Un mode zéro polaire: quesaco?

Avec la fin du monde bipolaire et l’érosion de l’hyper puissance américaine on pouvait croire que s’établirait un monde multipolaire. Etats-Unis, Russie, Union Européenne et les grands émergeants - Chine Inde Brésil- allaient assurer en collaboration la direction d’un nouvel équilibre planétaire plus juste. Dans son discours de clôture de la conférence des ambassadeurs, Laurent Fabius doucha cette espérance. Ni « Uni » ni « bi » ni « multi » notre monde était devenu a-polaire ou zéro-polaire ! Zéro-polaire, cela signifie qu’aucune puissance n'a suffisamment de force pour jouer les gendarmes et peser sur les évènements.

C'est exactement la situation en Syrie et en Irak vis à vis de l'État Islamique. La tragédie syrienne est le révélateur d’une situation nouvelle dans le système monde... Aucun pays n'exerce une influence prédominante, notamment dans l'imbroglio du Moyen Orient. Chaque pays joue une partition différente et exerce sa puissance pour ses intérêts propres. Les États-Unis ne veulent pas se facher avec leur allié Saoudien et ne veulent pas se tourner vers l'Iran. La Russie soutient toujours Bachar al Assad et se tourne vers l'Iran. La Turquie joue sur les deux tableaux. En réalité la bi-polarité de la guerre froide, a cessé avec l'effondrement de l'URSS; ce fut ensuite la mono polarité avec la prédominance des États-Unis; mais celle-ci s'est terminée avec le désastre Irakien. On est maintenant dans une monde zéro polaire, ou plutôt un monde à multi acteurs et centres où aucune nation n'exerce de puissance décisive; chacune exerce de la puissance pour ses propres intérêts sans que cela ait d'influence déterminante pour l'ensemble du système monde.

La chute du mur de Berlin et l'implosion de l'URSS marquèrent la fin du monde bipolaire. Les USA, érigés désormais en hyperpuissance instituent de fait l'ère monopolaire. Cette phase aurait duré moins d'une génération de 1989 à 2003, "quand le rêve pour les uns, le cauchemar pour les autres d'un imperium états-unien s'est enfoui, quelque part, dans le sable irakien" (Alain Frachon, "le grand chaos international", Le Monde, 19 septembre 2014, p. 24). Faut-il expliquer cette fin de l'hyper puissance américaine, par la guerre d'Irak, qui a sûrement mis à l'épreuve l'establishment américain, mais bien consolidé ses positions dans les pays du Golfe. La "war fatigue", la lassitude des guerres de l'opinion américaine explique, dans une large mesure, le repli stratégique du Président Obama. Il esquissa un rapprochement avec l'aire musulmane - son fameux discours du Caire - et il mit à l'ordre du jour un retrait de l'Irak et de l'Afghanistan. La région de l'Asie du Sud Est semblait désormais constituer sa nouvelle priorité, aux dépens du Moyen-Orient. Ceci se confirme avec l'exploitation du pétrole et du gaz de schiste qui rend les États-Unis à nouveau producteurs nets de pétrole et de gaz.

Paralysie de l'ONU, coup d'arrêt britannique à l'action sans feu vert onusien, hésitations de la superpuissance américaine... La tragédie syrienne est le révélateur d'une situation inédite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : une gouvernance mondiale dans l'impasse, un monde sans gendarme.

Le grand diplomate britannique Brian Urquhart, qui participa à la création des Nations unies en 1945 et en fut le secrétaire général adjoint, m'a raconté un jour, à la parution de ses mémoires (A Life in Peace and War), comment l'idéal de coopération internationale de l'immédiate après-guerre s'est rapidement évanoui : «Au début des Nations unies, il y a eu un esprit de coopération formidable, mais ça a duré seulement six mois. Petit à petit, l'esprit de la guerre froide s'est emparé de la machine et l'a grippée.» L'équilibre de la terreur Mais pendant la guerre froide, c'est l'«équilibre de la terreur» entre les deux grandes puissances, les Etats-Unis et l'Union soviétique, qui a largement servi de système de gestion des crises. On se faisait la guerre sur d'autres terrains (Corée, Vietnam, Proche-Orient, Afrique, Amérique latine...) pour ne pas se la faire directement.

On savait où ne pas aller trop loin (exemple : la crise des missiles de Cuba en 1962). La fin de la guerre froide, avec la chute du mur de Berlin en 1989 et l'éclatement de l'Union soviétique, deux ans plus tard, a ouvert la voie à deux illusions : celle de la seule «hyperpuissance» des Etats-Unis, pour reprendre la formule d'Hubert Védrine, et même de la «fin de l'histoire» (Francis Fukuyama) ; celle de l'émergence d'un monde multipolaire dans lequel les Etats-Unis, l'Europe unifiée, et les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, et même Russie post-soviétique) composeraient la direction plus juste d'un nouvel équilibre planétaire.

Un monde «zéro-polaire» Ces deux concepts se sont révélés inexacts ou éphémères, comme en a fait le constat Laurent Fabius, mardi, dans son discours de clôture de la Conférence des ambassadeurs de France à Paris. Il a parlé de monde «zéro-polaire» : «Le monde actuel, s’il n’est plus ni bipolaire ni unipolaire, n’est pas (encore) multipolaire : il est plutôt a-polaire ou zéro-polaire.

Constitué d’acteurs nombreux, de taille et de nature diverse (étatiques et non étatiques), il se déploie en effet sans que l’un de ces acteurs ou une régulation par plusieurs d’entre eux assure une gouvernance mondiale efficace et incontestée. Impuissance collective Dans le cas de la Syrie, c’est manifeste. Depuis le début du soulèvement populaire et de la répression par le régime de Bachar Al-Assad, le Conseil de sécurité de l’ONU est paralysé par le double veto russe et chinois. Avec l’emploi d’armes chimiques, en violation de conventions internationales remontant au lendemain du premier conflit mondial, il n’y a plus personne aujourd’hui pour dire le droit international, et moins encore pour le faire respecter. Les Etats-Unis et la France parlent de «punir» Damas, mais si ces deux pays passent à l’acte malgré la défection britannique, ils le feront sans l’autorisation des Nations unies. Et ils le feront au nom d’une légitimité dont le débat aux Communes à Londres, qui a désavoué le premier ministre David Cameron, a montré qu’elle est de moins en moins acceptée par les opinions. Résultat : la paralysie, l’impuissance collective face à un crime contre l’humanité, une situation dangereuse au-delà du cas syrien. La naissance de la justice internationale avait été saluée il y a quelques années comme un signal fort donné aux candidats dictateurs ou bourreaux, après les horreurs de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda dans les années 90. De cette justice internationale, il n’a même pas été question dans les débats autour de l’arme chimique en Syrie, alors même que François Hollande parlait de «punir».

Tout ceci est en cours de changement depuis les attentats de¨Paris le 13 novembre 2015. La France cherche a jouer un rôle politique dans la solution de la guerre civile en Syrie et pour l'éradication de l'Etat Islamique.

  1. Zéropolaire
  2. La diplomatie zéro-polaire de Laurent Fabius
  3. La tragédie syrienne : un monde « zéro-polaire » sans gendarme
  4. Intervention de Laurent Fabius à l’Institut d’études politiques de Paris (11 septembre 2013)
  5. La dépolarisation du monde …!
  6. A world without poles
  7. The age of non polarity Foreign Affairs Richar Haas

Commentaires


Partager |

Mis en ligne le 01/08/2014