Projet :Mauritanie
SNIM: Programme de recherche "minerais et eau".
Le projet
concerne l'exécution d'un programme de recherches "minerais et eau".
Le métrage est de 20 700m de sondages "minerai" dont 2200
carottés, et 15 900m de sondages "eau" dont 3500 carottés. Le
coût total des travaux ( y compris des équipements nécessaires, des mesures
géophysiques, des photos satellites et des services de conseil en
hydrogéologie) , est estimé à près de 4 millions d'ECUS et doit se dérouler sur
une période de 2 ans. Sur la base du cash flow net d'environ 5000 millions
UM en 1992 (soit 36 millions ECUS), le coût de ce programme représente
donc pour SNIM environ 10% du cash-flow annuel.
Pour apprécier
la demande de financement de SNIM, il est bon de résumer la position de
l'entreprise dans la situation actuelle de la sidérurgie mondiale:
1: La sidérurgie mondiale connaît depuis
plusieurs années une évolution qu'on peut qualifier de structurelle. On observe
dans les pays traditionnellement producteurs (Europe de l'Ouest, USA, Japon)
une stagnation voire une baisse de la production et de la consommation d'acier
par unité de PIB. Cette évolution est due à la combinaison de plusieurs
facteurs dont le ralentissement de la croissance économique est le plus
évident; mais on observe aussi une baisse de la consommation d'acier dans tous
les secteurs utilisateurs due principalement à l'emploi d'aciers de meilleure
qualité et à l'amélioration des techniques de construction, dont il résulte une
consommation plus faible par unité de valeur ajouté produite.
En dehors de pays traditionnels, la production
et la consommation de produits sidérurgiques connaît une croissance plus forte
que la moyenne mondiale mais pour des quantités actuellement plus faibles. Il
en est ainsi des pays du sud est asiatique, de l'Amérique du sud, d'Afrique et
du golfe persique. En ce qui concerne ces derniers, il existe une sidérurgie
basée sur la réduction directe de minerais de fer et l'utilisation de gaz; mais
cette sidérurgie est actuellement limitée à la production de produits
sidérurgiques "longs" et à plus faible valeur ajoutée (trains à fils et
à profilés légers).
La fin de la "guerre froide" et
l'émergence sur les marchés des pays industrialisés de l'ouest, des pays
producteurs d'acier de l'ex bloc soviétique, sont des évènements qui
contribuent présentement à des désordres graves sur les marchés des produits
sidérurgiques, tant au niveau des volumes que des prix.
2: Aujourd'hui, SNIM exploite deux gisements: la
Kédia et les Guelbs, ce dernier étant de la magnétite. La majeure partie de la
production de la Kédia est sous forme de calibrés et de fines, tandis que la
production des Guelbs est sous forme de concentrés relativement grenus
(98%<2.5mm, 30% <140µ) et qui sont vendus comme sinter feed. La capacité
de production totale est de 10-12 Mt/an de minerai marchand, dont 2Mt/an
aux Guelbs, mais la production actuelle (1990-1992) est de 8-10 Mt/an dont
1.6-1.8 Mt/an pour les Guelbs. Les réserves sont en voie d'épuisement pour
la Kedia (50Mt hématites), mais elles sont importantes pour les Guelbs (300Mt
magnétites). Le prochain gisement suffisamment reconnu pour être exploité est
celui de M'Haoudat avec une réserve de 100Mt d'hématite. La région renferme
très probablement des ressources supplémentaires de minerais de fer qui sont
reconnues soit à l'état d'indices ou d'anomalies géophysiques ou autres.
3: La mine des Guelbs procède à l'enrichissement
du minerai par broyage et séparation magnétique, avec production d'un concentré
vendu comme sinter feed pour les unités d'agglomération (30.8% < à 140µ et
98% > à 2.5mm). Etant donné le manque d'eau dans cette région désertique,
l'usine d'enrichissement des Guelbs a été conçue par voie sèche, notamment les
gros broyeurs équipements essentiels du process. L'usine des Guelbs était une
"première mondiale" en ce domaine. Malheureusement l'expérience n'a
pas été suffisamment réussie pour que l'on envisage de poursuivre davantage
dans cette voie, en construisant d'autres usines d'enrichissement semblables.
L'usine des Guelbs connaît depuis le début de sa mise en route (1983), des
difficultés continuelles qui semblent, pour le fond, liées à la voie sèche.
C'est surtout le broyage qui est le talon d'achille de cette usine (usure
rapide des pièces d'usure et problèmes d'empoussiérage). Alternativement on
aurait pu traiter en humide à Nouadhibou mais cela aurait impliqué le transport
d'un important volume de stériles sur le
chemin de fer de 600km, lequel connaît aussi ses propres difficultés
d'exploitation et d'entretien, dues au sable et à circulation de trains lourds
pour un tonnage de l'ordre de 10 Mt/an.
4: La SNIM a deux handicaps majeurs qui
affectent sa position financière sur le marché des producteurs de minerai de
fer. Ce sont:
- la distance des mines au port (600km) ce qui
impose un transport par trains lourds du minerai et de tous les intrants de
l'exploitation. Le coût de transport du minerai est de l'ordre de 2.5US$/t
(1992). On peut toutefois se demander si ce coût n'est pas en réalité
supérieur: est-ce -que toutes les composantes du coût sont bien comptées comme
il faut.
- les minerais de fer produits aujourd'hui ont
une teneur en silice plus élevée que celle des grands producteurs mondiaux
(Brésil et Australie). Une plus grande teneur en silice dans les minerais
implique la nécessité pour le haut-fourniste, d'utiliser plus de carbonate de
calcium, dont il résulte une production plus élevée de laitier et une
productivité plus faible du haut fourneau en tonnes de fonte par m3 utile de
haut-fourneau et par jour. Cette productivité peut diminuer de 2.2t/m3 j à
1.8-1.9t/m3 j soit une baisse de 15%. Dans certains cas, cette plus faible
productivité impose au sidérurgiste de maintenir en opération plus de
haut-fourneaux (un ou deux), pour assurer la production de fonte nécessaire.
Pour compenser cette baisse de productivité, le sidérurgiste négocie le prix du
minerai par référence au meilleur minerai, sur la base d'une "valeur
d'usage". Les minerais de SNIM sont donc limités par ce processus, le prix
de vente rendu Rotterdam est exprimé en US$/point fer (1point fer = 1% de
1tonne soit 10kg; ce prix est d'environ 0.24$/pt en 1993, pour les fines
d'agglomération).
- les minerais produits sont relativement moins
riches en fer que les minerais concurrents du Brésil et d'Australie. Les ventes respectives d'hématites: calibrés
(siliceux) et fines non enrichies, et de concentrés magnétites , en 1992, ont
été les suivantes (source SNIM succursale de Paris).
Ventes
1992 kt % %
Fer % silice
hématites:
-
calibrés (siliceux (1)) 1260 15.5 52 12 à 24
-
fines naturelles (2)
(20%<80µ; 59%<2.5mm) 5540 68.4 62.8 7
magnétites:
-
concentrés Guelbs (3)
30.8%<140µ & 98.6%<2.5mm) 1300 16.1 66 7
- total 8100 100.0
NB: (1) les calibrés sont les plus riches en
silice et les plus pauvres en fer, car les moins enrichis par les procédés de
préparation mécanique. Toutefois, étant donné la part relativement faible de la
SNIM dans les approvisionnements de fer des sidérurgies de la CEE, cette teneur
élevée en silice n'est pas trop pénalisante pour les calibrés que certains haut
fourneaux utilisent directement dans leur charge (10 à 15% au maximum). En
effet, parce que certains minerais brésiliens et australiens ont une teneur en
silice faible (moins de 2.5%), il faut dans certains HFs apporter de la silice
pure dans la charge, d'une part pour rendre l'aggloméré résistant
mécaniquement, d'autre part pour produire suffisamment de laitier pour une bonne désulfuration de la
fonte au haut fourneau. L'apport de silice, en plus du fer, dans le minerai
mauritanien est donc acceptable avec peu de pénalité, mais à condition que le
prix des points fer apportés, reste compétitif par rapport au coût du sable
qu'on peut toujours se procurer localement à faible prix. D'autre part, dans
les HFs modernes, on procède de plus en plus à la désulfuration de la fonte
après le HF; et la pratique se développe aujourd'hui de marcher avec des poids
de laitier de moins de 200kg/t de fonte voire moins de 150kg (notamment en
Suède) au lieu de 350-450kg comme autrefois. Il ne faut donc pas se faire trop
d'illusions sur l'intérêt de la silice des minerais mauritaniens, pour les
sidérurgistes, du moins à long terme. En conclusion, par rapport aux très bons
minerais de fer, les sidérurgistes sont d'accord pour prendre du minerai
mauritanien, mais en quantité marginale et avec une certaine décôte du point
fer.
(2) la teneur en silice, la plus faible teneur
en fer et la fraction granulométrique inférieure des fines naturelles, sont des
facteurs plus défavorables pour les chaines d'agglomération par comparaison
avec les fines d'agglomération concurrentes Brésiliennes ou Australiennes; ce
sont ces produits qui peuvent subir le plus de pénalité de prix.
(3) les concentrés magnétiques riches des Guelbs
même avec une teneur en silice un peu élevée, constituent un bon minerai, de
bonne qualité métallurgique, utilisé comme sinter feed dans les chaines
d'agglomération; mais la quantité est limitée à 2Mt/an par les problèmes de
l'usine des Guelbs déjà mentionnés.
(4) Les clients de SNIM sont, pour plus de 90%
les sidérurgistes de la CEE, (plus 200kt au Japon, 200kt au Pakistan et 300kt
aux USA).
5: La mauvaise situation de la sidérurgie
mondiale qui prévaut depuis près de 10 ans, plus particulièrement en Europe, et
les handicaps de la SNIM:
- silice élevée et faible teneurs en fer jouant
sur les prix de vente,
- transports jouant sur les coûts de production,
ont
eu des conséquences néfastes pour la viabilité financière de la SNIM. Plusieurs
plans de restructuration sont intervenus au cours des 10 dernières années.
Aujourd'hui un nouveau plan de restructuration est envisagé, avec des cessions
d'actifs, et une privatisation d'activités non directement liées à la
production. Vu la situation de quasi mono-industrie de la SNIM avec ses
activités réparties entre la région des mines, le port minéralier de Nouadhibou
et le chemin de fer minier de 600km entre les deux, ces mesures ont surtout un
caractère de "transparence des comptes"; mais elles ne modifient pas
la réalité économique.
6: La stratégie de survie que la SNIM doit
mettre en oeuvre, vu la situation actuelle et la tendance prévisible à long terme
de la sidérurgie mondiale, n'est pas facile à définir et à formuler: en effet,
le gisement de la Kedia avec ses réserves limitées est en voie d'épuisement;
les possibilités d'amélioration sont limitées mais le coût de production de ce
minerai est relativement faible car il implique surtout des coûts d'extraction
et peu de coûts de traitement. Le gisement de M'Haoudat se présente avec des
caractéristiques similaires. Quant aux Guelbs, le coup est joué et la capacité
a toutes chances de rester limitée. Dans ce contexte, les voies de recherche de
la SNIM paraissent être les suivantes:
-
augmenter la qualité du minerai des Guelbs en réduisant leur teneur en silice?
On sait en effet que les grains de silice contiennent des nodules de magnétite
qui sont entrainés dans les concentrés lors de la séparation magnétique.
L'adjonction d'unités spirales permettrait d'éliminer cette silice et de
réduire de 7 à moins de 3% la teneur des concentrés, avec un effet minime sur
le rendement poids. Mais cela implique des techniques d'enrichissement par voie
humide, et donc la disponibilité d'eau (non saumâtre) propre à ce processus industriel.
-
augmenter la part de minerais riches et réduire encore plus les teneurs en
silice? Dans ce cas, le degré de broyage nécessaire pour libérer davantage la
silice, aboutira à la production de concentrés fins qui ne pourront plus être
utilisés directement sur les chaînes d'agglomération des sidérurgistes. On aura
donc un "pellet feed", qu'il faudra pelletiser et cuire pour produire
des pellets préréduites, utilisables en réduction directe et/ou en fours
électriques. Mais alors, les contraintes relatives à la teneur en fer et en
silice seront encore plus élevées. D'autre part, l'expérience industrielle
mondiale montre que les pellets cuites sont produites à proximité des sites
miniers. Il se posera donc à nouveau le problème de transport ou non, des
concentrés (très fins) vers Nouadhibou. Compte tenu des difficultés de
transport de concentrés fins par chemin de fer (ce qui nécessiterait des wagons
spéciaux dans ce pays à vents de sable violents), il est vraisemblable que la
cuisson des pellets devra se faire sur les sites miniers. Cela impliquera donc
le transport de fuel depuis Nouadhibou. Il y aura aussi un grand problème de
marché: en effet, les utilisateurs de ces pellets sont les sidérurgies basées
sur le four électrique et plus la réduction directe. Les réductions directes
qui ne disposent pas de source de minerai à proximité sont actuellement dans
les pays du golfe persique. Il existe d'autres projets sur le pourtour de la
Méditerranée, notamment Nador au Maroc, mais ces projets piétinent pour des
raisons de montants d'investissements nécessaires et d'attentisme lié à la
situation sidérurgique mondiale.
Telles sont
les considérations qui, nous semble-t-il, doivent être prises en compte pour
apprécier la demande de financement d'un programme d'exploration "minerais
et eau" de la SNIM. Nous avons conscience qu'elles manquent de données
quantitatives. Il serait intéressant de pouvoir affiner l'analyse si nous
disposions des données nécessaires.
Sur ces bases, CT est d'avis de donner un
avis défavorable pour les raisons suivantes:
- La SNIM manque, d'une perspective stratégique
à long terme. L'enjeu est la continuation de la SNIM comme fournisseur de la
sidérurgie de la CE.
- Les recherches géologiques "minerais et
eau" entrent dans les activités normales d'une société minière qui doit
renouveler ses réserves extraites, par des recherches d'extensions et d'indices
et même de gisements cachés. Le montant total du coût de l'opération sur 2 ans
(4 millions ECUS) représente environ 5% du cashflow 1992 (cf statistiques de
production SNIM 1986-1992). Les recherches en "minerai et en eau" sont
capitales mais elles doivent s'inscrire dans un plan stratégique à long terme
de la SNIM.
- Le montant de 4 millions d'ECUS est dérisoire
compte tenu des enjeux économiques et techniques évoqués plus haut. Il faut
noter que, d'expérience internationale, l'ensemble des études, recherches et
travaux préalables à un projet de "mine de fer et concentration de
produits pré-réduits", représente un coût du même ordre que celui des
investissements. Il sera en particulier nécessaire de procéder à des essais pilotes
de pelletisation, de cuisson des pellets et d'utilisation des pellets en
réduction directe ou four électrique. La sensibilité technique et économique de
ces procédés à l'égard de la silice est en effet beaucoup plus grande que pour
le haut-fourneau. De tels essais sont d'une importance capitale et d'un coût
beaucoup plus élevé que des recherches par sondages.
- La perspective de réalisation d'investissements industriels qui résulteraient de ce programme de recherches à moyen ou long terme, nous parait très problématique; il parait peu probable que de tels investissements aient lieu avant longtemps.