Terrorisme; ni religion, ni guerre!

Une action violente est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques. Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, 1962

Cette idée reçue tient au fait qu’il n’existe pas de définition universelle du terrorisme. D’abord parce qu’il est impossible d’extraire une telle définition de tout jugement normatif. En d’autres termes, chaque définition du terrorisme comporte un certain degré de subjectivité. Ensuite parce que le terrorisme est un phénomène multiforme, complexe, et évolutif, qui logiquement dépasse le cadre d’une définition simple et concise. Ceci explique notamment pourquoi les Nations unies connaissent d’énormes difficultés à donner une définition du terrorisme acceptable pour l’ensemble de la communauté internationale, à une époque où le terrorisme constitue pourtant l’une des composantes incontournables de la politique internationale, et même si le secrétaire général de l’ONU a luimême proposé une définition (mars 2005) : «Tout acte destiné à tuer ou blesser des civils et des non-combattants afin d’intimider une population, un gouvernement, une organisation et l’inciter à commettre un acte ou au contraire à s’abstenir de le faire. »

Si le terrorisme ne rentre pas dans le moule d’une définition unique, ce n’est pas faute d’avoir essayé de l’y faire entrer. En effet, il existe des dizaines de définitions répertoriées, qui reflètent la période à laquelle elles furent élaborées et l’origine de leurs concepteurs (agences gouvernementales, organisations non gouvernementales, juristes, politologues et historiens, lexicologues, etc.). Par exemple, les historiens et les lexicologues insistent généralement sur l’origine du terme, en l’occurrence le règne de la Terreur* (1793-1794). Mais ceci pose problème aujourd’hui : le terrorisme de la Révolution française fut une action violente menée par l’État contre ses populations (et plus précisément ses élites) alors que le terrorisme tel qu’on l’entend de nos jours est une action entreprise par des groupes non-étatiques, précisément contre l’État, par l’intermédiaire d’une stratégie indirecte visant les populations civiles. Le terrorisme moderne, s’il a des liens de filiation avec la Terreur, est donc en quelque sorte son antithèse. De fait, les définitions de ce terrorisme-là apparaissent tardivement, durant la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque le phénomène se développe en Europe et en Amérique du Nord. Aujourd’hui, alors que l’accent est placé sur le « civil » comme cible du terroriste, on reparle du lien entre le terrorisme et le terrorisme d’État, parfois pour des raisons subjectives liées à la politique (attitude des États-Unis vis-à-vis d’« États voyous » accusés, à tort ou à raison, de soutenir le terrorisme) ou pour jeter l’opprobre sur un pays particulier (États-Unis, Israël). Malgré ces chevauchements, le terrorisme et le terrorisme d’État constituent donc deux phénomènes distincts, qui réclament chacun leur propre définition.

Quelles sont les caractéristiques fondamentales du terrorisme ? Là aussi, les avis divergent sensiblement, d’où la multiplicité des définitions, même si tout le monde s’accorde au moins sur un point : le terrorisme est une « action violente », concept assez floufinalement puisque le degré de violence d’un attentat peut varier sensiblement, depuis une attaque à l’explosif sur un bâtiment vide jusqu’à l’attentat chimique ou nucléaire (pour l’heure hypothétique) sur une métropole. Néanmoins, ce concept apparaît directement ou de manière sous-entendue, dans toutes les définitions du terrorisme. La plupart d’entre elles font également état du caractère politique de l’action terroriste. Comme certains actes terroristes ne sont pas motivés par des considérations politiques, certains apposent alors au concept de terrorisme l’adjectif « politique », afin d’éviter les confusions.

Traditionnellement, le terrorisme est défini par rapport à ce qu’il n’est pas. C’est pourquoi de nombreuses définitions prennent pour point de départ l’illégitimité des actions entreprises par les terroristes, par rapport aux actions violentes « légitimes », c’està-dire celles décidées et conduites par des États contre d’autres États, par l’intermédiaire de leurs forces armées. Ceci explique pourquoi la grande majorité des définitions actuelles insistent sur le fait que le terrorisme est, au départ, une action entreprise par un groupuscule non-étatique (qui peut, le cas échéant, être soutenu plus ou moins directement par un État), et qu’elle prend pour cible des « non-combattants ». En somme, une telle définition du terrorisme postule que celui-ci a pour caractéristique fondamentale une action violente qui, en amont et en aval, se produit hors des canaux traditionnels de la violence organisée, c’est-à-dire en marge de l’État et de l’appareil militaire. De fait, c’est cette caractéristique qui donne au terrorisme son aspect irrationnel et inhumain : la violence, même la plus extrême, est acceptable à partir du moment où elle suit certaines règles, inacceptable en dehors de celles-ci. Or, la
particularité du terrorisme est justement de ne pas suivre ces règles et même de les enfreindre systématiquement.

Néanmoins, si les définitions qui insistent sur le caractère de la cible du terrorisme décrivent une réalité, elles mettent en avant les effets, ou « symptômes », du terrorisme plutôt que ses fondements. Car le but du terrorisme n’est pas de tuer des civils mais de toucher des victimes innocentes pour produire le choc le plus fort sur l’opinion publique, en général à des fins politiques. Donc, si le caractère de la cible est important, il n’est pas fondamental. De plus, il est restrictif : le terrorisme est aussi une technique employée pour combattre des armées régulières, auquel cas les victimes des attentats sont des hommes et des femmes en uniforme, qu’ils soient combattants ou non. C’est pourquoi il est parfois difficile pour les observateurs de définir ce terrorisme-là : est-ce un acte terroriste, de guerre, ou une action de résistance ?

Il nous semble, en revanche, que la composante psychologique du terrorisme en constitue le noyau et l’incontournable élément, quelle que soit la forme du terrorisme auquel on se réfère, y compris le terrorisme d’État. Les « pionniers » du terrorisme ne s’y trompaient pas, lorsqu’ils encourageaient la « propagande par le fait* ». Les premières définitions du terrorisme en font état, peut-être parce que la psychologie comme champ d’étude était dans l’air du temps. Avec les changements d’époques, ce facteur prendra moins d’importance, laissant progressivement place à la nature spécifique des attentats et de leurs cibles, probablement pour essayer de mettre en valeur le caractère irrationnel de l’acte : les définitions du terrorisme émises par les agences gouvernementales font partie de l’arsenal de la lutte antiterroriste, donc de la propagande officielle. De leur côté, les juristes, dont les objectifs sont autres, insistent sur l’aspect « trouble de l’ordre public », notion que l’on retrouve dans le Code pénal : « une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

L’idée d’influence ou d’intimidation que l’on observe dans une majorité de définitions effleure la notion de stratégie psychologique mais d’une manière qui reste superficielle. Dans ce domaine, Raymond Aron est l’un des rares à avoir perçu non seulement que le terrorisme est une action psychologique mais aussi que les effets de cet acte sont sans proportion - on pourrait même dire qu’ils sont inversement proportionnels - avec ses résultats physiques. Or, c’est bien dans cette asymétrie absolue entre les effets psychologiques d’un côté, et de l’autre les moyens employés et les résultats physiques escomptés, que réside la particularité du terrorisme. C’est pourquoi une définition acceptable de ce terme ne saurait occulter ce phénomène, au cœur de la problématique. En guise de conclusion, nous donnerons donc notre propre définition, certes incomplète, qui prend pour point de départ l’asymétrie mise en valeur par Aron :

«Est considérée comme acte terroriste une action violente entreprise généralement par un individu ou un groupuscule non-étatique, dans un but presque toujours politique, contre des cibles non discriminées, avec des moyens limités, et dont la particularité est de produire un climat de terreur où les effets psychologiques sont hors de proportion avec les résultats physiques qui découlent d’un tel acte. »

  1. Terrorisme

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Mis en ligne le 01/08/2014