Les coptes imputent à l'armée le carnage du Caire
le Monde 10 octobre 2011


Rassemblement d'Egyptiens, lundi 10 octobre, lors des funérailles des coptes tués dans les heurts avec la police, dimanche, au Caire.

MAHMUD HAMS

Le Caire Correspondance
Selon les familles des victimes, les militaires ont délibérément réprimé dans le sang la manifestation du 9 octobre

La minorité chrétienne la plus forte du Moyen-Orient

Le nombre de coptes en Egypte est estimé à 7 millions de fidèles, soit 10 % de la population égyptienne. Ils constituent la plus importante minorité chrétienne dans le Moyen-Orient. Près de 90 % d'entre eux suivent le rite orthodoxe, sous la tutelle du pape Chenouda III. Il existe aussi une petite communauté catholique et une autre protestante, avec 200 000 fidèles chacune.

Assises sur le bord du trottoir, des femmes vêtues de noir crient leur douleur, effondrées sur des cercueils qui luisent au soleil devant les grilles de l'hôpital copte du Caire. A même le bois lustré, des feuilles de papier grossièrement scotchées indiquent au feutre noir le nom des victimes tombées lors des affrontements entre coptes et forces de l'ordre qui ont fait 24 morts et 329 blessés, selon le ministère de la santé, dans la nuit de dimanche 9 à lundi 10 octobre.

Au lendemain de ces émeutes meurtrières, de petits groupes se fraient un chemin entre les voitures calcinées qui jonchent la rue Ramsès, jusqu'aux grilles de cet hôpital du centre-ville, sous les regards attentifs des officiers de la sécurité centrale, déployés aux alentours. Certains viennent chercher le corps de leurs proches, d'autres identifier un cadavre ou simplement manifester leur solidarité aux victimes et leur angoisse.

" Tantaoui terroriste ! "

" Notre fils est mort ! Notre fils est mort, pourquoi ? ", hurle une mère agenouillée devant le cercueil de son fils. " Tais toi, tu nous fais honte, il est mort en martyr ! ", la rabroue un homme. Au milieu des plaintes déchirantes, des jeunes brandissent des crucifix, découvrant des bras tatoués de Sainte Vierge et de croix. Ils conspuent le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, le chef du Conseil supérieur des forces armées (CSFA), qui dirige le pays par intérim depuis la chute du président Hosni Moubarak, en février. " Tantaoui terroriste, Tantaoui salafiste ! "

Il est à peine 11 heures et une foule compacte se presse déjà au portail de l'hôpital, brandissant des téléphones portables et des appareils photo. A l'accueil, une jeune femme voilée rassure les journalistes sur la nature des traumatismes : " Essentiellement des blessures superficielles et des fractures. " Dans son dos, une infirmière arborant une croix autour du cou fait la moue et hausse les sourcils : " Blessures à la tête, visages écrasés méconnaissables, cadavres impossibles à identifier, cerveaux rapportés dans des mouchoirs ", chuchote-t-elle en désignant du menton le local dévolu à la morgue. Sept corps y gisent sous des draps humides, dans des sacs plastique emplis de glace. Plusieurs reposent à même le sol dans des flaques de sang séché. Les visages sont tuméfiés et pour certains complètement écrasés.

Thérèse Qallin est venue voir le cadavre de son neveu. " Son cerveau est sorti de sa tête, ses bras et ses mains sont complètement cassés et son torse est en lambeaux. Il avait 40 ans. Il s'appelle Ayman Sabri. Notez ! Notez ! Photographiez ! Les médias de ce pays nous ignorent ! ", dénonce-t-elle.

A la demande de nombreuses familles, des autopsies sont pratiquées sur 14 corps, qui aboutiront à la fin de la journée à un constat accablant : 3 morts par des rafales de balles et 11 par écrasement sous des chenilles de blindés.

Par-delà les lamentations, les témoignages se recoupent pour accuser l'armée égyptienne d'avoir perpétré un crime organisé contre des manifestants pacifiques, venus demander une protection renforcée de la police et de la justice ainsi que l'instauration d'une loi qui leur permette de construire des églises sans autorisation présidentielle. Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des blindés fonçant sur la foule, des corps troués de balles ou égorgés. Plusieurs personnes affirment avoir vu des militaires jeter des cadavres dans le Nil.

Condoléances de l'armée

" C'était une manifestation pacifique ", assure Azza, qui a rejoint le cortège dimanche vers 17 heures. " Les gens ne savaient même pas renvoyer une grenade lacrymogène. L'armée a laissé les manifestants se positionner devant l'immeuble de la télévision d'Etat, et puis les a assaillis de toutes parts. Elle a tiré dans le tas, et des chars ont roulé sur les gens ", continue-t-elle, dans un sanglot.

D'après les témoins, les manifestants auraient d'abord été la cible de jets de pierres au cours de leur marche à travers le centre-ville, depuis la corniche du Nil jusqu'au siège de la télévision d'Etat (Maspero), devant lequel ils se sont installés vers 16 h 30. Dépassée par l'affluence, l'armée aurait attaqué le sit-in vers 18 heures, rejointe plus tard par des policiers en civil et environ 3 000 baltagiya (" hommes de main ") arrivés du quartier de Boulaq, situé derrière Maspero. Ces derniers se sont ensuite éparpillés dans la ville, molestant des coptes avec, semble-t-il, la complicité des militaires.

Hani Bushra, un copte de nationalité américaine, pris à partie dimanche soir par un groupe de 30 personnes prêtes à le lyncher, affirme avoir vu l'armée collaborer avec des groupes de baltagiya qui arrêtaient des coptes pour les frapper en criant : " Chrétiens, où êtes-vous ? L'islam est là ! "

Rompant un pesant silence, le CSFA a présenté, lundi, ses condoléances aux familles des victimes tout en imputant la responsabilité des événements - qui auraient causé la mort de 3 militaires - à des " fauteurs de troubles non identifiés ". " Nous refuserons toujours de répondre à de telles provocations visant à semer la discorde entre l'armée et le peuple ", dit le communiqué officiel, diffusé à la télévision nationale. Le cabinet du premier ministre a également été chargé de mettre sur pied une commission d'enquête.

Les coptes du mouvement Maspero réclament aujourd'hui l'arrestation des officiers responsables de l'attaque. Mais ils se heurtent à l'incrédulité d'une large partie de la population, peu encline à mettre l'armée en cause. Sur la foi d'un sondage réalisé lundi dans le centre-ville, le quotidien indépendant Al-Masry Al-Youm écrivait que " l'honorable citoyen égyptien " attribue la responsabilité des violences de préférence à " des caciques de l'ancien régime " et à " des mains étrangères ". Ou aux coptes eux-mêmes.

Claire Talon