Chronique d’une paix chaude, bouillante" par Baptiste Grasset

Ils ont recommencé. Qui ne pressentait l’imminence de ces attentats ? Quel Français a réussi à dormir la nuit passée ? Qui de nous, aujourd’hui, ne gît à terre, les yeux ouverts, parmi ses sœurs et ses frères, morts au Bataclan ou à Saint-Denis ? Qui ne se voit éperdu et ne se sait désarmé au milieu de certitudes qui ont fait leur temps, frappées elles aussi mortellement par le feu d’une guerre civile globale qui est en train de définir ce qu’est le Nouvel Ordre Mondial ? Car ils ont recommencé. Des dizaines de Français (et d’étrangers visitant la France) ont été ignominieusement exécutés par des terroristes islamistes (Français et étrangers eux aussi). Ils ont recommencé. Nous savions que cela arriverait. Et ils recommenceront. Pire : dans l’état actuel des choses, et notamment de la politique intérieure et extérieure française, rien ne les empêchera de recommencer. Cela aussi, nous le savons pertinemment. Et nous n’aurions, nous autres qui sommes encore vivants, plus que le seul devoir de demeurer interdits, stupéfaits, sidérés ? Il faut communier, nous dit-on. Il faut se recueillir. Et, aujourd’hui comme en janvier dernier, nous voici à nouveau « invités » à retarder le moment où il faudra bien, quoi qu’il nous en coûte, penser.

Réfléchir aux causes réelles et objectives des actes de guerre qui viennent d’accabler la France. Penser, non pas pour l’amour de l’art, mais bel et bien pour nous réorganiser. Nous mettre en mode « guerre. » Penser pour pister, trouver, châtier, éliminer et pour vaincre nos adversaires ainsi que tous leurs commanditaires. Mais à peine articule-t-on ces quelques évidences que l’on nous regarde de travers. Un peu de retenue ! On nous sermonne, admoneste, on nous enjoint à l’émotion, peine et colère mêlées. Chut ! L’heure est aux chapelles ardentes, aux drapeaux en berne, au garde-à-vous des larmes ; aux homélies promettant la fermeté contre le terrorisme, prononcées par ceux-là mêmes qui naguère, jadis, autrefois, il y a dix-huit mois à peine, soit une éternité à l’échelle médiatique, nourrissaient toutes les tolérances, même les plus douteuses, à l’endroit des fous de Dieu qui, voici quelques heures, ont eu tout le loisir de chasser l’infidèle comme un gibier dans les rues de Paris et de Saint-Denis. Penser ? Mais vous n’y songez pas! Ce serait le symptôme d’une froideur hautement suspecte, inhumaine, qui confinerait à la connivence cynique avec cet ennemi qui, en toute cohérence avec ce que nous savions de ses plans, vient d’ôter la vie à plus d’une centaine de nos compatriotes.

Las, non contents de sciemment nous avoir exposé à ces dangers, les géants qui nous gouvernent ou nous informent nous font sentir qu’il importe par-dessus tout que nous soyons bruyamment tristes, que nous renchérissions d’oraison, faute de quoi, il va sans dire, cela ne pourrait signifier qu’une seule chose : que nous sommes au minimum indifférents à ce qui s’est passé hier. Sophismes abjects autant qu’infondés sans doute, mais dont la logique, déjà bien huilée, est imparable pour suspendre l’exercice de la raison. Ou, à défaut, le rendre honteux, voire indigne. Les sourds mécanismes de la contagion (sous contrôle) par les bons sentiments battent leur plein. Les ingénieurs sociaux nous ont à l’œil, tenons-nous-le pour dit. Dépôts de gerbes, minutes de silence, applaudissements et Marseillaise sont les seules activités dignes d’un Français en ce jour, selon eux. Les activistes de la « pensée Munich » fardée d’amour de l’Autre travaillent d’ores et déjà -et avec quel ardeur!- à nous cantonner à notre rôle obligatoire de « passivistes » éplorés, égarés dans les affres de la paix chaude, bouillante, qui a pris le relai de la défunte guerre froide. Spectateurs, communiez dans votre pétrification ! Vos élites sont de tout cœur avec vous, et vous protègent.


Notre Président de la République ne s’y est d’ailleurs pas trompé : pressé de s’annexer la sympathie de ceux qui, s’ils pensaient, pourraient vite être tentés de devenir ses juges, que dis-je ? Ses procureurs, François Hollande a en effet mis un point d’honneur à agrémenter de son indispensable présence les trottoirs jouxtant feu le Bataclan, qui n’avaient vraiment rien d’autre ni de mieux à faire dans la nuit d’hier que de recevoir l’expression et l’assurance de ses très sincères condoléances. Il s’agissait de communiquer. De faire acte de présence, fût-ce en gênant l’évacuation des blessés, des mutilés, des agonisants et des cadavres. Il s’agissait de transmettre un sentiment d’effroi, d’horreur, en direct et au cœur des événements, avant que de faire le serment d’une justice bien entendu impitoyable. Si l’on osait, l’on assénerait qu’il s’agissait plutôt pour le chef de l’État d’inaugurer les chrysantèmes de la déroute géopolitique française et de la faillite de nos services de sécurité en gardant contenance. En sauvant les apparences trompeuses de la continuité républicaine. Mais l’on n’osera pas. Car la pensée, depuis plusieurs mois déjà, et davantage encore depuis ce vendredi 13 novembre 2015, la pensée, cette cartésienne intraitable, hautaine, inconvenante, est bâillonnée : pire, les regards se font inquisiteurs dès qu’ils croient deviner qu’au lieu de pleurer et de communier dans une sainte douleur, nous sommes en train de nous adonner in petto à quelque diagnostic saugrenu afin de comprendre comment diable on en est arrivé « là ». Là, c’est-à-dire : en-dessous de tout. Pour nos gouvernants, comprendre est hors de question. Des pleurs, des silences, des mots creux : tel est l’horizon indépassable du deuil de notre puissance. Des pleurs, des silences, des mots creux. Mais de pensée, non point. Surtout pas de pensée. Silence ! On pleure, à l’ombre de la Ligne Maginot devenue inutile de nos idéaux républicains prostitués aux dollars saoudiens et qataris…


Si le ciment de l’émotion institutionnalisée, relayée médiatiquement de façon intensive durant les heures suivant ces massacres, réussit à « prendre », une fois de plus, dans les têtes perplexes et meurtries de nos concitoyens ; si à nouveau les pleurs contaminent puis désarment, si à nouveau les silences interdisent et si, une fois de plus, une fois de trop, les mots se bornent à trop étreindre, à étouffer le débat au prétexte de réconforter ; bref, si les expédients symboliques de l’impuissance politique française font leur vil office aujourd’hui comme en janvier dernier, après les attentats contre Charlie Hebdo, nous aurons donc une fois de plus droit aux diaporamas artistes de monuments peinturlurés de bleu, de blanc et de rouge de par le vaste monde (preuve mélancolique de notre prestige mal en point), puis aux cortèges solennels des manifestations-monstres (pas maintenant, car elles sont semble-t-il interdites, mais d’ici peu, n’ayez crainte…), aux beaux discours empreints de bons sentiments unanimement humanistes, voire aux petites pancartes noires ornées de mots d’ordre solidaires en guise de faire-part de décès 2.0, mais surtout, surtout, nous aurons droit à l’Union Sacrée, qui oblige au devoir de réserve comme au soutien inconditionnel de toute action gouvernementale à venir (puisque faire bande à part revient forcément, dira-t-on, à pactiser avec les terroristes, à faire leur sale jeu). L’étouffoir à débats est enclenché. Notre signature au bas du Contrat Social nous est, quant à elle, extorquée à grands coups de chantage émotionnel : soit vous compatissez avec vos gouvernants, forcément bienveillants, aux souffrances des familles endeuillées ; soit vous ne compatissez pas du tout parce que vous êtes « de l’autre bord. » Ainsi donc, il serait inconcevable de compâtir à ces souffrances tout en critiquant lesdits gouvernants. Le manichéisme lacrymal est tacite mais particulièrement efficace à l’heure de fédérer les rangs d’ordinaire épars et clairsemés de notre nation pantelante : soit l’on s’émeut et l’on gémit avec nous ; soit l’on est contre nous, et avec « eux », avec les tueurs, il va sans dire. Car, parler pour dire quelque chose et non pour s’hypnotiser de figures imposées, ou s’assommer de formules compassées, c’est, doit-on comprendre, se réjouir des attentats et prendre le parti de ceux qui les ont perpétrés.

Bien sûr, il s’agit là d’un mensonge éhonté, chacun le sait, mais ce qui importe à nos dirigeants politiques, c’est ce « nous » qui surgit incontinent de l’engrenage des compassions autorisées. Ce « nous » impérieux, indiscutable, en guise de divine surprise et de bouée de sauvetage d’une classe politique dont on se doit, dans l’urgence de la situation, d’oublier un peu vite la constante incurie en matière de stratégie internationale depuis le « virage atlantiste » de 2007. Les vraies questions, celles qui, sans doute, porteraient légitimement le coup de grâce à une république déjà en lambeaux, qui ne mérite peut-être plus de survivre à un peuple qui n’est plus complètement peuple depuis qu’elle l’a privé de sa souveraineté comme de sa sécurité, ces questions seront tues : on leur préférera la moindre disgrâce des indignations consensuelles, contre la haine, la violence, le mal, la méchanceté, l’injustice, ces pâles antiennes du prêt-à-pleurer et à rivaliser de prostration. Or, l’indignation, si elle passe bien à l’écran, et si elle émeut utilement dans les chaumières, n’est guère que le cul-de-sac verbal du peu d’énergie que les faibles et les soumis consacrent à la défense de leurs valeurs, voire de leur intégrité physique. L’indignation soulage qui s’y vautre, en lui tenant lieu d’« action », mais au fond elle ne résout strictement rien des problèmes qui la suscitent. L’indignation mobilise, certes, mais toujours passivement : surtout, in fine, elle a l’heur de déléguer à d’autres l’intendance des réponses politiques qui sont censées satisfaire à ses exigences. Et c’est justement en cela que l’indignation de l’opinion publique (j’y insiste : pas du peuple ; seulement de l’opinion publique) intéresse tout particulièrement une classe politique française qui a beaucoup de choses à se faire pardonner en ce qui concerne la situation géopolitique au Moyen-Orient. Car, en faisant écho à l’indignation de leurs administrés, savamment entretenue par les médias, et en lui promettant un exutoire militaire, nos élus peuvent (quelle aubaine !) faire mine d’oublier que les 8 terroristes qui ont assassiné plus de 130 de nos compatriotes et en ont blessé plus de 300 autres en ce vendredi 13 novembre étaient, peut-être, il y a deux ans encore, de précieux auxiliaires (de brillants employés?) de notre gouvernement dans son combat contre Bashar Al-Assad. Conclusion : l’indignation, en délégant l’exercice de sa vengeance, amnistie tacitement les vieilles combines de ceux qui vont la soulager et leur refait une virginité : nox populi, nox Dei !…


On me reprochera mon manque coupable d’à-propos. On arguera que ce n’est pas encore le bon moment. Qu’il convient encore de modérer les paroles et de garder sous le boisseau telles vérités dérangeantes qui sèmeraient la discorde et la division quand la France de 2015 a cruellement besoin de faire corps pour réussir à faire front. On ajoutera que, bien sûr, il ne s’agit pas de censurer la divulgation de ces faits (au fond connus de tous ceux qui s’intéressent tant soit peu au dossier syrien), mais simplement d’observer les étapes nécessaires et inévitables du deuil. Qu’un jour, c’est promis, juré, au crêpe de la consternation succédera la gaze des représailles ; et qu’alors, tous les responsables et les coupables devront rendre des comptes aux Français ; qu’en temps et en heure des solutions intransigeantes et définitives auront droit de cité. Cependant, l’auteur de ces lignes confesse humblement son impatience et son agacement : car, voyez-vous, bonnes gens, on nous a déjà « fait le coup » il y a 10 mois, après Charlie… On pleurait énormément à l’époque, certes. Mais on prenait date : une fois les larmes séchées, on allait voir ce qu’on allait voir !… Or, on a vu… Qu’advint-il, concrètement, après Charlie ?…

On promulga un « Patriot Act à la Française » et l’on ne lésina pas sur les moyens, croyez-le bien, pour scruter les arrière-pensées des esprits malséants de la prétendue fachosphère, et autres dangereux racialistes d’un genre nouveau, aficionados de certain comique franco-camerounais : enfin, l’on disposait de la sorte de tous les instruments juridiques susceptibles de redéfinir à l’envi les critères du délit d’opinion afin d’y inclure la principale menace pour la sécurité nationale en 2015, j’ai nommé le geste de la quenelle. Ils n’avaient qu’à bien se tenir, les djihadistes, français ou pas, qui, tel Mohammed Merah ou Saïd Kouachi, prenaient depuis peu la détestable habitude de venir jusqu’ici appliquer ce qu’ils ont appris à faire au Moyen-Orient grâce aux armes, à l’argent et à l’expertise militaire prodigués par je ne sais qui !… Toutefois, ce ne serait pas faire justice à l’œuvre éblouissante du Chef de l’État, du Premier Ministre et de la Garde des Sceaux depuis janvier 2015 que d’oublier que l’on appréhenda aussi un contingent appréciable de personnages qui avouaient tranquillement leurs projets d’attentats… avant de les relâcher dans la nature (sans doute parce que, n’étant pas « fichés » ni affichés au « mur des cons », ils ne représentaient pas un péril suffisant pour qu’on daigne les retenir).

Et ce serait encore embellir ce riant tableau des derniers mois que d’omettre de mentionner la désormais fameuse « crise des migrants », qui fut la démonstration aussi magistrale qu’irréfutable, s’il en était encore besoin, de la crasse indifférence de nos élites économiques, médiatiques et politiques aux difficultés matérielles et à la détresse morale croissantes que nous autres, citoyens et contribuables de la France d’ici-très-bas (patelin d’arriérés comptant seulement 6 ou 8 millions de chômeurs réels), affrontons depuis des décennies avec un stoïcisme qui serait admirable s’il n’était le symptôme d’une maladie peut-être fatale : la résignation.

Enfin, l’on ne saurait tenir pour achevée cette nature morte que je m’échine ici à peindre si l’on ne rappelait que le gouvernement français a persisté à bêtement emboîter le pas de son tuteur ès affaires militaires, l’OTAN, pour salir et diffamer la Russie de Poutine, même (et surtout) lorsqu’il y a quelques semaines, celle-ci entreprit de bombarder massivement toutes les milices fondamentalistes anti-Assad, État Islamique y compris, et non uniquement certaines de ces milices, à l’instar des Occidentaux. À partir de quand le cache-misère des sanglots longs nous deviendra-t-il insupportable? À partir de quel moment, exactement, ces trémolos arborés par les autorités « compétentes » et par leurs auxiliaires médiatiques comme autant de blancs-seings pour séquestrer notre esprit critique se mettront-ils à tomber comme autant de cheveux postiches sur une soupe au sang ? Notre sang. Bien réel, lui. Et qui exige le tribut du sang. Et non la commisération empressée ni les larmes de crocodiles des contempteurs patentés et impénitents de l’ennemi numéro 1 de l’État Islamique, j’ai nommé Bashar Al-Assad, dont les partisans n’ont pas attendu, eux, le Mercredi 7 janvier 2015 ou le Vendredi 13 novembre du même an de disgrâce pour découvrir ce que signifie le « bon boulot » (pas vrai, M. Fabius?) ou le « combat juste » (pas vrai, M. Valls?) des milices islamistes qui, de 2011 à 2014 (pour les milices qui constituèrent l’État Islamique), et de 2011 jusqu’à aujourd’hui (pour les autres, comme par exemple le Front Al-Nusra, c’est-à-dire Al-Qaeda en Syrie), ont été le bras armé de l’Occident dans son entreprise de destruction de la Syrie.


En France, c’est devenu une habitude que de ne point sanctionner l’incompétence des gouvernants. Et qu’on ne vienne pas nous parler de sanction par le vote : le peuple de France n’est pour rien dans ce qui lui arrive depuis quelques années ; car, de fait, les élections sont devenues inoffensives ; de fait, la démocratie représentative elle-même n’est plus qu’une ombre, puisque droite et gauche appliquent, c’est une évidence, les mêmes politiques intérieures et extérieures. En effet, que vous ayez voté Sarkozy ou Hollande ces dix dernières années, vous avez voté OTAN. Que vous ayez voté blanc bonnet ou bonnet blanc, ou même, que vous vous soyez abstenus, vous avez voté en faveur de l’aventure libyenne puis de l’épopée syrienne, c’est-à-dire du Lévyathan, cette alliance de l’indignation humanitaire et de l’ingérence militaire que notre Ministre à vie des Affaires Étrangères, M. Bernard-Henri Lévy, incarne jusqu’à l’absurde (même si son ami M. Bernard Kouchner a paru un temps susceptible de lui disputer ce titre enviable). Quel qu’ait été votre choix au sordide bonneteau électoral, vous avez entériné, sachez-le, l’envoi de troupes françaises au Mali pour rétablir l’ordre en neutralisant des djihadistes et des miliciens qui, quelques mois auparavant, avaient été formés, préparés, armés par la France, et sponsorisés par les despotes plus effrayants qu’éclairés du Golfe Persique, afin de renverser un Kadhafi soudainement devenu infréquentable. Que vous ayez apporté vos suffrages à la droite manchote, à la gauche ambidextre ou aux billevesées des soi-disants extrêmes, vous avez eu bon dos. La classe politique est désormais immune aux verdicts des urnes, puisque les termes concrets de notre stratégie internationale sont édictés à Washington ou à Bruxelles ; et non plus soumis à votre docte examen, ô électeurs…

Ainsi, le salutaire virage de 2013-2014, qui vit notre pays se résoudre, enfin, à bombarder l’État Islamique après avoir sciemment financé, équipé et entraîné les trop fameux et fumeux « rebelles modérés », ne fut-il négocié par Messieurs Hollande et Fabius que parce qu’ils y étaient contraints et forcés : de quoi auraient-ils eu l’air, en effet, si la France avait subitement fait cavalier seul, persistant à ne frapper (par djihadistes interposés) que les troupes loyalistes syriennes, alors même que le donneur d’ordres américain entreprenait de modifier partiellement sa stratégie pour jouer Al-Qaeda contre l’État Islamique ? Réponse : ils auraient eu l’air de ce qu’ils furent quand en août-septembre 2013, le même donneur d’ordres renonça à bombarder Damas, abandonnant notre belliqueux Ministre des Affaires Étrangères en rase campagne, avec ses deux ou trois Mirage en guise de viatique pour affronter l’armée d’Al-Assad… Il y a quelque chose de pourri au Royaume de France ! Chacun de nous le sait, le sent, le voit. Dire le contraire, c’est cracher sur les cadavres de nos sœurs et de nos frères qui sont tombés cette nuit. Fi des grands principes ! Prôner la paix sans d’abord faire la guerre, et la gagner, c’est désormais juste être lâche. Cependant, il s’agit de faire la bonne guerre, la vraie : celle qui défendra les intérêts des Français, et non plus ceux de l’OTAN, de l’Arabie Saoudite, du Qatar, ou d’Israël. Ce qui est, hélas, exactement ce que nos gouvernements font depuis une dizaine d’années, au mépris de notre souveraineté comme de notre sécurité. La France est désormais une patrie sous faux drapeau, qui sert de puissance d’appoint aux intérêts soi-disant convergents du « bloc occidental. » C’est avec cette logique délétère qu’il faut impérativement rompre. Notre pays fait des guerres qui ne sont pas les siennes et qu’en outre, il ne peut pas gagner. Que ceux qui en douteraient aillent expliquer aux familles endeuillées ces dernières heures que leurs proches étaient en sécurité, protégés par des services de renseignement, une police et une armée nationales richement dotés et aux effectifs pléthoriques, obéissant à un gouvernement dont l’action internationale a été souveraine et cohérente au cours des 10 dernières années.


L’Union Sacrée paralysera-t-elle notre réflexion au point de nous empêcher, comme après les attentats de janvier dernier contre Charlie Hebdo, de prendre les seules décisions politiques qui s’imposent ? Qui doute encore qu’une guerre a lieu à l’échelle du monde, qui nécessite que nous changions nos manières de vivre et de penser ?

Qui ne voit que, même si cela froisse la susceptibilité de certains de nos alliés actuels, il y va de notre sécurité nationale de nous rapprocher d’un Hezbollah qui vient tout juste d’essuyer des attentats similaires à ceux de Saint-Denis, commis par le même ennemi ? Nul ne peut plus ignorer qu’outre cette alliance avec le Hezbollah, notre intérêt supérieur commande aussi d’appuyer officiellement Bashar Al-Assad, l’Iran et la Russie. Cela implique qu’au lieu de galvauder ce qui nous reste de crédibilité en coups de menton et en grandes phrases aussi belliqueuses qu’inutiles, nos gouvernants doivent pleinement restaurer la souveraineté de notre puissance militaire et policière.


L’histoire est écrite par les vainqueurs : alors cessez de bredouiller l’Histoire des autres et écrivez la nôtre, Monsieur le Président ! Délaissez les combats idiots (utilisation de la force publique contre des comiques, cabale anti-Poutine, etc.) ; adoptez des lois d’exception pour briser l’ennemi intérieur véritable (qui inclut tant le prêcheur takfiriste et ses ouailles prêtes au sacrifice qu’une grande partie de nos élus, puisque tant les uns que les autres sont financés par de hauts dignitaires saoudiens ou qataris) ; mettez au pas avec tous les moyens nécessaires, dussent-ils être les plus terrifiants et les plus inflexibles, ces « amis » qui nous veulent constamment du bien (M. Erdogan, suivez notre regard…) ; et tentez ce faisant de convaincre ce peuple qui vous a (vous en souvient-il?) élu qu’il vous était impossible de prévoir que les soldats de l’État Islamique, créatures de l’Occident au Moyen-Orient, finiraient par échapper au contrôle de ceux qui les mandèrent jadis abattre le régime d’Al-Assad. Si d’aventure, une fois de plus, l’Union Sacrée ne débouche sur rien, alors la libanisation de notre pays sera, je le crains, définitivement en marche. Et il ne nous restera plus qu’à pleurer pour de bon, sans secours, la mort de la France.

Source: les-crises.fr "Chronique d’une paix chaude, bouillante" par Baptiste Grasset samedi 14 novembre 2015

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Mis en ligne le 01/08/2014