, si le P.S. va au bout de son programme pour obtenir les voix communistes au deuxième tour ou la participation communiste au gouvernement, la France vivra des années de troubles, peut-être révolutionnaires, peut-être despotiques.
Ce peuple, apparemment tranquille, est encore dangereux.


Mis en ligne le 06/04/2015 pratclif.com