PRÉSERVATIF

L'Eglise catholique adopte une position démissionnaire

Courrier International 5 mai 2006

Totalement fermé à la question depuis 1968, le Vatican envisagerait d'accepter l'usage du préservatif - dans un cadre matrimonial très strict - comme moyen de lutter contre l'épidémie mondiale de sida. Une véritable révolution doctrinaire, qui n'a pas l'heur de plaire à tout le monde.

"L'Eglise catholique est au bord d'un changement historique en ce qui concerne sa conception du préservatif, ce qui pourrait apporter de l'espoir à des millions d'Africains et d'habitants de régions dévastées par le fléau du sida", se réjouit le quotidien britannique The Independent, qui évoque l'autorisation par le Vatican de l'usage du préservatif dans un avenir proche. Nous n'en sommes pas encore là, reconnaît le journal canadien La Presse, et "officiellement le siège de l'Eglise catholique reconnaît seulement avoir ouvert un ‘dialogue' sur le préservatif et le sida, et mener une étude sur le sujet dans le cadre d'un examen plus large des questions de bioéthique". Certains signes laissent penser que le Vatican pourrait assouplir sa position.

"Des sources proches de Rome disent qu'un document relatif à une nouvelle doctrine sur le préservatif aurait déjà été approuvé par le Conseil pontifical pour la pastorale de la santé et attendrait maintenant d'être examiné par la Congrégation pour la doctrine de la foi avant une éventuelle confirmation par le pape lui-même", croit savoir The Independent.

Et, même si rien ne dit que Benoît XVI signera, "tout laisse croire qu'un changement majeur s'opère actuellement dans la pensée vaticane", juge l'hebdomadaire américain Newsweek. "Il faut un pape avec une réputation d'orthodoxie conservatrice aussi forte que celle de Benoît XVI pour que ce premier pas puisse être accompli, alors que l'Eglise rejette la contraception avec fermeté depuis 1968."

D'ailleurs, ajoute La Presse, "il n'y a aucune chance pour que le Vatican revienne sur son opposition à la contraception, réaffirmée et renforcée depuis la fameuse encyclique Humanae Vitae, publiée en 1968. Et l'Eglise reste très discrète sur le sujet : il n'y a pas eu d'annonce officielle ou de détails sur la réflexion en cours." En revanche, le cardinal de Milan à la retraite, Mgr Maria Martini, a déclaré le mois dernier à l'hebdomadaire italien L'Espresso que le préservatif était un "moindre mal" pour lutter contre le sida, une déclaration perçue par plusieurs spécialistes du Vatican comme un ballon d'essai.

Dans tous les cas, le préservatif ne serait autorisé que dans un cadre très strict, "afin de lutter contre la propagation du VIH chez les couples mariés". L'idée n'est pas nouvelle, mais fait son chemin. Plusieurs ecclésiastiques de haut rang ont ainsi estimé ces dernières années que, dans des cas spécifiques, "l'usage du préservatif pouvait être considéré comme un cas de 'légitime défense'".

La question théologique de fond est de décider si "le recours à la contraception au sein du mariage est intrinsèquement mauvais ou non", écrit Newsweek. "L'Eglise interdit le contrôle artificiel des naissances, et non le préservatif en tant que tel", rappelle La Presse. Par exemple, reprend Newsweek, "l'Eglise ne perçoit aucun mal supplémentaire dans l'usage du préservatif avec des prostituées dans des maisons closes légales ou entre homosexuels. Ce qui est interdit, ce sont les actes de libération de sperme sans la possibilité que cela aboutisse à la procréation."

Newsweek reconnaît que "tous ces débats peuvent sembler des arguties sans intérêt, et le Vatican est connu pour ses débats théologiques apparemment ineptes à travers les siècles. Mais nombre de catholiques attendent des indications au sujet de cette question du préservatif, à laquelle ils ne comprennent au final pas grand-chose." La Presse signale toutefois que "bien des catholiques durs refusent tout adoucissement de la doctrine".

"Le Vatican, accusé par beaucoup de favoriser l'épidémie du sida en rejetant l'usage généralisé du préservatif alors que c'est le seul moyen de lutte vraiment efficace, note The Independent, pourrait en modifiant sa doctrine ouvrir la voie à une régression de la maladie." En particulier, conclut La Presse, "les associations catholiques, qui offrent des soins et d'autres services aux malades du sida en Afrique, pourraient jouer un rôle plus important dans les campagnes antisida sur un continent où le virus est souvent transmis du mari à l'épouse".