La mémoire à ecole

extrait de "Larousse Votre mémoire" pages 26-29
sous la direction de Bernard Croisile Neurologue

Comment enseigner ? La question continue de susciter de vifs débats. Voici un passage en revue des techniques modernes et traditionnelles à la lumière des recherches menées sur le fonctionnement de la mémoire. Selon une conception populaire que l'on retrouve parfois chez certains pédagogues, les apprentissages à l'école sont dus à la nature sensorielle de nos mémoires. Tel élève acquiert son savoir grâce à une mémoire visuelle « photographique », tel autre apprend par coeur grâce à sa mémoire auditive. Après plus d'un siècle de recherches, la mémoire apparaît beaucoup plus variée et complexe.

La mémoire « photographique » : un mythe

Les travaux scientifiques montrent que les mémoires sensorielles existent bien, mais qu'elles sont de courte durée : environ un quart de seconde pour la mémoire visuelle, par exemple. Par ailleurs, notre oeil a la particularité physiologique de ne permettre une bonne acuité visuelle que dans un tout petit angle : 2 à 4 degrés, soit la taille d'un mot de quatre ou cinq lettres dans un livre. Autant dire qu'il nous est impossible de « photographier » la page d'un livre.

En revanche, les mémoires sensorielles servent d'entrées à d'autres mémoires : lexicale, sémantique, imagée. La mémoire imagée, par exemple, stocke des informations portant sur les choses (objets, animaux, plantes). Elle est d'une grande puissance pour conserver de façon durable des informations complexes : selon une expérience menée aux États-Unis, nous sommes capables de reconnaître 90 % de quelque 2 500 photographies lorsque nous les revoyons une semaine plus tard ! Cette mémoire n'est cependant pas la mémoire « photographique » évoquée parfois pour expliquer les prouesses d'un prodige de la mémoire. Lorsque nous avons – de bonne foi – l'impression de voir mentalement la page d'un manuel de cours, il s'agit en fait non pas d'une représentation exacte, comme pourrait l'offrir une photographie, mais d'une image composée, virtuelle et synthétique. Et nous serions incapables d'y indiquer l'emplacement exact d'un mot précis qui figure sur cette page.

La mémoire auditive est-elle plus efficace ? Quand on compare notre capacité de rappeler à court terme une séquence de lettres ou de mots, on constate que nous retenons ces informations un peu mieux lorsque nous les entendons que lorsque nous lisons une présentation écrite. Mais, dès que le rappel est retardé ne serait-ce que d'une dizaine de secondes, cet avantage relatif (de 20 % environ) de l'oreille sur l'oeil disparaît : les deux modes de présentation, oral et écrit, sont alors équivalents. Qu'elles soient d'ordre visuel ou auditif, les informations sont en effet rapidement fusionnées dans un code symbolique supérieur : la mémoire lexicale (du grec lexis, « mot »).

De la mémoire de travail aux mémoires spécialisées

Un tel rappel dans un bref délai s'effectue grâce à une forme de mémoire particulière : la mémoire à court terme, ou mémoire de travail. Cette mémoire est parfois comparée à la mémoire vive d'un ordinateur, qui peut stocker de façon temporaire des données lui parvenant d'un support de stockage permanent (disque dur, cédérom, etc.) ou sous forme d'informations saisies (à l'aide d'un clavier, d'un scanner, etc.), afin de les assembler ou de les arranger différemment. Certains chercheurs estiment même que cette mémoire de travail est à la base de tout raisonnement. Elle a une contenance très limitée, d'environ sept éléments à la fois, ce qui fait que nous ne pouvons maintenir à l'esprit à un moment donné qu'un nombre limité d'informations. Et même pour les retenir au-delà de quelques secondes dans cette mémoire vite surchargée, il est nécessaire de les répéter (un numéro de téléphone que nous souhaitons garder en mémoire afin de pouvoir le noter).

De l'intérêt de faire des plans

Fort heureusement, la mémoire de travail est reliée aux différentes mémoires spécialisées : la mémoire lexicale, où les mots sont stockés sous leurs formes sonore et graphique, la mémoire sémantique (du grec sêmantikos, « qui signifie »), où sont conservés les concepts classés par associations (abeille-miel) ou par catégories (mésange dans oiseau, et oiseau dans animal), et la mémoire imagée déjà évoquée. En recourant à ces mémoires spécialisées, la mémoire de travail peut procéder à des regroupements : en apprenant les mots merle, canari, aigle et pie, ceux-ci seront rattachés à une catégorie déjà présente dans la mémoire sémantique (« oiseau »), ce qui nous permet de mémoriser une seule unité au lieu de quatre. Ce mécanisme d'apprentissage très puissant repose donc sur l'organisation des informations à mémoriser. C'est la raison pour laquelle les plans de cours, les résumés, les fiches de lecture et d'autres façons de structurer les informations à apprendre sont en général d'une grande efficacité pour maîtriser et retenir un savoir.

Première de la classe : la lecture !

Le progrès technologique ne débouche pas toujours sur de nouveaux outils pédagogiques plus performants. C'est pourquoi il vaut parfois mieux en rester à certaines vieilles méthodes plutôt que de les remplacer sans discernement. Une bonne solution consiste souvent à laisser cohabiter l'ancien et le nouveau, qui offrent chacun leurs avantages propres. C'est ce qu'a montré, entre autres, une expérience menée auprès d'une centaine d'élèves d'un collège par une équipe française de chercheurs autour du psychologue Alain Lieury. Le but était de comparer l'efficacité de différentes façons d'apprendre.

Une expérience sur différentes façons d'apprendre

En partant du verbal et de l'imagé, les deux grands types de représentation que l'on trouve dans la mémoire (et qui ne doivent pas être confondus avec l'auditif et le visuel), on aboutit à des modes très divers dans lesquels présenter des connaissances. On peut en effet distinguer, d'une part, trois types de connaissances (le mot, le mot et l'image, l'image seule) et, d'autre part, trois manières de présenter ces connaissances : le visuel, l'auditif et l'audiovisuel, qui utilise les deux manières précédentes. Il en résulte sept combinaisons possibles : la lecture d'un simple texte ; un manuel scolaire ou un documentaire télévisé sans son, pour le visuel ; un cours oral ou un documentaire télévisé avec son, pour l'auditif ; ou bien un cours oral avec utilisation du tableau ou un documentaire télévisé avec des sous-titres, pour l'audiovisuel (voir ce tableau). Les documentaires télévisés visionnés par les participants ont porté sur des sujets aussi divers que la poussée d'Archimède ou la perception auditive chez l'homme. Les résultats ont été mesurés à l'aide d'un questionnaire à choix multiples.

Alors qu'un dessin seul, lorsqu'il représente un sujet familier, peut être d'une grande valeur pédagogique, la télévision « muette » n'a donné naissance à aucune information qui ait pu être utilisée lors du test ultérieur. En revanche, la lecture et le recours au manuel, qui relèvent pourtant, eux aussi, d'un mode de présentation visuel, ont produit les meilleurs scores. Comment expliquer cette divergence ?

Comme l'ont montré d'autres études, l'image n'est un moyen de mémorisation efficace que si elle est recodée mentalement sous une forme verbale. Les psychologues parlent alors d'un « double codage », terme introduit par le psychologue canadien Alan Paivio, il y a une trentaine d'années. C'est en effet ce double codage qu'exigent la lecture ou l'utilisation du manuel. Par ailleurs, elles offrent également la possibilité de se familiariser avec l'orthographe difficile de certains termes ou noms propres et, surtout, de choisir le rythme auquel on apprend le mieux. À la différence de la lecture, le téléspectateur ne peut en effet ni réguler la vitesse des images qui lui sont présentées, ni opérer des retours en arrière.

Pour augmenter l'efficacité pédagogique du documentaire, il faudrait donc au moins accompagner les images de sous-titres qui introduisent les mots nouveaux ou, mieux encore, donner à l'élève la possibilité de le parcourir à son propre rythme, par exemple, en remplaçant le poste de télévision par un ordinateur...

La clé du rappel : les indices de récupération

L'objectif de tout apprentissage et de pouvoir restituer les informations acquises à un moment ultérieur. Or, de toutes les informations enregistrées dans la mémoire à long terme, la plupart ne peuvent rester dans la mémoire à court terme : il y a l'oubli. C'est ici qu'interviennent les indices de récupération. Si, par exemple, l'on fait apprendre à un groupe de personnes une longue liste de mots regroupés en vingt catégories, présenter les catégories (telles que « oiseaux », « poissons », «écrivains ») au moment du rappel favorisera la restitution de ces mots en plus grand nombre. De tels indices sont efficaces sous des formes très variées, allant d'indices phonétiques (par exemple, la première syllabe d'un mot dont il faut se rappeler) jusqu'à la photo de l'album qui fera resurgir des souvenirs oubliés.

Dans le cadre scolaire, ces indices ont une longue tradition et se présentent souvent sous la forme de phrases clés ou « plans de rappel ». Pour se rappeler les noms des planètes du système solaire, depuis la planète la plus proche du Soleil jusqu'à la plus éloignée, les élèves ont depuis longtemps eu recours à la phrase suivante : « Me Voici Tout Mouillé, Je Suis Un Nageur Pressé ». Elle permet en effet de retrouver les initiales de ces noms dans le bon ordre : Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton. Voir image.

Un cas particulier d'indice est l'information elle-même, mot ou image. On parle alors de reconnaissance. Son taux de réussite est spectaculaire : de 70 à 90 % des informations apprises. L'une des applications pédagogiques est le questionnaire à choix multiples (QCM), dans laquelle la personne testée doit choisir sa réponse parmi plusieurs propositions.

En savoir plus sur les QCM

Un schéma vaut mieux qu'un long discours

Le schéma constitue un excellent moyen d'apprendre et de restituer des informations complexes. Son avantage réside dans le fait de présenter ces informations en même temps que de les structurer. Un tel schéma peut prendre des formes très diverses (diagramme, organigramme, etc.), dont l'une des plus courantes est la carte géographique. Lors d'une expérience menée par une équipe réunie autour d'Alain Lieury, un groupe d'étudiants a dû apprendre, au cours de trois séances, des informations sur le système fluvial du Nil à partir d'un documentaire télévisé de dix minutes, tiré d'un reportage de Nicolas Hulot sur le « mystère des sources du Nil ». Mais seule la moitié d'entre eux se sont vu montrer, à la fin du documentaire, une carte schématique représentant les lacs et rivières du système fluvial. Tous ont participé ensuite à un test, conçu pour vérifier les connaissances acquises à trois niveaux différents, allant des grands thèmes du documentaire (niveau 1) jusqu'aux détails portant sur la variété des lacs et rivières intermédiaires (niveau 3).

De façon générale, les étudiants ont obtenu de meilleurs scores quand ils ont bénéficié auparavant de a présence de la carte. Mais, en outre, ils ont réussi â dégager les grands thèmes dès la première séance, alors que ceux qui n'avaient pas eu accès à cette carte, i sont parvenus seulement de façon progressive. Le rappel des propositions de niveau 2 a également été supérieur pour ceux qui ont pu s'appuyer sur une carte. La différence a même été spectaculaire lorsqu'il s'agissait de rappeler des détails sur les lacs et les cours d'eau secondaires (niveau 3), une tâche que les étudiants du groupe « sans carte » n'ont pas été en mesure d'accomplir de façon satisfaisante.


Trucs et astuces autour de l`école

C'est assez, dit la baleine, j'aile dos fin, je me cache à l'eau ! » Qui ne se souvient de cette formule destinée à rappeler les noms des mammifères vivant dans l'eau : cétacé, baleine, dauphin, cachalot ? Mais les collégiens d'aujourd'hui sont assez loin de ces trucs mnémotechniques. Cette astuce et bien d'autres appartiennent en effet à la pédagogie telle qu'elle était pratiquée jusqu'au xix' siècle. Pour inculquer aux élèves rétifs les notions élémentaires du savoir, on n'hésitait pas à mettre ces dernières en vers ou en images, en particulier pour enseigner l'orthographe et la grammaire. On eut ainsi recours au « pêcheur à la ligne qui porte souvent un chapeau, à la différence du pécheur qui transgresse la loi divine », ou bien aux « scies qui n'aiment pas les raies », pour rappeler qu'il n'y a pas de conditionnel après la conjonction « si ».

De tels procédés mnémotechniques – et ludiques – firent aussi le miel des poètes, comme Alphonse Allais :

ou d'autres adultes à l'esprit plaisantant:

On reconnaîtra les initiales des dix crus du Beaujolais : Chénas, Chiroubles, Saint-Amour, Juliénas, Brouilly, Morgon, Moulin-à-Vent, Côtes-de-Brouilly, Fleurie et Régnié.

Trop souvent oubliée : la mémoire procédurale

pour apprendre à écrire ou à dactylographier, r à se servir d'un ordinateur ou à jouer d'un instrument de musique, ou bien à exercer une activité sportive, les conseils exprimés de façon verbale, par le langage, ne sont pas d'une grande aide. La maîtrise nécessaire des gestes liés à nos facultés motrices s'acquiert au prix de centaines, voire de milliers de répétitions.

Pour les enseigner, on recourt plus souvent à une démonstration qu'à une explication. Une fois appris, ces gestes deviennent en général des automatismes : nous les exécutons sans en prendre conscience. Leur apprentissage et leur rappel sont le fait d'une mémoire particulière, appelée mémoire procédurale.


Mis en ligne le 28/04/2008 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pratclif.com