AVIS SUR UN PROGRAMME DE RECHERCHES DE SNIM AVEC DEMANDE DE FINANCEMENT À LA BEI (1994).

Projet    :Mauritanie SNIM: Programme de recherche "minerais et eau".

Réf.       :demande PA du 22/7/1993

Le projet concerne l'exécution d'un programme de recherches "minerais et eau". Le métrage est de 20 700m de sondages "minerai" dont 2200 carottés, et 15 900m de sondages "eau" dont 3500 carottés. Le coût total des travaux ( y compris des équipements nécessaires, des mesures géophysiques, des photos satellites et des services de conseil en hydrogéologie) , est estimé à près de 4 millions d'ECUS et doit se dérouler sur une période de 2 ans. Sur la base du cash flow net d'environ 5000 millions UM en 1992 (soit 36 millions ECUS), le coût de ce programme représente donc pour SNIM environ 10% du cash-flow annuel.

Pour apprécier la demande de financement de SNIM, il est bon de résumer la position de l'entreprise dans la situation actuelle de la sidérurgie mondiale:

1: La sidérurgie mondiale connaît depuis plusieurs années une évolution qu'on peut qualifier de structurelle. On observe dans les pays traditionnellement producteurs (Europe de l'Ouest, USA, Japon) une stagnation voire une baisse de la production et de la consommation d'acier par unité de PIB. Cette évolution est due à la combinaison de plusieurs facteurs dont le ralentissement de la croissance économique est le plus évident; mais on observe aussi une baisse de la consommation d'acier dans tous les secteurs utilisateurs due principalement à l'emploi d'aciers de meilleure qualité et à l'amélioration des techniques de construction, dont il résulte une consommation plus faible par unité de valeur ajouté produite.

En dehors de pays traditionnels, la production et la consommation de produits sidérurgiques connaît une croissance plus forte que la moyenne mondiale mais pour des quantités actuellement plus faibles. Il en est ainsi des pays du sud est asiatique, de l'Amérique du sud, d'Afrique et du golfe persique. En ce qui concerne ces derniers, il existe une sidérurgie basée sur la réduction directe de minerais de fer et l'utilisation de gaz; mais cette sidérurgie est actuellement limitée à la production de produits sidérurgiques "longs" et à plus faible valeur ajoutée (trains à fils et à profilés légers).

La fin de la "guerre froide" et l'émergence sur les marchés des pays industrialisés de l'ouest, des pays producteurs d'acier de l'ex bloc soviétique, sont des évènements qui contribuent présentement à des désordres graves sur les marchés des produits sidérurgiques, tant au niveau des volumes que des prix.

2: Aujourd'hui, SNIM exploite deux gisements: la Kédia et les Guelbs, ce dernier étant de la magnétite. La majeure partie de la production de la Kédia est sous forme de calibrés et de fines, tandis que la production des Guelbs est sous forme de concentrés relativement grenus (98%<2.5mm, 30% <140µ) et qui sont vendus comme sinter feed. La capacité de production totale est de 10-12  Mt/an de minerai marchand, dont 2Mt/an aux Guelbs, mais la production actuelle (1990-1992) est de 8-10 Mt/an dont 1.6-1.8 Mt/an pour les Guelbs. Les réserves sont en voie d'épuisement pour la Kedia (50Mt hématites), mais elles sont importantes pour les Guelbs (300Mt magnétites). Le prochain gisement suffisamment reconnu pour être exploité est celui de M'Haoudat avec une réserve de 100Mt d'hématite. La région renferme très probablement des ressources supplémentaires de minerais de fer qui sont reconnues soit à l'état d'indices ou d'anomalies géophysiques ou autres.

3: La mine des Guelbs procède à l'enrichissement du minerai par broyage et séparation magnétique, avec production d'un concentré vendu comme sinter feed pour les unités d'agglomération (30.8% < à 140µ et 98% > à 2.5mm). Etant donné le manque d'eau dans cette région désertique, l'usine d'enrichissement des Guelbs a été conçue par voie sèche, notamment les gros broyeurs équipements essentiels du process. L'usine des Guelbs était une "première mondiale" en ce domaine. Malheureusement l'expérience n'a pas été suffisamment réussie pour que l'on envisage de poursuivre davantage dans cette voie, en construisant d'autres usines d'enrichissement semblables. L'usine des Guelbs connaît depuis le début de sa mise en route (1983), des difficultés continuelles qui semblent, pour le fond, liées à la voie sèche. C'est surtout le broyage qui est le talon d'achille de cette usine (usure rapide des pièces d'usure et problèmes d'empoussiérage). Alternativement on aurait pu traiter en humide à Nouadhibou mais cela aurait impliqué le transport d'un important volume de  stériles sur le chemin de fer de 600km, lequel connaît aussi ses propres difficultés d'exploitation et d'entretien, dues au sable et à circulation de trains lourds pour un tonnage de l'ordre de 10 Mt/an.

4: La SNIM a deux handicaps majeurs qui affectent sa position financière sur le marché des producteurs de minerai de fer. Ce sont:

- la distance des mines au port (600km) ce qui impose un transport par trains lourds du minerai et de tous les intrants de l'exploitation. Le coût de transport du minerai est de l'ordre de 2.5US$/t (1992). On peut toutefois se demander si ce coût n'est pas en réalité supérieur: est-ce -que toutes les composantes du coût sont bien comptées comme il faut.

- les minerais de fer produits aujourd'hui ont une teneur en silice plus élevée que celle des grands producteurs mondiaux (Brésil et Australie). Une plus grande teneur en silice dans les minerais implique la nécessité pour le haut-fourniste, d'utiliser plus de carbonate de calcium, dont il résulte une production plus élevée de laitier et une productivité plus faible du haut fourneau en tonnes de fonte par m3 utile de haut-fourneau et par jour. Cette productivité peut diminuer de 2.2t/m3 j à 1.8-1.9t/m3 j soit une baisse de 15%. Dans certains cas, cette plus faible productivité impose au sidérurgiste de maintenir en opération plus de haut-fourneaux (un ou deux), pour assurer la production de fonte nécessaire. Pour compenser cette baisse de productivité, le sidérurgiste négocie le prix du minerai par référence au meilleur minerai, sur la base d'une "valeur d'usage". Les minerais de SNIM sont donc limités par ce processus, le prix de vente rendu Rotterdam est exprimé en US$/point fer (1point fer = 1% de 1tonne soit 10kg; ce prix est d'environ 0.24$/pt en 1993, pour les fines d'agglomération).

- les minerais produits sont relativement moins riches en fer que les minerais concurrents du Brésil et d'Australie.  Les ventes respectives d'hématites: calibrés (siliceux) et fines non enrichies, et de concentrés magnétites , en 1992, ont été les suivantes (source SNIM succursale de Paris).

Ventes 1992                                 kt               %        % Fer      % silice

hématites:

- calibrés (siliceux (1))              1260            15.5               52       12 à 24

- fines naturelles (2)
(20%<80µ; 59%<2.5mm)        5540            68.4            62.8                 7

magnétites:

- concentrés Guelbs (3)
30.8%<140µ & 98.6%<2.5mm) 1300          16.1               66                 7

- total                                                          8100          100.0

NB: (1) les calibrés sont les plus riches en silice et les plus pauvres en fer, car les moins enrichis par les procédés de préparation mécanique. Toutefois, étant donné la part relativement faible de la SNIM dans les approvisionnements de fer des sidérurgies de la CEE, cette teneur élevée en silice n'est pas trop pénalisante pour les calibrés que certains haut fourneaux utilisent directement dans leur charge (10 à 15% au maximum). En effet, parce que certains minerais brésiliens et australiens ont une teneur en silice faible (moins de 2.5%), il faut dans certains HFs apporter de la silice pure dans la charge, d'une part pour rendre l'aggloméré résistant mécaniquement, d'autre part pour produire suffisamment de  laitier pour une bonne désulfuration de la fonte au haut fourneau. L'apport de silice, en plus du fer, dans le minerai mauritanien est donc acceptable avec peu de pénalité, mais à condition que le prix des points fer apportés, reste compétitif par rapport au coût du sable qu'on peut toujours se procurer localement à faible prix. D'autre part, dans les HFs modernes, on procède de plus en plus à la désulfuration de la fonte après le HF; et la pratique se développe aujourd'hui de marcher avec des poids de laitier de moins de 200kg/t de fonte voire moins de 150kg (notamment en Suède) au lieu de 350-450kg comme autrefois. Il ne faut donc pas se faire trop d'illusions sur l'intérêt de la silice des minerais mauritaniens, pour les sidérurgistes, du moins à long terme. En conclusion, par rapport aux très bons minerais de fer, les sidérurgistes sont d'accord pour prendre du minerai mauritanien, mais en quantité marginale et avec une certaine décôte du point fer.

(2) la teneur en silice, la plus faible teneur en fer et la fraction granulométrique inférieure des fines naturelles, sont des facteurs plus défavorables pour les chaines d'agglomération par comparaison avec les fines d'agglomération concurrentes Brésiliennes ou Australiennes; ce sont ces produits qui peuvent subir le plus de pénalité de prix.

(3) les concentrés magnétiques riches des Guelbs même avec une teneur en silice un peu élevée, constituent un bon minerai, de bonne qualité métallurgique, utilisé comme sinter feed dans les chaines d'agglomération; mais la quantité est limitée à 2Mt/an par les problèmes de l'usine des Guelbs déjà mentionnés.

(4) Les clients de SNIM sont, pour plus de 90% les sidérurgistes de la CEE, (plus 200kt au Japon, 200kt au Pakistan et 300kt aux USA).

5: La mauvaise situation de la sidérurgie mondiale qui prévaut depuis près de 10 ans, plus particulièrement en Europe, et les handicaps de la SNIM:

- silice élevée et faible teneurs en fer jouant sur les prix de vente,

- transports jouant sur les coûts de production,

          ont eu des conséquences néfastes pour la viabilité financière de la SNIM. Plusieurs plans de restructuration sont intervenus au cours des 10 dernières années. Aujourd'hui un nouveau plan de restructuration est envisagé, avec des cessions d'actifs, et une privatisation d'activités non directement liées à la production. Vu la situation de quasi mono-industrie de la SNIM avec ses activités réparties entre la région des mines, le port minéralier de Nouadhibou et le chemin de fer minier de 600km entre les deux, ces mesures ont surtout un caractère de "transparence des comptes"; mais elles ne modifient pas la réalité économique.

6: La stratégie de survie que la SNIM doit mettre en oeuvre, vu la situation actuelle et la tendance prévisible à long terme de la sidérurgie mondiale, n'est pas facile à définir et à formuler: en effet, le gisement de la Kedia avec ses réserves limitées est en voie d'épuisement; les possibilités d'amélioration sont limitées mais le coût de production de ce minerai est relativement faible car il implique surtout des coûts d'extraction et peu de coûts de traitement. Le gisement de M'Haoudat se présente avec des caractéristiques similaires. Quant aux Guelbs, le coup est joué et la capacité a toutes chances de rester limitée. Dans ce contexte, les voies de recherche de la SNIM paraissent être les suivantes:

     - augmenter la qualité du minerai des Guelbs en réduisant leur teneur en silice? On sait en effet que les grains de silice contiennent des nodules de magnétite qui sont entrainés dans les concentrés lors de la séparation magnétique. L'adjonction d'unités spirales permettrait d'éliminer cette silice et de réduire de 7 à moins de 3% la teneur des concentrés, avec un effet minime sur le rendement poids. Mais cela implique des techniques d'enrichissement par voie humide, et donc la disponibilité d'eau (non saumâtre)  propre à ce processus industriel.

     - augmenter la part de minerais riches et réduire encore plus les teneurs en silice? Dans ce cas, le degré de broyage nécessaire pour libérer davantage la silice, aboutira à la production de concentrés fins qui ne pourront plus être utilisés directement sur les chaînes d'agglomération des sidérurgistes. On aura donc un "pellet feed", qu'il faudra pelletiser et cuire pour produire des pellets préréduites, utilisables en réduction directe et/ou en fours électriques. Mais alors, les contraintes relatives à la teneur en fer et en silice seront encore plus élevées. D'autre part, l'expérience industrielle mondiale montre que les pellets cuites sont produites à proximité des sites miniers. Il se posera donc à nouveau le problème de transport ou non, des concentrés (très fins) vers Nouadhibou. Compte tenu des difficultés de transport de concentrés fins par chemin de fer (ce qui nécessiterait des wagons spéciaux dans ce pays à vents de sable violents), il est vraisemblable que la cuisson des pellets devra se faire sur les sites miniers. Cela impliquera donc le transport de fuel depuis Nouadhibou. Il y aura aussi un grand problème de marché: en effet, les utilisateurs de ces pellets sont les sidérurgies basées sur le four électrique et plus la réduction directe. Les réductions directes qui ne disposent pas de source de minerai à proximité sont actuellement dans les pays du golfe persique. Il existe d'autres projets sur le pourtour de la Méditerranée, notamment Nador au Maroc, mais ces projets piétinent pour des raisons de montants d'investissements nécessaires et d'attentisme lié à la situation sidérurgique mondiale.

Telles sont les considérations qui, nous semble-t-il, doivent être prises en compte pour apprécier la demande de financement d'un programme d'exploration "minerais et eau" de la SNIM. Nous avons conscience qu'elles manquent de données quantitatives. Il serait intéressant de pouvoir affiner l'analyse si nous disposions des données nécessaires.


       Sur ces bases, CT est d'avis de donner un avis défavorable pour les raisons suivantes:

- La SNIM manque, d'une perspective stratégique à long terme. L'enjeu est la continuation de la SNIM comme fournisseur de la sidérurgie de la CE.

- Les recherches géologiques "minerais et eau" entrent dans les activités normales d'une société minière qui doit renouveler ses réserves extraites, par des recherches d'extensions et d'indices et même de gisements cachés. Le montant total du coût de l'opération sur 2 ans (4 millions ECUS) représente environ 5% du cashflow 1992 (cf statistiques de production SNIM 1986-1992). Les recherches en "minerai et en eau" sont capitales mais elles doivent s'inscrire dans un plan stratégique à long terme de la SNIM.

- Le montant de 4 millions d'ECUS est dérisoire compte tenu des enjeux économiques et techniques évoqués plus haut. Il faut noter que, d'expérience internationale, l'ensemble des études, recherches et travaux préalables à un projet de "mine de fer et concentration de produits pré-réduits", représente un coût du même ordre que celui des investissements. Il sera en particulier nécessaire de procéder à des essais pilotes de pelletisation, de cuisson des pellets et d'utilisation des pellets en réduction directe ou four électrique. La sensibilité technique et économique de ces procédés à l'égard de la silice est en effet beaucoup plus grande que pour le haut-fourneau. De tels essais sont d'une importance capitale et d'un coût beaucoup plus élevé que des recherches par sondages.

- La perspective de réalisation d'investissements industriels qui résulteraient de ce programme de recherches à moyen ou long terme, nous parait très problématique; il parait peu probable que de tels investissements aient lieu avant longtemps.