Baisse du coût du travail? 140 000 emplois créés ou sauvegardés grâce au CICE ?

140 000 emplois créés ou sauvegardés grâce au CICE ? Les raisons qui permettent de douter des résultats réels de l’obsession française pour le coût du travail.
Atlantico : Selon un rapport de l’INSEE, la mise en place du CICE aurait permis de modérer les salaires français : "Selon cet indice, le coût de la main-d’œuvre a augmenté modérément en France entre début 2012 et fin 2014 (…) Cette hausse modérée tient notamment à l’entrée en vigueur au 1er janvier 2013 du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE)". De cette modération salariale découle certaines projections quant aux créations d’emplois, de 40 000 à 140 000 selon les sources. Ces anticipations sont-elles réalistes ? La modération salariale est-elle automatiquement la cause de la création d’emplois en France ? Quels sont les autres facteurs à prendre à compte ?

Sarah Guillou : Il faut distinguer le coût du travail et les salaires. Quand on parle du coût du travail, on adopte la perspective de l’entreprise et on inclut donc les cotisations sociales. Le CICE peut, dans la comptabilité de l’entreprise être enregistré en déduction des charges de personnel et donc il implique une baisse du coût du travail pour l’entreprise. Comme le CICE couvre la quasi-totalité des entreprises assujetties à l’IS ou à l’IR, on constate bien une baisse du coût du travail. Mais l’entreprise peut alternativement l’enregistrer en déduction de l’impôt (ce qu’il est au final) et toutes les entreprises n’entendent ni ne perçoivent le CICE comme une baisse de leur coût du travail. En ce qui concerne les salaires, la perspective est celle du salarié et on entend donc les salaires nets des cotisations employeurs. Ici on ne peut pas parler de modération salariale. Le CICE a été même suspecté d’avoir autorisé des augmentations de salaires, les employeurs utilisant la manne de trésorerie inattendue du CICE pour augmenter les salaires du personnel qualifié. Il n’est pas encore possible de vérifier si effectivement cela s’est avéré, mais les statistiques sectorielles pour l’année 2013 montrent qu’il n’y a pas de corrélation entre les hausses de salaires et le montant du CICE.

Eric Heyer : Le CICE a permis une modération du coût salarial et non des salaires. Une telle modération permet aux entreprises de rétablir leur taux de marge et/ou de gagner en compétitivité. Dans un cas comme dans l’autre, cela devrait engendrer à terme un effet sur l’emploi : la baisse des coûts de production qui est répercutée en partie dans les prix génère, dans le secteur exposé à la concurrence internationale, des gains de compétitivité sur les marchés extérieurs et stimule les exportations, et sur le marché national réduit les importations. La partie de la baisse des coûts qui n’est pas répercutée dans les prix se retrouve dans les marges des entreprises, ce qui améliore la rentabilité et desserre les contraintes financières notamment en matière d’investissement qu’il soit productif, commercial ou en recherche-développement. Par ailleurs, en abaissant le coût du travail, le CICE favorise directement l’emploi en incitant à substituer du travail au capital, en particulier lorsque cette mesure cible les bas salaires. Au total, selon nos simulations et sans tenir compte du volet financement de cette mesure, le CICE aurait permis de créer ou sauvegarder 155 000 en 2014 et 2015. En intégrant le volet financement de la mesure (hausse de la TVA, de la fiscalité écologique et réduction de la dépense publique), les effets sur l’emploi se réduiraient à 65 000.

Matthieu Mucherie : L’INSEE, ces derniers temps, fait beaucoup de politique. On l’a encore vu lors du plan de communication autour des résultats de la dernière étude sur les mouvements de population. Il ne s’agit pas de blâmer tous les braves statisticiens de gauche qui à la base font globalement du bon boulot en dépit d’un contexte pénible de sureffectifs, d’isolement et de vieillissement, mais de blâmer leurs chefs qui sont nommés par le gouvernement et qui ne risquent pas de dire du mal du CICE à quelques semaines des élections régionales.

De 40 000 à 140 000 emplois crées ou « sauvegardés » (selon l’étrange concept très utilisé naguère pour les 35 heures) ? Bravo ! c’est probablement moins que ce que le gouvernement a détruit par son choc fiscal de 2012, mais j’imagine qu’il faut compter les emplois crées par des dispositifs gouvernementaux et jamais les emplois détruits si l’on souhaite conserver un emploi à l’INSEE.

En fait, dans le monde réel, à des millions d’années-lumière des agences de communication du gouvernement, entre « début 2012 et fin 2014 », c’est justement une période de déflation, le fameux « double dip » de la crise européenne, comme la BCE elle-même a finie par en convenir en décidant, à la fin, d’un programme d’achat d’actifs dont elle avait dit bien du mal. Il est logique que cette période corresponde en zone euro à des pertes d’emplois et à un ralentissement salarial. C’est un phénomène général, logique, et largement extra-gouvernemental depuis que le gouvernement a perdu toute prise sur la politique monétaire. Il a d’ailleurs commencé un peu avant l’arrivée de Hollande (l’indice nominal du coût du travail selon Eurostat se tasse un peu avant le CICE, sachant en outre que le haut plateau de 2010 ne compense pas la chute de 2008).

Le CICE dans ce contexte de déflation sert à jouer du marteau piqueur en plein tremblement de terre. C’est un peu comme monter les taux directeurs en 2008 ou en 2011, ou améliorer la notation pays du Brésil en 2010. Une politique bêtement procyclique, contre-productive et anti-sociale.

Le problème en France ne vient pas des charges sociales (les conséquences) mais des dépenses sociales (les causes). Prétendre s’attaquer aux charges sans rien toucher sur le fond aux dépenses : voilà la première escroquerie. Autant la politique d’enrichissement du contenu en emplois de la croissance (la baisse des charges sur le travail peu qualifié, commencée par Bercy au début des années 90 mais souvent sabotée par les « coups de pouces » au SMIC) a été plutôt réussie, autant il faut reconnaître qu’aujourd’hui le gros frein à l’embauche ne se situe plus vraiment là mais dans l’incertitude sur l’activité future (la trajectoire insatisfaisante du PIB nominal, en clair le manque de clients à l’horizon), dans les surcapacités, et dans la complexité attachée dans notre pays aux licenciements des CDI (autocensure + coût pour les PME des Prud’hommes +…).

Plus structurellement, parler des salaires sans parler des gains de productivité (et, plus grave, en bloquant la plupart des sources de productivité), est une autre impasse. Le drame du coût unitaire en France ne vient pas tant de la dynamique des salaires que de la non dynamique des gains de productivité, et ce ne sont pas les rapports Attali et les lois Macron qui seront de taille face au problème.

Troisième farce, faire des efforts sur le coût du travail avec un euro trop cher. Petit rappel : on dit souvent que le taux d’équilibre avec le dollar avoisine les 1,15/1,2, et on croit alors que tout va bien depuis l’hiver dernier. Mais on oublie de préciser que le niveau pour la France est certainement plus bas. Autour de 1,05. On a donc passé l’intégralité des 12 dernières années au dessus voire très au dessus de cet équilibre. Tout simplement parce qu’une quinzaine de personnes indépendantes, non économistes, non élues et inamovibles n’avaient pas envie de faire comme les autres banques centrales, du QE ou des taux négatifs. Quand l’euro est 20 centimes trop haut, le résorber par un différentiel de productivité peut prendre une génération ; Sisyphe poussant son rocher. Mais c’est un sujet trop rude pour un politicien français, et trop compromettant s’il a toujours ratifié les pleins pouvoirs à la BCE. Mieux vaut bidouiller sur les thématiques salariales que tout le monde appréhende « concrètement ».
Au-delà du CICE ou du pacte de responsabilité, comment expliquer cette obsession française à propos de la "compétitivité" ? S’agit-il réellement de l’approche prioritaire pour sauvegarder, ou créer des emplois en France ?

Sarah Guillou : La compétitivité est une obsession partagée par tous les gouvernements. Cette obsession fait des entreprises les nouveaux soldats du champ de bataille économique mondial. Mais, la préoccupation relative à la compétitivité est d’autant plus forte que la balance commerciale est déficitaire et que les parts de marché mondial reculent. Ce qui est le cas de la France qui cumule des déficits commerciaux depuis la fin des années 2000 et a accusé des pertes de part de marché tant au niveau mondial que sur le marché européen. De plus, la réussite économique des entreprises passe de plus en plus par l’accès aux marchés étrangers qui permet aux entreprises d’atteindre une échelle de production qui augmente leur rentabilité. Par conséquent les politiques nationales se jugent de plus en plus en regard de leur impact sur la compétitivité des entreprises. Et comme les entreprises exportatrices sont aussi celles qui dépensent en R&D, investissent, et versent des salaires plus élevés, elles tirent la croissance domestique et la demande qui s’adresse aux entreprises non exportatrices et donc l’emploi. La reprise durable de l’emploi sera forcément associée aux performances extérieures des entreprises qui résident en France. Cela n’implique pas forcément que le levier de cette compétitivité soit le coût du travail.

Eric Heyer : En économie ouverte, et en raisonnant "toutes choses égales par ailleurs", la recherche de gain de compétitivité par l’abaissement du coût du travail est une stratégie efficace pour créer des emplois. Elle permet d’améliorer la balance commerciale et accroît la demande adressée aux entreprises françaises et par là l’emploi. Malheureusement, l’hypothèse "toutes choses égales par ailleurs" n’est respectée qu’en de rares occasions : or, lorsque tous les pays se lancent au même moment dans une stratégie non coopérative de désinflation salariale, l’efficacité de celle-ci se réduit considérablement et peut même devenir négative si elle débouche sur une situation de déflation généralisée engendrant une spirale récessive. C’est pourquoi une stratégie visant à accroître la compétitivité "hors coût" du pays –passant par l’accroissement de l’investissement en R&D, la formation des salariés, la montée en gamme des produits, etc…-, si elle a le défaut de ne produire des effets qu’à moyen terme et non à court terme, permet en revanche d’éviter le piège de la déflation et d’assurer une croissance et donc une dynamique de l’emploi sur le moyen-long terme.

Matthieu Mucherie : Il y a 20 ans, à l’époque où il faisait de l’économie et non de la politique, Paul Krugman a publié un très bon livre où il dénonçait la dangereuse obsession de la « compétitivité ». Ce concept n’a pas de sens, comme le savent les professionnels il se résume à un taux de changes inapproprié, point barre. Si vous êtes 10% trop cher (par rapport à qui ? par rapport à quoi ? n’est-on pas dans une économie de marché où se sont les entreprises privées qui fixent les salaires ?), vous prenez 5 minutes pour dévaluer, vous ne passez pas 10 années à gagner péniblement ces points en vous organisant pour faire monter le chômage. Si le problème vient des charges sociales, alors là oui, vous frappez, dans les dépenses, mais à ma connaissance cette politique n’a jamais été pratiquée en France au cours des 50 dernières années (avant je ne sais pas, mais comme la protection sociale se résumait à bien peu de choses et comme la concurrence internationale était moins rude, le sujet n’avait pas une grande importance) et ne pourra pas l’être à l’avenir à moins d’une forte détente monétaire préalable (genre De Gaulle & Rueff 1959, ou Suède 1994).

Le sujet est particulièrement obsessionnel en France en raison de notre stratégie de currency board vis-à-vis de l’Allemagne (la seule stratégie cohérente de notre pays depuis plus de 30 ans, un bide total). Dans les années 80 on disait « désinflation compétitive », aujourd’hui CICE et pacte de responsabilité, l’idée est de singer un pays qui n’a pas les mêmes structures que les nôtres (démographie, cogestion, RDA, poids de l’industrie…) car nos élites à Paris ont tout misé sur cette alliance contre-nature, et il est trop tard selon elles pour faire demi-tour. Il faudra donc attendre le départ à la retraite de tous les Alain Minc. Pendant ce temps au Royaume-Uni (horresco referens !!) les salaires montent, l’investissement repart (et non simplement les enquêtes), le chômage baisse, sans aucune inflation et avec le Sterling qui remonte ; comme en Suisse, en Suède, en Pologne, mais ce doit être un hasard (d’après Marc Touati dans son dernier livre, les pays qui refusent l’euro sont condamnés à des taux d’intérêt à deux chiffres et à des guerres civiles) (je suis un peu dur avec cet auteur, mais il rejoint sur ce point l’opinion de Jean-Claude Trichet, contre qui il avait organisé jadis une pétition !).

Cette obsession française fonce dans le vide puisqu’elle produit tant de malaise que notre pays a aussi beaucoup fait pour saboter cette stratégie malthusienne et néo-mercantiliste (les 35 heures en particulier, et puis la gabegie des services publics, des entreprises publiques et parapubliques), et laisse une bonne partie des règles sociales de ce pays être édictées par la chambre sociale de la cour de cassation, qui, d’après ce que je comprends, n’est pas composée que d’entrepreneurs ouverts sur le monde. Tout les français sentent donc bien qu’il y a du laissé aller et un dualisme scandaleux sur le marché du travail, d’où la popularité des propos sur la compétitivité, d’où une nouvelle demande pour des mesurettes, de nouveaux rapports Gallois ou Attali, etc. Cette boucle fonctionne très bien et fait vivre tout un tas de monde à Paris, des journalistes qui résument l’économie au commerce extérieur, des syndicalistes, jusqu’aux essayistes spécialisés dans les réformes du marché du travail pour les autres (ce sont généralement des gens qui n’ont pas envoyé un CV de leur vie et qui seraient bien embêtés si le marché du travail devenait plus fluide et plus transparent).

Pendant ce temps, on oublie les sujets qui fâchent, la déflation induite par la BCE et la non-réforme des administrations publiques. Peut-être était-ce le but du jeu.

A l’inverse des Etats Unis qui semblent se préoccuper de la stagnation des salaires, les gouvernements se focalisent sur cette position. Comment expliquer cette contradiction, entre une volonté de modération salariale de la part du gouvernement et l’objectif "raisonnable" de toute économie, qui serait d’offrir de meilleurs salaires à sa population ?

Sarah Guillou : La situation des Etats-Unis est bien différente de celle de la France en termes de dynamique des salaires. Et il faut, ici aussi, distinguer le coût du travail, des salaires. L’augmentation des salaires est justifiée si elle est associée à une augmentation de la productivité et donc à une augmentation des qualifications. Donc l’augmentation des salaires est le signe d’une économie plus productive, c’est également un élément positif pour la dynamique de la consommation. Une augmentation des salaires est souhaitable. Mais souhaiter une intervention du gouvernement pour la susciter est une autre logique, celle du soutien des faibles revenus et d’une relance de la consommation.

Par ailleurs, l’objectif de compétitivité conduit à s’intéresser à l’évolution du coût du travail domestique relativement à l’évolution du coût du travail des concurrents. La compétitivité est un indicateur relatif, il impose un référent de comparaison. Ce qui compte donc c’est l’évolution relative : ce qui est problématique est une situation où le coût du travail français augmente plus que le coût du travail des principaux concurrents de la France sur les marchés internationaux.

Eric Heyer : Le salaire versé aux salariés n’est qu’une composante du coût du travail : le gouvernement français tente de freiner le coût du travail sans toucher aux salaires mais en baissant les cotisations sociales : cela a été le cas en 1993 avec les dispositifs Juppé-Balladur, puis en 2000 avec les lois Aubry, en 2003 avec le dispositif Fillon, en 2014 par un crédit d’impôt (CICE) et enfin en 2015 avec le pacte de responsabilité. Par ailleurs, la situation sur le marché du travail n’est pas identique aux Etats-Unis et en France : aux Etats-Unis, le taux de chômage est proche de 5 % alors qu’il dépasse les 10 % dans l’hexagone. Or, malgré un taux de chômage très faible, l’accélération des salaires aux Etats-Unis peinent à s’enclencher : c’est cela qui inquiète les autorités américaines car cela peut-être le signal d'un dysfonctionnement du marché du travail et d’un enclenchement possible d’une spirale déflationniste. Pour ma part, il me semble que cela est plutôt lié à un taux d’emploi américain qui reste 3 points en dessous de celui d’avant crise, reflet d’un marché du travail qui n’est pas revenu à son niveau d’équilibre.

Matthieu Mucherie : Comme souvent, la dimension « s’en sortir par le haut » l’emporte aux Etats-Unis, pas chez nous. Enfin, Yellen et quelques autres à la FED s’européanisent en ressortant les vieux NAIRU, des courbes de Phillips new age et tout un argumentaire Bundesbank sur la nécessité de frappes préventives avant toute accélération visible des salaires, mais il y a encore de la marge.

Je vous propose ce petit extrait de Jacques Rueff. Attention, c’est du brutal :

« Qui veut faire une politique réaliste de prospérité et de paix sociale doit reconnaître le niveau existant des salaires comme le plancher immuable de toute politique financière constructive (…) En tous cas, à partir du moment où les hausses de salaires sont intervenues, la hausse correspondante des prix doit être considérée comme consolidée. Maintenir, après pareilles hausses, le change au niveau ancien, c’est organiser la dépression et s’obliger, soit à exclure par voie d’autorité tous achats à l’étranger, soit à accepter l’épuisement progressif des réserves de devises. En laissant subsister un déséquilibre qui ne peut s’atténuer que par des baisses de salaires, on suscite le malaise social et on prépare, pour le lendemain, d’inévitables « fronts populaires ». Tant qu’un tel déséquilibre existe, la dévaluation de la monnaie ne crée pas une situation nouvelle ; elle se borne à reconnaître la situation existante ».

Remplacez front populaire par front national, le reste n’a pas pris une ride…
D’un point de vue européen, l’INSEE révèle également que les salaires allemands progressent aujourd’hui plus vite que les salaires français (depuis 2012). Quels sont les risques à voir le pays se résoudre à une telle stratégie économique ? Une application coordonnée et systématique de la modération salariale au sein de la zone euro peut-elle permettre une réduction du chômage sur l’ensemble du continent ? Quels sont les risques liés à une telle approche ?

Sarah Guillou : Il se produit un effet de rattrapage du côté de l’économie allemande qui sort d’une période de modération salariale. L’évolution relative des salaires allemands par rapport aux salaires français a été jusqu’à présent défavorable à la compétitivité-coût française. Ce qui a conduit à des pertes de marché françaises sur des produits de qualité comparable pour lesquels les exportateurs français étaient en concurrence en prix avec les exportateurs allemands.

Assurément, une stratégie généralisée de modération salariale en Europe aurait un effet dépressif car cela déprimerait la demande européenne et accentuerait les tendances déflationnistes sans modifier les parts de marché des pays européens.

La situation sur le marché du travail européen exerce des pressions à la baisse sur les salaires. Le chômage est donc bien évidemment un frein important à la croissance des salaires, ce qui se produit en France.

La politique du gouvernement français ne cherche pas délibérément à diminuer les salaires mais à agir sur le coût du travail des salariés les moins qualifiés. Précisément le CICE cible les salaires en dessous de 2,5 SMIC.

Eric Heyer : La mise ne place progressive d’un salaire minimum en Allemagne ainsi qu’un taux de chômage proche du plein emploi sont les deux raisons qui expliquent l’accélération des salaires outre-Rhin. Faisant suite à plus d’une décennie de quasi-stagnation des salaires, cette nouvelle orientation va permettre de rééquilibrer quelque peu les déséquilibres commerciaux existants au sein de la zone euro : cette accélération des salaires en Allemagne va redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs allemands et booster la demande adressée aux autres partenaires européens. Ces derniers, qui sont également les principaux concurrents de l’Allemagne, vont par ailleurs voir leur compétitivité s’améliorer vis-à-vis de l’Allemagne. Leurs exportations, dont celles de la France, devraient alors s’améliorer significativement et permettre à la balance commerciale, française entre autre, de revenir progressivement à l’équilibre. En revanche, si tous les pays devaient adopter la même stratégie de désinflation compétitive, les gains s’annuleraient et pourraient engendrer, dans un contexte de basse inflation telle qu’on la connait depuis 2012, une spirale déflationniste dont il sera difficile de sortir.

Matthieu Mucherie : Toujours cette réduction du débat au suivi de l’Allemagne, et cette tendance typiquement Bundesbank de la BCE à venir polluer le sujet de l’harmonisation salariale en zone euro (un sujet qui devrait être celui des entreprises, pas celui d’une banque centrale, à moins de penser comme les non-économistes que l’inflation n’est pas qu’un phénomène monétaire).

L’Allemagne poursuit sa route spécifique, comme un Etat souverain, sans trop se soucier de la France, que ce soit sur les questions salariales ou énergétiques ou militaires ou migratoires ou autres. C’est bien normal. Sa politique actuelle sur le sujet est à mon avis périlleuse (l’introduction d’un salaire minimum fédéral, et surtout l’absence de toute réforme libérale depuis que Merkel est au pouvoir, comme si le pays pouvait surfer à vie sur les acquis Schroderiens), mais peu importe. C’est leur politique, leur cycle économique et électoral, il n’y a aucune raison que nous traversions la même séquence. Nous n’avons pas 18 millions de gens qui convergent à l’intérieur de notre pays, ni la possibilité de payer des gens 500 euros par mois sans risquer une révolution, etc. Chaque pays européen doit trouver sa voie, c’est même encore plus microéconomique si l’on considère que ce sont les entreprises qui sont au centre du processus et non le planificateur social. L’approche inverse, celle d’une harmonisation bureaucratique des profils des salaires dans des pays très différents, n’est pas obligatoire dans une union monétaire (cf les USA) et donne des résultats lamentables quand elle redouble la déflation en cours (cf l’austérité appliquée aux PIGS entre 2010 et 2013). Le risque à court terme est le manque de demande agrégée, mais ensuite le risque est plus grand encore, c’est celui de l’affectio societatis européen, déjà mal en point. On peut à la rigueur faire disparaître une inflation que l’on avait ancrée et garantie à 2%/an ; mais si en plus au même moment on diminue d’autorité les salaires, alors on se prépare des fronts populaires et des fronts nationaux.

Source: atlantico.fr

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Mis en ligne le 01/08/2014 pratclif.com