Dix questions pour la présidentielle 2022. Source Alternatives économiques "10 questions qui fachent"

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Contents
  1. Faut-il avoir peur de la dette ?
  2. Faut-il continuer à baisser les impôts ?
  3. Faut-il travailler plus longtemps ?
  4. Faut-il augmenter les salaires ?
  5. Faut-il construire de nouveaux réacteurs nucléaires ?
  6. Faut-il davantage taxer le carbone ?
  7. Faut-il fermer les frontières ?
  8. Faut-il faire du protectionnisme industriel en Europe ?
  9. Faut-il une Europe plus fédérale ?
  10. Faut-il en finir avec la Ve République ?

1: Faut-il avoir peur de la dette ?

Insoutenable pour la droite, annulable pour une partie de la gauche, la dette publique alimente les controverses de la campagne présidentielle. Pourtant, le coût de cette dette est au plus bas.

Le retour en grâce transpartisan de la dette publique n’a duré que quelques mois. A la faveur du rebond de l’économie après les confinements, le « quoi qu’il en coûte » gouvernemental a perdu son aura et les appels au retour à une gestion raisonnable des finances publiques se multiplient. « La dette en France est une situation qui impose de la vigilance », a déclaré Emmanuel Macron le 15 décembre.

Même si, à droite, le thème de la faillite est moins instrumentalisé qu’en 2017, note Olivier Passet, directeur de la recherche du cabinet d’études économiques Xerfi, le niveau d’endettement de la France est régulièrement agité pour justifier des réformes. Afin de le réduire, Valérie Pécresse mise sur des baisses de dépenses publiques nettes de l’ordre de 45 milliards d’euros d’ici à 2027.

A gauche, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel et Yannick Jadot plaident pour une annulation partielle de la dette publique. Anne Hidalgo, qui a laissé de côté cette épineuse question, mise sur « une fiscalité plus juste » pour augmenter les rentrées fiscales et assurer une « trajectoire soutenable des finances publiques ».
Une charge d’intérêt particulièrement faible

Légèrement sous la barre des 100 % en 2019, la dette publique atteignait 116,3 % du produit intérieur brut (PIB) au 3e trimestre 2021, soit un peu plus de 2 800 milliards d’euros. Mais ce chiffre brandi comme un repoussoir ne peut suffire à justifier une vision catastrophiste de la dette. D’abord, parce que mesurer notre endettement par l’intermédiaire du ratio dette/PIB n’a guère de sens. La dette est une variable dite de « stock », c’est-à-dire qui se cumule dans le temps. Le PIB, quant à lui, mesure la richesse créée par une économie en un an. C’est donc un flux. Imaginez, si pour vous accorder un prêt, votre banquier devait s’assurer que vous aviez, grâce à vos revenus, de quoi rembourser la somme empruntée en l’espace d’un an. Il conclurait souvent à une situation trop risquée. Or, en réalité, la charge des intérêts de l’Etat, c’est-à-dire le montant des intérêts qu’il paye chaque année sur sa dette, n’a jamais été aussi faible depuis plus de quarante ans. De 3 % du PIB dans les années 2000, elle est passée aujourd’hui à 1 %, alors que notre dette a doublé sur la période en proportion du PIB. Cette configuration permet à l’Etat de facilement « rouler sa dette », c’est-à-dire d’en souscrire une nouvelle à moindre coût pour rembourser l’ancienne. Car contrairement aux particuliers à qui on les compare trop souvent, les Etats ont une durée de vie infinie, et donc des contraintes différentes pour gérer leur endettement dans le temps.

La configuration actuelle est permise par la politique que la Banque centrale européenne (BCE) conduit depuis la crise financière, et qu’elle a renforcée avec la pandémie. L’institution contribue en effet par différents canaux à maintenir les coûts de financement des Etats à des niveaux très faibles. En cas de retour de l’inflation, la BCE pourrait, il est vrai, envisager de relever ses taux d’intérêt pour ralentir l’économie et respecter son mandat de stabilité des prix. « Si la banque centrale fait bien son métier, les taux d’intérêt remonteront quand il y aura de l’inflation et de la croissance », précise toutefois Henri Sterdyniak, des Economistes atterrés. C’est-à-dire quand l’économie sera en meilleur état et que nous aurons davantage de rentrées fiscales à disposition pour faire face au coût de notre dette. Cela ne veut pas dire pour autant que la situation actuelle est idéale, car la politique de la BCE augmente les inégalités en faisant, entre autres, monter les prix de l’immobilier et donc le patrimoine de ceux qui sont propriétaires. Il n’est donc pas interdit de se préoccuper de la manière dont nous pouvons réduire notre niveau de dette publique.

Mais aujourd’hui, parler de remboursement de la dette – ou plus justement de sa stabilisation puisque les Etats ont une durée de vie infinie – revient trop souvent à lister des coupes de dépenses publiques. La France a récemment présenté à la Commission européenne son programme de stabilité budgétaire à horizon 2027, où est inscrite une augmentation des dépenses publiques de 0,7 % par an (en volume). C’est moins que pour la période 2011-2019, durant laquelle avaient pourtant été mises en place des mesures difficiles (recul de deux ans de l’âge minimal de départ en retraite, gel de la valeur du point d’indice de la fonction publique…). Or, précise l’Institut Montaigne 1, pourtant peu habitué à défendre la dépense publique, « de nombreux besoins nouveaux sont apparus au cours des dernières années » (transition écologique, accessibilité des services publics…), qui poussent mécaniquement nos dépenses à la hausse, en l’occurrence de 1,7 % par an. Pour tenir les objectifs présentés à Bruxelles, il faut trouver 70 milliards d’euros d’économies d’ici à 2027.

D’autres options existent pourtant : lutter contre les paradis fiscaux, augmenter la fiscalité sur les plus riches et sur le capital. Parler de dette ne se résume donc pas à discuter de la manière dont nous souhaitons organiser l’austérité, mais plutôt à réfléchir aux investissements que nous pouvons (et devons) réaliser pour construire une société plus juste et plus résiliente face au changement climatique. Ainsi qu’aux différentes ressources qu’il est possible de mettre en face.

2: Faut-il continuer à baisser les impôts ?

Les partisans des baisses d’impôts estiment que les prélèvements obligatoires excessifs brident l’innovation, mais les preuves manquent. En revanche, ces mêmes impôts peuvent financer des investissements publics indispensables.

Les politiques de baisse des impôts promettent un gain de compétitivité aux pays qui les mettent en œuvre. L’école de commerce suisse IMD (International Institute for Management Development) calcule depuis plus de vingt ans un indice de compétitivité des économies. Lorsque l’on rapproche leur classement pour 2021 du niveau des recettes fiscales des pays considérés, on s’aperçoit… qu’il n’existe absolument aucun lien entre les deux. On trouve des pays très compétitifs et très peu fiscalisés, comme la Suisse et Singapour, tandis que les pays d’Europe du Nord (Suède, Danemark, Norvège) affichent de solides résultats avec une fiscalité forte. Un pays peut beaucoup prélever et être très compétitif, les déterminants sont ailleurs (qualité des infrastructures, des produits, etc.).

On pourrait alors au moins se dire qu’un niveau élevé d’impôts bride l’innovation. Les individus et les entreprises, trop taxés, n’ont pas envie d’innover si le résultat de leur travail part dans les caisses de l’Etat. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi) publie un classement des économies les plus innovantes que l’on peut rapprocher du niveau des prélèvements fiscaux. Résultat : là encore, un gros nuage de points, soit aucune corrélation, et encore moins de causalité, entre les deux variables.
Hors course

Indéniablement, la France a fait le choix d’un niveau de prélèvements élevé. Selon le classement de « compétitivité fiscale » de la Tax Foundation américaine, sur les 37 pays étudiés, elle pointe en 2021 à la 35e place ! Sa position s’est améliorée entre 2014 et 2021, car elle était alors la dernière. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) et autres allègements d’impôts du quinquennat d’Emmanuel Macron n’ont guère fait progresser notre pays dans le classement. En fait, pour rejoindre les premiers de cordée fiscaux, il faudrait diminuer le poids des prélèvements obligatoires d’un peu plus de 13 points de produit intérieur brut (PIB). C’est-à-dire mettre à plat notre système de protection sociale. Tout en sachant que la course au moins-disant fiscal est sans fin : on trouvera toujours d’autres pays pour diminuer leurs prélèvements plus vite, plus loin, ruinant la stratégie adoptée.

Enfin, multiplier les baisses d’impôts finit par poser un problème budgétaire. L’ensemble de l’échiquier politique français réclame désormais plus d’investissements publics : pour lutter contre le réchauffement climatique, pour numériser l’économie, renforcer notre système de santé, etc. Lorsque l’on augmente les investissements et que l’on baisse les impôts, le déficit budgétaire s’accroît, et donc la dette publique, ce que les partisans des baisses d’impôts voient d’un mauvais œil.

Comment sortir de ce dilemme ? En réduisant les autres « dépenses publiques », en fait les transferts liés à la protection sociale. Mais cela met les gens dans la rue. En améliorant l’efficacité de la dépense publique ? Cela permettrait sûrement d’économiser quelques milliards, ce qui n’est pas négligeable mais reste très loin d’être un montant suffisant pour maîtriser les déficits. Une quadrature du cercle budgétaire à laquelle les antitaxes n’apportent pas de réponse crédible.

3: Faut-il travailler plus longtemps ?

« Si l’on vit plus longtemps, il faut travailler plus longtemps. » Logique ? Sauf que l’affirmation ne se vérifie pas pour tout le monde, et que le déficit du régime de retraite est parti pour se résorber.

La réduction du temps de travail est un marqueur clivant de la campagne. A gauche, la semaine de 32 heures, voire celle de 4 jours à la carte, revient en grâce. A droite, en revanche, Les Républicains ne cachent pas leur volonté de réduire en miettes les derniers vestiges des 35 heures par le rachat au salarié de ses RTT non prises, voire la défiscalisation totale des heures supplémentaires, au détriment du partage du travail.

Cette ligne de fracture se retrouve sur la retraite. Les candidats avancent tous « leur » âge légal de départ. La gauche oscille entre le statu quo à 62 ans et un retour à 60 ans, proposition partagée par la candidate RN qui détonne dans le paysage. Car, à droite, Valérie Pécresse se prononce pour un passage progressif à 64, puis 65 ans. Quant à Emmanuel Macron, qui a renoncé à sa réforme de retraite à points, crise sanitaire oblige, il entend bien prolonger la durée de vie au boulot. « Puisqu’on vit plus longtemps, il faut travailler plus longtemps », répète-t-il en substance.
Retraite grignotée

Mais est-ce si patent ? L’espérance de vie à la naissance pourrait bien repartir à la hausse dans les années qui viennent, mais depuis 2014, elle a plutôt tendance à stagner. Enjeu supplémentaire pour les pensionnés : travailler plus longtemps risque-t-il de grignoter la durée moyenne passée à la retraite ? C’est déjà le cas. N’en déplaise à Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, qui affirmait le 24 janvier sur BFM TV : « En 1981, quand le président Mitterrand a fait la retraite à 60 ans, on avait dix-sept ans d’espérance de vie à la retraite. Aujourd’hui, on en a plus de trente. » Or, en 2009, les actifs qui sont partis à 60 ans (génération 1949) pouvaient espérer passer 26,3 ans en moyenne en retraite. Et c’était avant le report de l’âge de 60 à 62 ans, décidé en 2011. La génération 1955 (62 ans en 2017) a ainsi perdu un an et deux mois et demi. Il faudra attendre la génération née en 1973 pour retrouver le niveau d’espérance de vie à la retraite de la génération 1949. A moins qu’un nouveau report de l’âge légal éloigne l’horizon de ce rattrapage.

Sachant en outre que l’espérance de vie est très inégalement répartie. Sur la période 2012-2016, treize années séparent les 5 % d’hommes les plus pauvres des 5 % les plus aisés. Un écart de huit ans pour les femmes. Ne pas résoudre en amont les inégalités entre femmes et hommes, carrières complètes et heurtées, cadres et ouvriers, métiers pénibles ou pas, c’est s’exposer, comme à chaque nouvelle réforme, à une explosion des arrêts maladie, à des licenciements et à un allongement de la période « ni en emploi-ni en retraite » pendant laquelle les salariés vivent des prestations sociales ou de la solidarité familiale.

Les plus de 55 ans restent les mal-aimés des entreprises, comme en témoigne une enquête Pôle emploi-Apec. 51 % des demandeurs d’emploi de cette tranche d’âge sont inscrits sur les listes du service public de l’emploi depuis plus de deux ans. Et leurs finances sont loin d’être florissantes. 21 % des non-cadres de plus de 55 ans au chômage perçoivent le RSA (9 % des cadres). Une mauvaise affaire pour l’Etat qui perd les cotisations sociales de salariés privés d’emploi et se voit contraint de leur verser des minima sociaux.
Pas le feu au lac

Et pourtant, c’est bien – et surtout – la perspective d’un trou dans les finances qui motive les promoteurs d’un allongement de la durée de vie au travail. Y a-t-il pour autant le feu au lac ? Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) de juin 2021 est plutôt rassurant. Et ce, même en tenant compte de l’année exceptionnelle de 2020, qui a creusé le déficit, et du vieillissement de la population. A législation inchangée, les projections à 2070 vont d’un retour à l’équilibre dès 2030 dans certains scénarios à un déficit constant sur les cinquante prochaines années. Ce qui traduit un problème de recettes.

Côté dépenses, les pensions, exprimées en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), ont grimpé à 14,7 % en 2020, mais elles devraient revenir, une fois les incertitudes liées à la crise sanitaire dissipées, à leur niveau pré-Covid (13,7 %) et s’y maintenir sur la décennie, avant de décliner à partir de 2030 dans tous les scénarios du COR, sous l’effet des réformes passées. Cette trajectoire, synonyme de baisse de niveau de vie, n’est pas une bonne nouvelle pour les retraités qui seront plus nombreux. Mais cette question n’est pas au cœur de la campagne.

4: Faut-il augmenter les salaires ?

Si un consensus politique s’est formé sur la nécessité d’augmenter les salaires, le discours de certains prétendants à l’Elysée sur ce sujet peut être trompeur.

Valérie Pécresse veut plus 10 % sur les salaires de moins de 3 000 euros tout comme Marine Le Pen. Quant à Eric Zemmour, il augmente le Smic net de 105 euros par mois. Sans surprise, la gauche n’est pas en reste. Anne Hidalgo veut rehausser immédiatement le Smic de 20 %, comme Fabien Roussel, et elle entend doubler le salaire des enseignants. Yannick Jadot se contente, lui, de porter le Smic à 1 400 euros net, comme Jean-Luc Mélenchon, tout en dégelant le point d’indice des fonctionnaires.

Bref, dans un contexte où l’inflation est repartie et où le chômage diminue, le consensus semble général pour augmenter fortement les salaires. Cela change par rapport aux élections antérieures. D’habitude, en effet, tous les « partis de gouvernement » reprenaient au contraire la rengaine du « coût du travail qui est trop élevé et qu’il faut baisser ».
Faible Smic français

Alors, n’y a-t-il plus de problème du coût du travail en France ? En fait, il n’y en a jamais eu vraiment. Selon la Commission européenne, c’est bien simple : le coût du travail a moins augmenté dans l’Hexagone depuis vingt ans que dans tous les autres pays d’Europe, à l’exception de Chypre et de la Grèce. Quant au Smic, les salaires minimaux britannique, allemand, belge, néerlandais, luxembourgeois et irlandais lui sont supérieurs désormais. Enfin, la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises est restée stable en France ces dernières années, alors qu’elle a crû fortement chez nos voisins allemands. Elle dépasse désormais le niveau français selon la Commission.

Est-ce à dire, donc, que les différents candidats ont raison de promettre des hausses de salaires significatives (même si en dehors du Smic et des salaires du secteur public, cela ne dépend pas directement du gouvernement) ? Il existe en effet des marges de manœuvre. Cela d’autant plus que la plupart de nos voisins s’orientent eux aussi vers des hausses de salaires substantielles.

Pas sûr cependant que ces hausses se traduisent par une augmentation aussi importante qu’espérée du pouvoir d’achat, compte tenu du niveau relativement élevé désormais de l’inflation. De plus, le déficit des comptes extérieurs français reste préoccupant. Il s’est même aggravé ces derniers mois avec la forte hausse de la facture énergétique.
Supercherie

Ces promesses de hausses de salaires relèvent cependant pour une part de la supercherie chez Eric Zemmour, Valérie Pécresse ou encore Marine Le Pen. S’ils promettent bien des hausses de salaires nets importantes, celles-ci sont associées en réalité à des baisses de cotisations sociales afin d’en limiter l’impact sur le coût du travail. Sans jamais bien entendu préciser quelles prestations sociales seront réduites en conséquence ou quelles autres recettes seront mobilisées pour compenser le trou dans les comptes sociaux. Une entourloupe.

5: Faut-il construire de nouveaux réacteurs nucléaires ?

Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé une relance de l’industrie de l’atome à la veille de l’élection, des alternatives crédibles existent. Décryptage.

Le 10 février dernier à Belfort, Emmanuel Macron a confirmé son choix de relancer massivement le nucléaire s’il était réélu. Les avantages économiques de cette option (ou réputés tels) valent-ils d’en courir les risques élevés ? Les positions évoluent selon les événements et la mémoire que l’on en garde. Si 51 % des Français se disent...

Le 10 février dernier à Belfort, Emmanuel Macron a confirmé son choix de relancer massivement le nucléaire s’il était réélu. Les avantages économiques de cette option (ou réputés tels) valent-ils d’en courir les risques élevés ? Les positions évoluent selon les événements et la mémoire que l’on en garde. Si 51 % des Français se disent favorables à la construction de nouveaux réacteurs 1, en juin 2013, peu après le drame de Fukushima, 60 % voulaient sortir de l’atome.

Ce clivage n’épouse qu’en partie les divisions politiques. A gauche, la majorité se retrouve sur la position historique des Verts d’une sortie progressive du nucléaire, mais à un rythme plus ou moins rapide selon les candidats. De la droite libérale (En marche) à l’extrême droite, tous prônent la poursuite dans la voie du nucléaire. Les distinctions portent sur la composition du mix électrique : si Marine Le Pen et Eric Zemmour veulent faire la guerre aux éoliennes, Valérie Pécresse et Emmanuel Macron prônent leur développement au ralenti au sol.
Trancher maintenant

Pourquoi ce sujet est-il devenu si important ? Parce que la question qui fâche, relancer ou pas le nucléaire, n’a jusqu’ici jamais été tranchée et que la France n’a plus la possibilité de différer ce choix. Les 56 réacteurs en activité, massivement entrés en service dans la décennie 1980, deviennent âgés. Ils ont été conçus pour une durée théorique de fonctionnement de quarante ans, un seuil qu’ils atteignent à présent. Si le principe de leur prolongation jusqu’à cinquante ans a été validé en 2021 par l’Autorité de sûreté nucléaire (ce qui ne vaut pas autorisation réacteur par réacteur), il n’est pas démontré qu’il soit possible de les pousser plus loin. Et quoi qu’il en soit, ces unités seront pratiquement toutes hors service au milieu du siècle.

Il faut donc décider par quoi on va remplacer ces moyens de production, sachant que pour combattre le réchauffement climatique, il est exclu de recourir aux énergies fossiles. Par ailleurs, les temps de construction d’une centrale sont si longs que si des décisions ne sont pas prises au début du quinquennat, la France va avoir de gros problèmes d’approvisionnement électrique vers 2035. D’autant que pour décarboner son économie, l’Hexagone devra aussi accroître sa production d’électricité, à partir de moyens n’émettant pas de CO2, à destination des transports, du logement, de l’industrie…

Que choisir ? Lancer des nouveaux réacteurs pour sécuriser les besoins électriques de demain ? Ou ne miser que sur les renouvelables, c’est-à-dire essentiellement le solaire et l’éolien, seuls moyens à la fois compétitifs et déployables à grande échelle, mais qui ont l’inconvénient de ne pas être pilotables (on ne commande pas au vent ni au soleil) ?

Quelle que soit la réponse, deux points essentiels ne doivent pas être perdus de vue. Le temps dont dispose la France pour tenir ses objectifs climatiques est très inférieur à celui qu’il faudrait pour remplacer la consommation actuelle d’énergie fossile par des sources décarbonées. Relance du nucléaire ou pas, une très forte réduction de la demande d’énergie est donc un impératif. L’ordre de grandeur est une division par deux d’ici à 2050.

Ensuite, les coûts et les durées de construction dans le nucléaire sont tels qu’un essor important des renouvelables est nécessaire pour atteindre la neutralité carbone à cet horizon. Selon l’étude publiée en 2021 par RTE 2, le gestionnaire public du réseau de transport de l’électricité, dans un scénario d’une nucléarisation poussée à l’extrême des possibilités en matière industrielle et de sûreté (quatorze nouveaux réacteurs EPR et quelques petits réacteurs « SMR » opérationnels en 2050, prolongation des réacteurs anciens jusqu’à 60 ans, voire plus), le nucléaire ne contribuerait qu’à 50 % de la production électrique, le reste étant principalement apporté par l’éolien et le solaire, dont les capacités de production devraient être multipliées (par 2,5 pour l’éolien terrestre et par 7 pour le photovoltaïque). Les candidats qui prônent une relance du nucléaire mais sans s’engager sur ces niveaux d’économies d’énergie et de déploiement des renouvelables sont climatiquement incohérents.
100 % ENR, c’est possible

Que décider alors ? Les études de RTE montrent deux choses. Sur un plan technique, un système électrique 100 % renouvelable à très forte pénétration de renouvelables non pilotables peut répondre à la demande, en mettant en œuvre une combinaison de moyens de stockage et d’ajustement, telle la production d’hydrogène à partir des sources renouvelables lorsque leur production excède la demande. Sur un plan économique, les écarts de coûts entre le choix de conserver du nucléaire (et donc d’en construire) ou d’en sortir restent modérés 3.

Conclusion : si aller vers une sortie du nucléaire est techniquement possible et économiquement défendable, pourquoi continuer d’assumer les risques liés à cette technologie ? Le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle. Et un sujet aussi grave ne saurait être tranché « d’en haut », à la faveur d’élections générales. Il doit faire l’objet d’un débat public qui, en plus d’un demi-siècle d’histoire nucléaire, n’a encore jamais eu lieu.

6: Faut-il davantage taxer le carbone ?

Sans mesure de compensation, taxer le carbone peut être injuste pour les nombreux ménages modestes dépendants aux énergies fossiles. Mais est-ce indispensable malgré tout de donner un prix à cette pollution ?

Elle a contribué à créer le principal mouvement social de l’histoire récente en France, mais elle a presque disparu du débat. Pourtant, la taxe carbone, ou contribution climat-énergie (CCE), existe toujours. Mise en place en 2014, cette composante de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) a vu son augmentation progressive gelée en décembre 2018, en plein mouvement des gilets jaunes. Elle reste fixée à 44,60 € par tonne de carbone, alors qu’elle devait atteindre 86,40 € en 2022 et 100 € en 2030.

La taxe carbone s’est heurtée à la dépendance des consommateurs aux énergies fossiles. De fait, ­l’Insee a mesuré en 2011 la faible élasticité-prix des carburants à court terme : si leur prix augmente de 10 %, leur consommation ne baisse que de 2,5 % à 3,5 % (contre 6 % à 7 % à long terme, où les consommateurs peuvent modifier leur mode de transport). Alors que la taxe carbone est censée décourager un comportement (consommer du carburant), cette dépendance aux énergies fossiles peut la rendre inefficace mais aussi injuste, car les ménages ruraux et modestes consacrent une proportion plus forte de leurs revenus aux dépenses énergétiques (transports, logement) que les autres.

Début 2022, alors que les prix de l’énergie battent des records, aucun candidat à la présidentielle ne compte rétablir telle quelle la contribution ­climat-énergie, et personne n’évoque une reprise de sa trajectoire de hausse, à part Yannick Jadot qui veut l’assortir d’un fort soutien financier aux ménages modestes. Tous les candidats soutiennent en revanche l’idée d’une « taxe carbone aux frontières », sous des formes très variées.

Celle-ci est en discussion au niveau européen. La présidence française, la Commission et le Parlement défendent un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », qui obligerait les importateurs de marchandises fabriquées hors de l’Union à acheter des certificats si le contenu carbone de celles-ci dépasse un certain niveau. Certificats dont le prix serait indexé sur celui de la tonne de carbone au sein du marché européen 1. Plus qu’une taxe, il s’agit donc d’une extension du marché du carbone européen, qui a pour objectif de décourager le dumping environnemental des pays tiers.
Taxe, marché ou réglementation ?

Pour de nombreux économistes, une taxe carbone proprement dite – mondiale ou à défaut nationale, et dont la valeur augmenterait progressivement – reste pourtant un instrument privilégié. Leur argument : donner un prix à l’émission d’une tonne de carbone aujourd’hui est le meilleur moyen d’évaluer son dommage futur sur la collectivité en matière de réchauffement climatique, et ainsi d’envoyer un signal prix à tous les acteurs économiques pour rendre l’émission de ce carbone non rentable dès maintenant. Quant aux recettes de la taxe, elles permettraient, selon ces économistes, d’investir dans des infrastructures décarbonées et d’indemniser les plus précaires, frappés de manière disproportionnée par le prix du carbone.

Surtout, un tel prix permet à chaque acteur de choisir la meilleure manière de baisser ses émissions, sans que l’Etat ait à imposer réglementairement la meilleure méthode. C’est aussi pour cette raison que le Medef défend une tarification du carbone, avec une trajectoire prévisible, afin d’identifier la rentabilité des investissements des entreprises.

Pour autant, nuance Sébastien Postic, chercheur à l’Institute for Climate Economics (I4CE), « la collectivité ne rénove pas une maison et n’investit pas dans un réseau ferroviaire juste parce qu’il y a un prix du carbone. Ce n’est pas l’alpha et l’oméga d’une politique climatique. C’est un filet de sécurité, utile mais pas suffisant. Il faut aussi mettre des moyens, publics et privés, sur la durée, en investissant dans une infrastructure décarbonée ».

7: Faut-il fermer les frontières ?

La droite et l’extrême droite sont unanimes : trop de migrants arrivent en France. Un préjugé contredit par les statistiques disponibles, même si l’échec des politiques d’intégration est bien réel.

Cette « réalité banale » de la mondialisation touche tous les pays occidentaux. En 2019, le « flux » annuel des immigrés permanents était de 291 000 personnes, soit 0,41 % de la population française, contre une moyenne européenne et de l’OCDE de 0,85 %. Ces chiffres indiquent le nombre de titres délivrés pour une année donnée. Or, il y a chaque année des départs. Si l’on regarde le solde migratoire, c’est-à-dire la différence entre les entrées et les départs, il est estimé à 140 000 personnes en 2019, contre 200 000 en 2018 et 150 000 en 2017. Pas de quoi crier au « grand remplacement ».

Quid des étrangers en situation irrégulière ? Selon l’OCDE, ils étaient 3 millions dans l’Union européenne en 2017, soit moins de 1 % de la population européenne, et 600 000 en France (0,9 % de la population). Une clandestinité contrainte et souvent durable. Ainsi, les personnes qui obtiennent un titre de séjour sont parfois là depuis des années en situation irrégulière, comme le montre l’enquête Elipa du ministère de l’Intérieur. Selon les derniers résultats, seulement 30 % des personnes ayant obtenu un titre de séjour en 2018 étaient arrivées en 2017 ou 2018. 40 % étaient arrivées avant 2010…

D’Emmanuel Macron, qui veut « réformer Schengen », à Eric Zemmour, qui prédit « la guerre sur notre sol », en passant par Valérie Pécresse ou Marine Le Pen, l’idée que les migrants arrivent trop nombreux en France et dans l’Union européenne s’est imposée comme une évidence dans le débat public.

Les chiffres racontent pourtant une autre histoire. Précisons-le d’entrée : oui, il n’y a jamais eu autant d’immigrés en France qu’aujourd’hui. Un immigré est, selon l’Insee, « une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France ». C’est une qualité permanente. Un immigré peut rester étranger (4,3 millions de personnes) ou devenir français par acquisition de nationalité (2,5 millions). A l’inverse, les personnes nées françaises à l’étranger (1,7 million) ne sont pas considérées comme immigrées par l’Insee, tout comme les étrangers nés en France (0,8 million). Les immigrés représentaient 5 % de la population française en 1946, 7,5 % en 1975 et 10,2 % en 2020, soit 6,8 millions de personnes sur une population totale de 67 millions. A cela s’ajoutent 7,6 millions de descendants d’immigrés (11,2 % de la population). Parmi ces derniers, 40 % ont une origine européenne et 33 % une origine maghrébine. « Il y a une infusion durable et il ne faut pas s’en étonner (…). C’est une réalité banale », rappelait récemment le démographe et sociologue François Héran 1. La population immigrée est en outre inégalement répartie sur le territoire : elle est surreprésentée dans les grandes aires urbaines, au détriment de l’ouest et du centre.

Du côté des politiques publiques, depuis le coup d’arrêt mis à l’immigration de travail en 1974, les marges de manœuvre sont réduites. C’est surtout la mise en œuvre des droits (droit d’épouser un ou une étrangère, droit d’asile, droit de vivre en famille) qui régit les flux à long terme. Les lois « immigration » qui se succèdent ne changent pas la donne. Le motif familial reste le premier motif d’immigration (90 500 titres en 2019), suivi des études (90 000 titres), du travail (40 000 titres) et du motif humanitaire (38 000 titres).
Fourchette basse

Cette « réalité banale » de la mondialisation touche tous les pays occidentaux. En 2019, le « flux » annuel des immigrés permanents était de 291 000 personnes, soit 0,41 % de la population française, contre une moyenne européenne et de l’OCDE de 0,85 %. Ces chiffres indiquent le nombre de titres délivrés pour une année donnée. Or, il y a chaque année des départs. Si l’on regarde le solde migratoire, c’est-à-dire la différence entre les entrées et les départs, il est estimé à 140 000 personnes en 2019, contre 200 000 en 2018 et 150 000 en 2017. Pas de quoi crier au « grand remplacement ».

Quid des étrangers en situation irrégulière ? Selon l’OCDE, ils étaient 3 millions dans l’Union européenne en 2017, soit moins de 1 % de la population européenne, et 600 000 en France (0,9 % de la population). Une clandestinité contrainte et souvent durable. Ainsi, les personnes qui obtiennent un titre de séjour sont parfois là depuis des années en situation irrégulière, comme le montre l’enquête Elipa du ministère de l’Intérieur. Selon les derniers résultats, seulement 30 % des personnes ayant obtenu un titre de séjour en 2018 étaient arrivées en 2017 ou 2018. 40 % étaient arrivées avant 2010.
Discriminations structurelles

Alors, qu’est-ce qui coince avec l’immigration ? Au-delà des crispations identitaires, il y a bien un problème qui concerne la faiblesse de la politique d’intégration. Marquée par des considérations principalement démographiques et économiques, cette politique ne prend pas en compte les discriminations structurelles dont les immigrés et leurs descendants font les frais.

Pour ne donner qu’un exemple, le niveau de vie moyen des immigrés est inférieur de 26 % à celui des natifs avant versement des prestations sociales et prélèvement des impôts, selon l’Insee, et de 20 % après, soit 423 euros de moins par mois. Cet écart s’explique notamment par des revenus d’activité en moyenne inférieurs de 24 %. Selon l’OCDE, le taux d’emploi des immigrés en France atteint 57 %, contre 66 % pour les natifs. Cet écart est bien plus élevé qu’au sein de l’Union européenne (64 %, contre 68 % pour les travailleurs natifs).

Quant au lien souvent fait entre immigration et délinquance, il est, lui aussi, à relativiser 2. D’une part, on dispose de chiffres en matière de condamnations selon la nationalité (étranger ou Français), mais pas selon qu’on est immigré ou pas. A cet égard, 15 % des condamnés sont de nationalité étrangère, soit le double de la part des étrangers dans la population. D’autre part, une analyse des dossiers judiciaires montre que les immigrés, identifiés par les chercheurs à partir de leurs patronymes, sont surtout présents dans les types de délinquance les plus visibles, les plus simples et les plus réprimées par la police et la justice (vols, circulation routière…). Des formes de délinquance qui sont typiquement celles des milieux populaires. Il y a donc urgence à agir en matière d’immigration, mais pas sous l’angle généralement avancé.

8: Faut-il faire du protectionnisme industriel en Europe ?

Depuis la crise sanitaire, tout le monde, ou presque, s’accorde à dire qu’il faut relocaliser certaines activités stratégiques. Mais au-delà des discours, quand il s’agit de rentrer dans le vif du sujet, le consensus est beaucoup moins évident.

Quand, au plus fort de la crise sanitaire, les masques, les respirateurs ou les tests ont commencé à manquer en Europe, la question de la souveraineté industrielle est réapparue au centre du débat public. Depuis, pour les industriels comme pour les gouvernements, le temps où l’on prônait une économie sans usines, à base de services, semble révolu. Du moins dans le discours…

Quand, au plus fort de la crise sanitaire, les masques, les respirateurs ou les tests ont commencé à manquer en Europe, la question de la souveraineté industrielle est réapparue au centre du débat public. Depuis, pour les industriels comme pour les gouvernements, le temps où l’on prônait une économie sans usines, à base de services, semble révolu. Du moins dans le discours.
Changer de braquet

Même à la Commission européenne, le ton a (légèrement) changé. Les chantres de la concurrence libre et non faussée incitent désormais les Etats à subventionner certaines activités jugées stratégiques. A l’origine de ce relatif changement de braquet, on trouve principalement l’offensive chinoise en Europe depuis de nombreuses années. Pékin soutient son industrie pour gagner des parts de marché sur le Vieux Continent et rachète un nombre croissant d’entreprises européennes dans des secteurs clés.

Exemple souvent cité : les panneaux solaires. Dans les années 2010, alors que les énergies renouvelables prenaient massivement place sur le continent, les fabricants européens de panneaux photovoltaïques ont fait face à la rude concurrence de leurs homologues chinois qui, grâce à un soutien financier public et à des surcapacités de production, cassaient les prix. L’Europe a tardé à réagir et la filière de fabrication de ces panneaux s’est à peine développée sur le continent, si bien que nous dépendons aujourd’hui du géant asiatique pour transformer le soleil en électricité.

L’Europe apparaît ainsi comme une région très ouverte sur le monde, où d’autres pays, Chine et Etats-Unis en tête, peuvent en toute liberté vendre les services et produits de leurs entreprises. Alors même que ces grandes puissances soutiennent largement leur propre industrie pour faire émerger des champions nationaux et qu’elles limitent l’ouverture de leur marché intérieur, en imposant par exemple, comme en Chine, à une société étrangère qui veut produire sur place de créer une coentreprise avec une firme locale. Si les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) imposent un cadre partiel de libre-échange, la plupart des grandes puissances l’interprètent à leur manière et jouent des divisions au sein de l’institution, aujourd’hui en panne, pour protéger leurs industries. Devrions-nous faire de même ?

Elément important à prendre en compte : ­d’Airbus à Alstom, sur le continent, nous tirons une part de notre richesse de nos exportations. De fait, la balance commerciale européenne (les exportations du continent moins ses importations) est largement excédentaire. « Nous sommes dépendants des importations des autres », résume l’économiste David Cayla, membre du collectif des Economistes atterrés.

Mais l’Europe est forte surtout dans les secteurs historiques, ceux de la « vieille économie » : automobile, aéronautique, chimie. Or, ce qui est en jeu aujourd’hui sont les activités en pleine croissance et qui vont devenir structurelles dans le fonctionnement de nos sociétés, tels le numérique et l’électronique. Des secteurs pour lesquels le Vieux Continent est beaucoup moins bien positionné. Une liste précise a été établie par Bruxelles et l’on y retrouve les batteries électriques, les semi-conducteurs, le cloud, l’hydrogène ou les principes actifs pharmaceutiques.

Le récent changement de braquet opéré par la Commission s’est traduit par une autorisation de subvention aux entreprises de ces secteurs, à l’instar des alliances nouées autour de l’Airbus des batteries. Ce virage sera-t-il suffisant ? Les moyens mis sur la table, d’un secteur à l’autre, apparaissent assez faibles par rapport à ceux qui sont avancés par nos concurrents asiatiques ou américains.

Plus largement, des trous subsistent dans la raquette européenne. Les industriels chinois prospèrent sur leur marché intérieur, qui reste globalement peu accessible aux étrangers. De son côté, Joe Biden est en train de réserver les aides à l’achat d’une voiture électrique aux seuls véhicules contenant des batteries assemblées aux Etats-Unis. Et Washington s’appuie depuis presque un siècle sur le Buy American Act, qui consiste à réserver une part des commandes publiques à l’industrie nationale. Rien d’équivalent pour l’instant sur le Vieux Continent par peur de provoquer une concurrence entre Etats membres.

Si la politique industrielle est de retour dans les discours, il s’agit maintenant de la doter de tous ses attributs, en passant par la commande publique et les mesures commerciales. Elle ne pourra en outre faire l’économie d’une réflexion sur son périmètre géographique afin d’y intégrer les pays d’Europe centrale et orientale, dont beaucoup ont le sentiment que les quelques projets actuels bénéficient principalement aux grands pays de l’ouest de l’Union.

9: Faut-il une Europe plus fédérale ?

Sortir de l’euro n’est plus à l’ordre du jour, mais l’Union européenne reste un sujet clivant dans la campagne présidentielle.

Quitter l’Union européenne, il n’en est plus question dans les grandes forces politiques françaises. Même Marine Le Pen, quoique critique vis-à-vis de Bruxelles, a renoncé au Frexit. Mais rester dans l’Union pour quoi faire, alors que de nombreux effets de la construction européenne ne sont pas à la hauteur de ses ambitieuses promesses ?

Faut-il réduire la solidarité et la coordination au minimum pour conserver notre souveraineté nationale ? Ou, au contraire, renforcer l’intégration sur le continent pour donner à l’Union une coloration plus sociale, écologique et démocratique ? Le discours d’Emmanuel Macron au Parlement européen mi-janvier a permis aux candidats à l’élection présidentielle de prendre position.

Face à la tonalité proeuropéenne du chef de l’Etat, Marine Le Pen a estimé pour sa part que « l’élection présidentielle sera pour les Français l’occasion de trancher entre deux visions de l’Europe. Celle que portent les européistes, une union européenne oublieuse des peuples et dominatrice des nations, et celle que je porte (…), d’une alliance européenne des nations ». « Il y a une troisième voie (…) : un centre droit patriote et européen », a, quant à elle, plaidé Valérie Pécresse. A gauche, on critique une Union devenue un vaste marché soumis aux dogmes libéraux. Mais à chacun son style : Jean-Luc Mélenchon veut désobéir aux traités pour faire respecter son programme, tandis qu’Anne Hidalgo et Yannick Jadot misent sur un changement plus progressif.
Déficit démocratique

Faut-il plus d’Europe ? Oui, si ce n’est ni ­l’Europe voulue par la droite centrée autour des questions d’immigration et de défense, ni l’Europe qui impose depuis des années l’austérité budgétaire à ses membres, encourage le dumping social et privatise des services publics au nom de la libre concurrence. Mais les sauts communautaires seront difficilement acceptables si l’Union, dont les institutions souffrent d’un déficit démocratique, ne s’améliore pas sur ce point, en renforçant par exemple le rôle du Parlement européen qui n’a aujourd’hui pas l’initiative des lois, réservée à la Commission.

Pour autant, le fédéralisme n’est pas à l’ordre du jour. « Il existe un vieux fantasme selon lequel l’intégration européenne consisterait à faire basculer au fur et à mesure les démocraties nationales vers le niveau supranational. Cette option faisait sens lorsque l’Europe se construisait autour de la régulation du marché unique, observe Antoine Vauchez, chercheur en sociologie politique. Mais depuis l’élargissement du champ d’action de l’Union et notamment la création de l’euro, l’Europe doit coordonner les politiques fiscales et budgétaires des Etats, qu’il est illusoire d’imaginer transférer à Bruxelles. » En revanche, pour faire contrepoids au Conseil européen, où les décisions cruciales sont prises par les chefs d’Etat et de gouvernement, ou encore à l’Eurogroupe (la réunion des ministres des Finances de la zone euro), une option consiste à donner plus de place aux parlements nationaux dans l’architecture institutionnelle européenne. Comment mieux faire dialoguer les démocraties nationales, à la fois entre elles et avec l’échelon communautaire ? Voici une question clé pour l’Europe.

0: Faut-il en finir avec la Ve République ?

Les institutions imaginées par De Gaulle sont de plus en plus décriées et semblent inadaptées pour faire face aux défis contemporains que sont le changement climatique ou la crise de la mondialisation.

En finir avec la Ve République ? La question pourrait sembler saugrenue si le mythe des institutions « en granit » léguées par Charles de Gaulle ne démontrait désormais ses limites : Parlement inexistant, verticalité de plus en plus pesante de la présidence de la République, désintégration de la relation entre le peuple et ses représentants, etc. Les institutions patinent. Or, « l’Etat dépend au moins autant de la confiance que les citoyens lui portent que de celle qu’il porte aux citoyens pour asseoir des décisions sur un consensus, même relatif », écrit le politologue Luc Rouban dans son dernier essai Les raisons de la défiance (Les Presses de Sciences Po, 2022), comme l’a démontré le conflit des gilets jaunes…

En finir avec la Ve République ? La question pourrait sembler saugrenue si le mythe des institutions « en granit » léguées par Charles de Gaulle ne démontrait désormais ses limites : Parlement inexistant, verticalité de plus en plus pesante de la présidence de la République, désintégration de la relation entre le peuple et ses représentants, etc. Les institutions patinent. Or, « l’Etat dépend au moins autant de la confiance que les citoyens lui portent que de celle qu’il porte aux citoyens pour asseoir des décisions sur un consensus, même relatif », écrit le politologue Luc Rouban dans son dernier essai Les raisons de la défiance (Les Presses de Sciences Po, 2022), comme l’a démontré le conflit des gilets jaunes.
« Souverain républicain »

On s’en souvient à peine, mais la taxe carbone qui mit en branle ce conflit social, le plus puissant et le plus violent depuis Mai 1968, était le résultat d’un large consensus transpartisan forgé à partir du Grenelle de l’environnement en 2013 et constant sous trois quinquennats : Sarkozy, Hollande et Macron. Son échec cuisant met donc en cause ce que Thierry Pech, directeur du groupe de réflexion Terra nova, appelle « la vieille doctrine d’action des modernisateurs de la Ve République fondée depuis de Gaulle sur l’alliance de la légitimité électorale et de la technocratie d’Etat : quand on tient ces deux fils, on peut – on doit – moderniser le pays au pas de charge, quand bien même cela susciterait quelques résistances ».

Une fois obtenus le gel de la taxe carbone et 10 milliards d’euros pour augmenter la prime d’activité, le mouvement né sur les ronds-points débouchait sur une revendication politique, antithèse de la « doctrine » énoncée ci-dessus : le référendum d’initiative citoyenne.« Macron a rencontré l’impouvoir de la Ve République », analyse dès lors Thierry Pech.

Autrement dit : des institutions autoritaires sont contre-productives dans une société dont le niveau d’éducation s’est considérablement élevé en soixante ans, où l’individualisme s’est affirmé, et dont les cadres idéologiques se sont effondrés. Last but not least, à la différence des premières décennies de la Ve République, le pouvoir du « souverain républicain » est désormais restreint par les délégations de souverainetés transmises à l’Union européenne.

Faire face au défi climatique ou à la crise de la mondialisation implique donc de transformer les institutions. Le philosophe Daniel Agacinski 1 porte haut l’ambition : « A moins de se condamner à n’engager qu’une réforme technocratique de plus, il faut s’obliger à penser la transformation à partir des besoins sociaux d’aujourd’hui et de demain. » Reste à remplir la formule d’un contenu concret.


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Mis en ligne le 01/03/2022 pratclif.com