De l'importance d'une juste régulation

A la suite d'un premier white paper en 1985 sur la réalisation du marché intérieur, l'Europe a fait le choix d'ouvrir la concurrence sur les marchés de l'énergie, dans le but de faire diminuer les prix du gaz et de l'électricité pour les consommateurs. Cela s'est traduit par les premières directives gaz et électricité en 1998, facilitant les échanges entre États membres, suivies par les secondes directives en 2003 imposant notamment l'ouverture progressive des marchés à la concurrence et les troisièmes directives gaz et électricité en 2009, visant à augmenter l'indépendance des gestionnaires des réseaux de transport et le contrôle des régulateurs.

EDF, monopole historique de la fourniture d'électricité aux clients finals sur le territoire français, est également présent dans le secteur du gaz pour l'alimentation de ses centrales thermiques à gaz et de plus en plus pour fournir les clients qui souhaitent bénéficier d'une offre bi-énergie gaz et électricité, en France et plus généralement en Europe. Son point de vue sur la régulation est donc à la fois celui de l'acteur historique de l'électricité en France et celui d'un nouvel entrant dans le domaine gazier.

La seule concurrence à l'aval ne peut assurer la baisse des prix attendue de l'ouverture des marchés.

En gaz comme en électricité, l'analyse du prix de l'énergie pour le consommateur final témoigne d'une chaîne de valeur à trois niveaux : la part «énergie» (production électrique et coût de la molécule, de l'importation et du stockage pour le gaz), le transport et la distribution — qui sont en France des activités régulées en monopole naturel — , et la commercialisation qui représente dans tous les cas moins de 10% du prix hors taxe final.

L'essentiel de la valeur et la capacité d'innovation se trouvent à l'amont dans la mise en oeuvre d'un mix de production optimisé en face d'une prévision de demande juste en volume et en modulation. La production — qui porte l'essentiel de la valeur — doit être par conséquent le premier lieu de la concurrence. Elle doit permettre aux technologies nouvelles et aux solutions innovantes de trouver leur place et leurs investisseurs.

La valeur de la fourniture est moindre du point de vue économique. La concurrence sur la commercialisation se fera certes par les coûts mais également par la qualité de service et le niveau de la relation client. La fidélisation et la satisfaction des clients sont les piliers de la stratégie d'EDF en tant que fournisseur. La dualisation du portefeuille (offres bi-énergies) est également un enjeu et les comparaisons internationales montrent que le client — notamment sur le marché de masse — voit une vraie valeur à l'interlocuteur unique pour les deux énergies, comme cela était d'ailleurs le cas dans le passé en France.

Or, sur le marché français de l'électricité, en contraignant EDF à céder une par- tie de la production du parc nucléaire à prix coûtant aux nouveaux entrants sans imposer en contrepartie des contraintes sur l'investissement en production, le législateur a choisi d'organiser la concurrence uniquement à l'aval. Seule la fin annoncée du dispositif en 2025 pourrait inciter les nouveaux entrants à investir dans des capacités de production de base.

Le véritable enjeu est d'assurer la rentabilité des investissements à l'amont.

Le véritable enjeu pour la compétitivité de l'énergie est celle de l'investissement à l'amont, qui n'est plus une problématique uniquement nationale mais de plus en plus européenne. Cette européanisation est déjà une réalité dans l'électricité : les réseaux sont complètement interconnectés, la moindre défaillance sur un réseau peut avoir des conséquences sur toute l'Europe ; la réussite de la mise en place récente d'un couplage des marchés électriques dans le nord-ouest de l'Europe traduit le fonctionnement coordonné de la zone. Les stratégies nationales sur l'évolution du parc de production électrique sur le long terme devront donc s'évaluer à l'échelle européenne.

Le gaz, où la problématique est par nature européenne compte tenu de l'importance des importations en provenance de pays tiers et du nécessaire transit au sein de l'Union européenne, reste cependant en retrait au niveau de la profondeur et de la liquidité des marchés. Le premier obstacle à la concurrence à l'amont est la réservation historique de capacités de transport long terme par les anciens monopoles d'importation, en cohérence avec les contrats long terme d'achat de gaz. Ceci rend l'accès des nouveaux entrants aux producteurs plus difficile. Cette situation a fait l'objet de plusieurs enquêtes de la Commission européenne débouchant sur des restitutions de capacités par les acteurs historiques (GDF Suez, ENI, E.ON en 2009 et 2010).

La réalisation des investissements nécessaires pour assurer la sécurité d'approvisionnement de l'économie européenne est cependant devenue un défi. En effet, le contexte des marchés énergétiques est de plus en plus volatile, les incertitudes grandes à la fois sur le court terme (quelle sera la reprise économique ?) et sur le long terme (quels résultats d'efficacité énergétique, quelle place pour les énergies renouvelables dans le mix énergétique, quel prix du CO2 ?). Et alors qu'il faut entre cinq et dix ans pour construire les grandes infrastructures énergétiques nécessaires (centrales de production, gazoducs ou terminaux de regazéification d'importation), les énergéticiens doivent de plus faire face à un cadre réglementaire peu précis et toujours changeant. La rentabilité des nouveaux projets dépendra d'une régulation future dont les principes mêmes ne sont pas toujours connus et de la concurrence éventuelle de projets soutenus par les deniers publics.

La visibilité sur les prix est une condition impérative au financement d'investissements nouveaux.

Par ailleurs, pour que le signal prix reflète la réalité de l'équilibre offre — demande et incite aux investissements, il faut donner de la visibilité aux investisseurs sur la régulation à l'aval : tarifs, taxes, accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH).

La demande unanime des énergéticiens est la visibilité que permet une régulation durable saine et efficace. Le tarif réglementé de vente reste, en électricité comme en gaz, la part majoritaire des consommations des clients sur le territoire national. La réversibilité de ce tarif incite les nouveaux entrants à faire des offres dont le niveau est corrélé à celui du tarif.

Pour sécuriser ses recettes futures et pouvoir investir dans la constitution d'un portefeuille, le nouvel entrant a besoin de visibilité sur les prix.

En gaz, le tarif est indexé sur une formule complexe, peu transparente et évolutive (elle a connu, un an après sa mise en place fin 2009, une évolution majeure en décembre 2010). Pour autant, la mise à jour du tarif est soumise à décision des pouvoirs publics et n'est pas automatique. On a ainsi constaté depuis l'ouverture des marchés des périodes où le tarif de vente ne permettait pas de couvrir les coûts d'approvisionnement compensées par des périodes où il leur était supérieur. Cela augmente les risques des fournisseurs alternatifs qui n'ont pas la possibilité d'assurer à tout moment des ventes rentables et introduit une asymétrie sur la visibilité des évolutions tarifaires entre l'acteur historique, qui est impliqué dans les discussions tarifaires, et les nouveaux entrants. En électricité, le tarif est calé en niveau par le gouvernement à des niveaux inférieurs aux coûts économiques d'EDF et aux prix de marché. La loi du 7 décembre 2010 sur la nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME) prévoit la construction du tarif par empilement de coûts (énergie en base valorisée au prix prévu par le dispositif NOME, complément au prix de marché de l'énergie et de la future capacité, coûts commerciaux) en 2015. Dans la période intermédiaire, les évolutions du tarif seront difficiles à prévoir. Ces incertitudes dissuadent certains acteurs européens de se positionner sur le marché français et mettent certains nouveaux entrants en grande difficulté financière.

La mise en oeuvre récente de la loi NOME en France mais également de taxes sur le nucléaire en Allemagne ou en Belgique montrent que les bénéfices sont fortement soumis à des décisions réglementaires qu'il était difficile d'anticiper. Comment dans ce cadre être assuré de la rentabilité future d'investissements pourtant nécessaires dans le cadre du prolongement de la durée de vie de notre part nucléaire et demain dans les très lourds investissements de renouvellement du parc ?

Le régulateur doit donc s'attacher à limiter les allers-retours réglementaires qui déstabilisent le marché, coûtent finalement cher au client, sur qui est toujours répercuté le risque, et nuisent au bon développement de la concurrence.

Dans la mesure où les marchés de l'énergie révèlent un juste prix de l'électricité, la régulation doit éviter de créer des distorsions et des effets d'aubaine souvent lourds de conséquence et difficiles à maîtriser.

Conclusion

Dans le domaine de l'énergie, les politiques publiques visent à la fois le développement de la concurrence à l'aval sur le marché de la fourniture et le maintien de prix bas. Depuis des décennies, le parc nucléaire français permet aux consommateurs français de bénéficier de tarifs de l'électricité très inférieurs en niveau à ceux de leurs voisins européens, soutenant ainsi l'attractivité du territoire et la croissance économique. Le nouveau contexte concurrentiel n'a pas prouvé qu'il permettrait la réalisation des investissements nécessaires. De nombreux exemples à l'étranger (États-Unis dans l'électricité, Royaume-Uni dans le gaz) ont montré les limites d'un système où l'investissement dépend en réalité du niveau des marchés à court terme. La priorité pour l'Europe est de s'assurer que les infrastructures seront disponibles lorsqu'elles seront utiles et donc de mettre en place une réglementation stable et incitant aux investissements.

La concurrence à l'aval peut en théorie conduire à une baisse des prix de la fourniture. On peut effectivement imaginer à moyen terme avec le développement du canal Internet et des compteurs communicants une baisse du coût de commercialisation, mais l'impact sur la facture du client ne sera que marginal. La réelle baisse de prix ne sera obtenue que par la concurrence à l'amont qui permettra aux technologies innovantes, efficientes et conformes aux exigences futures de sécurité d'émerger. C'est ce combat qu'EDF souhaite remporter dans le nucléaire mais également dans les énergies renouvelables, l'hydraulique et le gaz, faisant ainsi bénéficier le consommateur français de l'énergie la plus sûre au meilleur prix.

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Mis en ligne le 09/05/2011