BNP Paribas
rendez-vous mensuel des économistes de BNP Paribas

Au sommaire aujourd'hui:

Sibylle Dehesdin:Bonjour à toutes et à tous, Ravie de vous retrouver dans cette nouvelle édition d'ECO TV, le rendez-vous mensuel des économistes de BNP Paribas.

Sibylle Dehesdin: Mais tout d'abord, nous retrouvons le directeur des Etudes économiques de BNP Paribas, Philippe d'Arvisenet,


Pourquoi la flambée des prix des matières premières alimentaires?

Sibylle Dehesdin: Les Européens et les Américains voient leur pouvoir d'achat érodé par la hausse des prix de l'énergie, mais aussi des prix alimentaires. Les banques centrales, de leur côté, sont très préoccupées par l'inflation, mais plus encore on a assisté au cours de ces dernières semaines à des soulèvements dans des dizaines de pays en Afrique et en Asie à cause de l'envolée des prix du blé, du riz et du maïs. Comment en est-on arrivé là?

Philippe d'Arvisenet :Je crois qu'il y a un certain nombre d'éléments fondamentaux derrière tout ça. Vous trouvez d'abord un certain nombre de pays notamment en Asie, mais aussi en Afrique où l'investissement dans l'agriculture n'a pas été la priorité au cours des dernières années. Deuxièmement, vous avez l'urbanisation. Elle est allée naturellement de pair avec une réduction des surfaces cultivées. Troisièmement, vous avez, avec l'enrichissement d'un certain nombre de pays (on parle souvent de la Chine, mais ce n'est pas le seul cas), un changement du régime alimentaire qui donne plus de poids à la viande, par exemple, par rapport aux céréales. Et pour produire un kilo de viande, on a besoin de plus d'un kilo de céréales…
Et enfin, vous avez un phénomène qui est apparu un peu plus récemment qui est la concurrence des biocarburants. On utilise des céréales pour fabriquer des carburants. Et les surfaces qui sont allouées à cela ne sont pas allouées à autre chose…

Sibylle Dehesdin: Mais cela ne représente que 1 à 2% de la culture ?

Philippe d'Arvisenet : Certes, mais ce sont les mouvements à la marge qui font les prix. C'est le dernier petit delta de demande qui provoque une hausse des prix. Et, vous avez une des couches successives d'explications qui se sont accumulées.

Sibylle Dehesdin: Tous ces éléments ne sont pas très nouveaux. N'y a-t-il pas d'autres raisons à cette envolée des prix ?

Philippe d'Arvisenet : D'abord, l'augmentation du prix de l'énergie qui est un coût, ne serait-ce que pour le transport des produits alimentaires, c'est une première chose. Et deuxièmement, vous avez quelques chocs qui sont intervenus dans certains endroits la sècheresse, en Asie du Sud-Est deux vagues d'inondations.
Et enfin, vous avez les conséquences de la crise financière qui se sont rajoutées à tout cela en ce sens que la crainte de l'inflation a fait d'un certain nombre de matières premières des valeurs refuges. Et d'autre part la baisse du dollar a eu en quelque sorte le même effet. Et enfin, toujours dans le même ordre d'idée, la crise des subprimes, le fait qu'un certain nombre d'investisseurs se soient brûlé les mains dans les produits titrisés les a conduits à rechercher des instruments de placement plus simples : les matières premières étaient, à côté d'autres choses, un candidat clair, facile, pour répondre à ce genre de préoccupations.
Enfin, il ne faut pas oublier les effets, qui peuvent être pervers, de certaines mesures politiques. Par exemple, vous avez eu un certain nombre de cas de pays importateurs, qui ont réduit leurs tarifs douaniers à l'importation. Parallèlement, vous avez eu le cas de pays exportateurs qui ont réduit les potentialités d'exportation, soit par des quotas soit par l'augmentation de tarifs douaniers à l'exportation. Bien entendu, tout ceci fait monter les prix sur le marché mondial.

Sibylle Dehesdin: quelles sont les perspectives pour le futur ?

Philippe d'Arvisenet : si effectivement il y a une composante bulle, elle va éclater. La bulle, c'est non seulement la spéculation financière, mais c'est aussi l'attitude d'un certain nombre de gens, dans les pays qui sont affectés : à partir du moment où on stocke, pour se protéger contre la hausse des prix dans le futur, on fait monter les prix. Mais, un jour viendra où il faudra bien utiliser ces stocks. Et donc, à ce moment-là, on aura une accalmie.


Euro, dollar et prix du pétrole

Sibylle Dehesdin: La monnaie américaine reste toujours très faible face à l'euro. Dans le même temps, le prix du pétrole augmente. Pour en parler, nous joignons Eric Vergnaud. Le dollar baisse et les cours du pétrole montent, vous voyez un lien entre les deux mouvements ?

Eric Vergnaud: En plus du dynamisme de la demande particulièrement venant pays émergents et des tensions géopolitiques, la chute du dollar joue actuellement un rôle non négligeable dans la flambée des prix du pétrole. En effet, le recul du billet vert n'encourage guère l'OPEP, qui craint déjà les effets défavorables du ralentissement de l'économie mondiale sur la demande, à augmenter son offre. Or, la montée du cours du baril nourrit la hausse des prix, et celle-ci renforce la détermination de la Banque centrale européenne à ne pas baisser les taux. Mais,…le statu quo monétaire de la BCE affaiblit le dollar contre l'euro.

Sibylle Dehesdin: Et qu'attendez vous de la Fed ?

Eric Vergnaud: L'économie américaine est en récession et les tensions financières restant élevées, en dépit d'une amélioration indéniable Le cycle d'assouplissement monétaire va donc se poursuivre, mais de façon plus graduelle.

Sibylle Dehesdin: Alors, statu quo au moins à court terme dans la zone euro et poursuite de la baisse des taux aux Etats-Unis. Tout cela ne semble pas porteur pour le dollar.

Eric Vergnaud: Compte tenu des divergences de politique monétaire entre la FED et la BCE, nous ne saurions exclure de d'autres poussées de l'euro contre dollar à court terme. La faiblesse du dollar contre l'euro devrait continuer aussi longtemps que des signes tangibles de ralentissement dans la zone euro ne seront pas apparus. L'importance de l'écart par rapport à la parité des pouvoirs d'achat (proche de 1,15) et les rapatriements possibles d'investissements américains à l'étranger pourraient soutenir le dollar au second semestre. La parité EUR/USD pourrait alors revenir vers 1,40 au début de 2009


l'Afrique du Sud et de la Turquie, deux pays très affectés par la crise mondiale actuelle.

Sibylle Dehesdin: Nous retrouvons maintenant les économistes Gaëlle Letilly et François Faure, pour parler de l'Afrique du Sud et de la Turquie… L'Afrique du Sud, le joyau du continent africain, est très affectée par la crise mondiale actuelle. En Turquie, la crise financière internationale se double par ailleurs d'un climat politique tendu, avec le lancement d'une procédure d'interdiction de l'AKP, le parti au pouvoir.

On cite souvent ces deux économies comme étant parmi les plus affectées des pays émergents par la crise financière actuelle… Alors, est-ce effectivement le cas ?

François Faure: Oui tout à fait. En cas de nervosité extrême des marchés financiers internationaux, ces deux pays se singularisent souvent par une sur réaction des marchés de change, des bourses, des primes de risque, voire des taux d'intérêt domestiques. Ainsi, depuis le début de l'année, la livre turque et le rand sud-africain ont tous les deux perdu près de 10% vis-à-vis du dollar américain qui est pourtant très faible actuellement alors qu'en moyenne les devises émergentes ont continué de s'apprécier par rapport à la monnaie américaine. La bourse d'Istanbul a enregistré la plus forte baisse, environ 30%.

Sibylle Dehesdin: Gaelle,est-ce que la bourse de Johannesbourg a été aussi affectée que celle d'Istanbul ?

Gaelle Letilly: La bourse de Johannesburg quant à elle résiste plutôt bien grâce à la bulle sur les cours des matières premières qui soutiennent les valeurs minières. Cela dit, c'est en Afrique du Sud que la politique monétaire a été la plus durcie en réaction aux poussées inflationnistes. Le taux directeur a été relevé de 450 points de base depuis juin 2006.

Sibylle Dehesdin: Faut-il s'attendre pour 2008 à une forte révision à la baisse de la croissance dans ces deux pays?

François Faure: Malheureusement oui. En Turquie, malgré une politique budgétaire plus expansionniste, la croissance s'est déjà tassée au deuxième semestre 2007 en raison du ralentissement des exportations et du crédit logement. Pour 2008, compte tenu notamment de l'accélération prévue de l'inflation sur la seconde partie de l'année, la croissance ne devrait pas dépasser 4% contre 4,5% en 2007 et 7.5% en moyenne entre 2002 et 2006, et ce même si la dépréciation de la livre améliore la compétitivité.

Sibylle Dehesdin: Et en Afrique du Sud, Gaëlle, est-ce les perspectives sont aussi sombres ?

Gaelle Letilly: Effectivement. La hausse des taux va ralentir sur la demande de crédits et la consommation des ménages. Du côté du secteur productif, l'indice de confiance des chefs d'entreprise a chuté à son plus bas niveau depuis 7 ans en raison de contraintes structurelles handicapantes (telles que des pannes électriques, insuffisance des infrastructures) et du renchérissement des coûts de production. Au final, malgré les projets d'infrastructures la croissance en 2008 a été revue à 3.3%, contre plus de 5% entre 2005 et 2007. L'objectif des 6% à l'horizon 2010 nécessaires pour réduire le fort niveau de chômage semble dorénavant difficile à atteindre.

Sibylle Dehesdin: Au-delà de la croissance, ces deux économies présentent-elles une ou plusieurs faiblesses macroéconomiques communes ?

François Faure: Oui, les comptes extérieurs notamment. Malgré le ralentissement de la croissance, les déficits courants resteront élevés dans ces deux pays qui sont structurellement importateurs nets du seul fait du renchérissement de la facture pétrolière.
Gaelle Letilly: S'agissant de l'Afrique du sud, viennent s'ajouter les importations de biens d'équipement dans la perspective de la coupe du monde du football en 2010. Et, faute d'investissements directs étrangers nets stables et suffisants, les deux pays ont du attiré des investissements de portefeuille pour couvrir les déficits courants. D'où leur plus grande vulnérabilité extérieure que traduit la volatilité des changes accrue en période de stress.
A ce titre, on peut souligner la hausse de la prime de risque sur la dette externe souveraine sud-Africaine. Ce rattrapage traduit également des incertitudes sociopolitiques de moyen terme.

Sibylle Dehesdin: Dernière question, peut-il y avoir une crise du « subprime » dans ces deux pays ?

François Faure: A l'image de ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, globalement non. Premièrement, les taux d'apport pour l'acquisition d'un logement sont généralement assez élevés (entre 30% et 50%), deuxièmement le mécanisme dit d'extraction de liquidité d'un bien immobilier pour consommer, mécanisme très couramment utilisé dans les économies anglo-saxonnes, est peu répandu. Enfin, la titrisation des crédits est peu développée à l'exception de quelques pays comme la Corée. Par ailleurs, contrairement aux pays de l'Est, les ménages sud africains et turcs sont marginalement endettés en devises.

Sibylle Dehesdin: J'entends bien, mais les ménages se sont fortement endettés dans ces deux pays au cours des dernières années. N'y a-t-il pas là une source de risque ?

François Faure: Oui d'autant plus que les taux d'intérêt réels restent élevés notamment en Turquie. Par ailleurs, en Afrique du Sud, l'endettement est à taux variable et ce pourrait être le cas à l'avenir en Turquie avec la nouvelle loi sur le crédit hypothécaire.

Sibylle Dehesdin: Donc il y a bien un risque de crise du crédit ?

Gaelle Letilly: Le risque majeur est que l'augmentation forte de l'endettement des ménages dans les deux pays couplé au ralentissement de la croissance et un possible relèvement des taux d'intérêt, la solvabilité des ménages se détériore. On s'attend à une augmentation des créances douteuses dans les prochains mois, sans pour autant remettre en cause la solidité des systèmes bancaires turcs et sud-africains, plutôt résistant aux chocs.


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Mis à jour le 11/10/2016 pratclif.com