Groupe X-Démographie-Economie-Population

Conférence du 24 Janvier 2001

Fin de la transition démographique.

Soulagement ou inquiétude ?


Par Jacques Vallin

Directeur de Recherches à l’Institut National d’Etudes Démographiques.


L’exposé que je vais vous présenter aujourd’hui est celui que j’ai déjà présenté en Février 2000 à l’Université de tous les savoirs.

Commençons par un bref rappel historique. 1870-71, la défaite, comme tout peuple battu les Français vont chercher des boucs émissaires et à côté du Maréchal Bazaine ils vont trouver un autre motif : la dépopulation. C’est de ce sentiment que naîtra en 1896 l’Alliance Nationale pour l’accroissement de la population française qui deviendra en 1936 , après la saignée de 1914-18 et le déficit des naissances correspondant, l’Alliance Nationale contre la dépopulation.

Autre rappel, en sens inverse celui-là, l’extraordinaire accroissement de l’humanité qui passe de 2,5 milliards à la fin des années 50 à 6 milliards en l’an 2000, phénomène sans précédent dans l’histoire et sans doute aussi sans lendemain.

Y a-t-il contradiction entre ces deux phénomènes ? Non ils sont tous deux différents aspects d’un phénomène plus général : la transition démographique.

En l’an 2000 nous sommes 6 Milliards mais avec le sentiment que nous approchons du terme de la transition.

Cependant il y a une autre théorie, celle de la révolution démographique d’Adolphe Landry et Alfred Sauvy : transition = étape entre deux états d’équilibre, révolution = modification fondamentale ; et certes depuis 1980 et surtout depuis 1990 il y a , se répandant avec rapidité sur toute la planète, un changement fondamental des comportements de fécondité dont nous verront quelques aspects et qui conduit à un tout autre futur que le calme plat et l’équilibre final promis par la théorie de la transition démographique.

En 1982 les études sur la " stabilisation finale " de l’humanité prévoyaient celle-ci vers 2100 avec environ 10 milliards d’êtres humains. Depuis les corrections se succèdent toujours dans le même sens, la date du futur maximum de l’humanité se rapproche et celui-ci est de moins en moins élevé sans que l’on sache trop s’il sera suivi d’un plateau ou d’une décrue plus ou moins prononcée.

D’ores et déjà des inquiétudes nouvelles s’élèvent, même en ce qui concerne le futur proche, cette " fin de la transition démographique " soulève trois sortes de préoccupations.

A) L’exacerbation des déséquilibres, en particulier le déséquilibre Nord-Sud avec un Sud encore fourmillant de jeunesse et un Nord vieilli où le nombre des jeunes est décroissant.

B) Les conséquences de la transition se prolongent après la fin de celle-ci. L’enfant unique des Chinois n’empêche pas, ou du moins pas encore, la population chinoise d’augmenter considérablement, tout en préparant une pyramide des âges désastreuse.

C) La troisième préoccupation concerne la validité du modèle de la transition lui-même, comme nous venons de le voir. Que valent les prévisions les mieux argumentées des instituts de l’ONU si le modèle est mauvais ?

Mais pour bien comprendre le bouleversement il faut revenir un peu sur l’Histoire.

La révolution agricole du néolithique a permis une première augmentation très importante du nombre des hommes, mais c’était avec des hauts et des bas très sévères, des guerres, des famines et des épidémies. Les dernières grandes famines européennes ne sont pas si anciennes : Irlande 1846-48 ; Finlande 1868 ; Ukraine 1933 . Dans ce dernier cas, aggravé par la politique délibérée de Staline, les taux de mortalité étaient si élevés qu’ils correspondaient à une espérance de vie de ...sept ans seulement !

Dans ces conditions il est aisé de comprendre l’importance de la lutte immémoriale contre la maladie et la mort ainsi que toutes les règles et organisations pour une forte fécondité. C’est presque darwinien : les peuples qui n’avaient pas su comprendre ces questions décisives ont tous disparus.

Mais voici que surviennent la révolution industrielle et celle de l’hygiène et de la médecine. La transition va correspondre à la prise de conscience de la nouvelle situation ce qui fatalement se fait avec un certain décalage : on ne change pas en cinq ans des règles essentielles et immémoriales.

Prenons l’exemple de la mortalité infantile : on ne peut plus penser de la même façon quand il fallait avoir huit enfants pour être (presque) sûr d’en garder au moins deux et quand les taux de mortalité infantile descendent au-dessous de 10%, pour ne pas parler des taux voisins de 1% des actuels pays développés...

Mais la prise de conscience ne suffit pas, il faut aussi oser transgresser les lois et les habitudes et pendant ce temps les pays du tiers-monde s’accroissaient à des rythmes qui sont allés jusqu’à 4% par an durant dans les années soixante.

Voilà pourquoi la proportion européenne de la population mondiale , proportion qui avait crût de 15% à 30% entre 1750 et 1950 - d’où la colonisation et l’Europe envahissant le Monde, forte de sa démographie - cette proportion redescend et va bientôt passer en dessous de 10%.

Monsieur Vallin présente diverses cartes de la population mondiale, le recul de l’Europe est flagrant, la Chine et l’Inde prennent une place démesurée, la croissance de l’Afrique est récente mais spectaculaire. Cependant presque partout la baisse de la natalité est en cours voire très largement amorcée.

Une question sur l’importance du sida, en particulier pour l’Afrique. Réponse : nos études et nos projections tiennent compte de l’épidémie de sida, avec des suppositions raisonnables en ce qui concerne les progrès de la lutte contre cette maladie.

Parmi les conséquences différées de la fin de la transition démographique il y a l’augmentation de la proportion des plus de soixante ans. Cette proportion est de 20% dans la France de l’an 2000 et montera sans doute vers 30% en 2050 (en utilisant l’hypothèse optimiste de 2,07 enfants par femme en moyenne) pendant le même temps la Chine la rattrape et passe de 10% à 30%...elle connaîtra son " âge d’or démographique " vers 2025 avec 70% de la population entre 20 et 60 ans.

Un autre exemple, celui-là caricatural : dans les années 70 les entreprises japonaises utilisaient souvent comme argument publicitaire l’âge moyen de leurs membres. Cet âge moyen était alors parfois inférieur à 25 ans. Bien entendu cet argument publicitaire a aujourd’hui complètement disparu.

Monsieur Vallin présente diverses projections chiffrées illustrant les différentes hypothèses, aussi bien en matière de natalité avec un nombre moyen d’enfants par femme variant de 2,1 (équilibre) à 1,4 (Allemagne) 1,2 (Italie, Espagne, Grèce) et même 0,8 (Ligurie, Romagne) qu’en matière d’espérance de vie depuis 85 ans jusqu’à même 150 ans. Les différences sont impressionnantes mais il souligne combien tout cela reste aléatoire.

Il faut toutefois noter que la célèbre ‘’loi de Gompertz’’ : [ à partir de quarante cinq ans, le risque de mortalité double tous les sept ans ] cette loi tend aujourd’hui à s’adoucir pour les âges très élevés. Mais ce n’est nullement l’immortalité : si vous avez 95 ans et faites désormais face à un risque non plus croissant mais constant de 20% par an, cela ne vous donne tout de même qu’une espérance de vie à venir de cinq ans seulement.

Monsieur Vallin termine son exposé par un court examen de la théorie concurrente : la " révolution démographique " d’Adolphe Landry et Alfred Sauvy. Il faut reconnaître que les faits actuels donnent raison à ces deux Français : la natalité est de plus en plus déliée de ses déterminants sociaux traditionnels et de plus en plus liée aux " utilités individuelles ", rien n’assure que l’on s’achemine spontanément vers un équilibre naturel entre natalité et mortalité et l’effondrement démographique, après la phase actuelle de vieillissement, est une chose très possible. Nos sociétés sont devant un défi : donner aux femmes les moyens de concilier vie professionnelle et vie familiale.

Mais, conclut-il, la prise de conscience est très lente ; voyez les blocages des Français à propos des retraites...

___________

Questions

Et l’environnement, et l’écologie dans tout ça ?

Réponse : En ce domaine nous allons fatalement assister à de grandes disparités selon les pays. Les pays du Sud vont donner, donnent déjà, la priorité au développement au détriment de l’environnement, ils ne peuvent guère faire autrement. Toute amélioration en ce domaine, n’entravant pas le développement, sera bienvenue et rendra de très grands services...

Validité des prévisions démographiques de l’ONU ?

Monsieur Vallin fait une réponse prudente. Certes les prévisions de l’ONU ont été constamment révisées à la baisse ces dernières années, mais l’idée de la nécessité de changer de paradigme et de modèle fait son chemin. On peut espérer une bonne amélioration des études prochainement. De toute façon les études et les statistiques de l’ONU sont très utiles aux pays du Sud qui n’ont que peu de moyens.

Quel serait a votre avis l’idéal démo-économique ?

Réponse : On peut rêver d’une démographie stable et d’une économie en croissance, mais je vous invite à regarder plutôt le monde tel qu’il est avec ses énormes disparités aussi bien démographiques qu’économiques, c’est à cela qu’il nous faut trouver des remèdes.

La discussion finale porte sur les taux de natalité et de mortalité, l’importance des liens économie-natalité et des politiques familiales, la lenteur des prises de conscience et les retards des hommes politiques dont le regard est trop souvent myope : il ne porte guère au delà de la prochaine élection....

____________