Groupe X-Démographie-Economie-Population

Exposé du Mercredi 26 Février 2003

Population active et population d’âge actif

Par Claude Vimont

ancien Directeur du Centre d’études pour l’Emploi

(Monsieur Vimont distribue un document de onze pages, avec plusieurs graphiques et annexes, document intitulé ‘’Pays développés. Les nouvelles tendances de l’activité et de l’emploi’’.)

Nous sommes aujourd’hui dans une période de prospective difficile à analyser, car c’est un temps de rupture. Mon étude s’appuie sur les derniers travaux publiés par G. Calot, dans SOCIETAL, n°25, sur ses propres travaux publiés dans POPULATION et AVENIR, n°658, sur les travaux d’Alain Parant pour le dernier colloque de l’Institut de Géopolitique des populations (repris dans le n°8 de la revue de cet Institut) et, enfin, sur les récentes prévisions de population active de l’INSEE, dans ECONOMIE et STATISTIQUE n° 355-356. L’objet de mon exposé est de se livrer à un examen motivé des hypothèses et estimations principales, présentées dans ces différentes analyses.

La première remarque qu’il faut faire c’est que le grand retournement qui nous attend n’est absolument pas lié à une évolution plus ou moins importante du nombre des jeunes entrant chaque année sur le marché du travail. Au contraire ce nombre va rester très stable, au voisinage de 700 000 par an avec une très légère diminution dans les années qui viennent. Rappelons d’ailleurs qu’il y a eu 772 000 naissances en France métropolitaine en l’an 2000 et à peine moins en 2001 et en 2002. Mais les conséquences de cette progression sur la population active n’apparaîtront que dans une vingtaine d’années.

Par contre c’est le nombre annuel des départs à la retraite qui va être bouleversé, il faut bien retenir que ce nombre va être dès 2006 de 30 à 40% plus élevé qu’aujourd’hui, et ce pendant des années... , avec une pointe vers 2010.

L’opinion est-elle vraiment consciente de ce bouleversement imminent ? Il ne le semble pas, malgré les récentes campagnes d’explications. Ainsi une directrice d’un grand magasin signale qu’elle est harcelée par ses employées âgées qui l’aborde en lui demandant " Alors Madame, quand est-ce que vous allez me la donner ma préretraite ? ".

Quelles conséquences sur la population active ? Pour répondre veuillez vous reporter d’abord au graphique 3, juste après la page 6, dans le dossier que je viens de vous distribuer.

Ce graphique présente la répartition de la population active dans les années 1973-1999. La zone noire d’en bas, largement tronquée, représente les fluctuations des emplois " normaux " au voisinage de 21 millions. La zone gris-noir en hachures serrées située juste au-dessus commence vers 1977 et progresse régulièrement, elle avoisine 2 millions aujourd’hui ; elle représente les " emplois marchands aidés ", c’est à dire bénéficiant de certaines exonérations. Cette zone est surmontée à partir de 1985 de la petite zone des " emplois non marchands aidés ", en hachures larges. Puis vient la zone des chômeurs (au sens du Bureau international du travail) zone qui s’élargit considérablement dans les années 80 et 90 où elle avoisine les trois millions. Enfin, tout en haut, trois petites zones représentant les " stages de formation " (zone blanche), les préretraites totales surtout nombreuses pendant le gouvernement de Pierre Mauroy (zone pointillée) et les chômeurs " dispensés de recherche d’un travail " (zone noire démarrant en 1985). S’ajoutent ainsi, en 1999, près de 6 millions de travailleurs, aux 21 millions ayant des emplois dit " normaux ". C’est dire combien le concept de population active est devenu complexe et la situation réelle de l’emploi difficile à analyser, car toutes ces catégories de travailleurs en font partie.

Passons maintenant à la page suivante, le graphique 4 qui présente les taux globaux d’emploi dans les pays développés en l’an 2000. Il s’agit des taux construit en mettant en dénominateur la population des 16-64 ans et en numérateur les trois premières catégories du graphique 3 précédent.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec un taux de 59,8% (et même 58% seulement aujourd’hui) la France n’est pas bien placée. Il faut comparer ces chiffres avec les 74% des Etats-Unis, les 72% de la Grande-Bretagne et les 65% de l’Allemagne...

Question d’un auditeur : " Vos chiffres tiennent-ils compte du travail noir ? "

Réponse : Non, l’estimation en est difficile mais il n’est sans doute pas très important, en tout cas sûrement moins important qu’en Italie. On peut ajouter que le travail noir est souvent le fait de clandestins, lesquels ne sont pas comptés non plus au dénominateur dans les 16-64 ans.

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La question principale est maintenant : " Que peut-on faire pour améliorer la situation ? ".

Examinons les différents ‘’réservoirs d’emploi’’ possibles.

Du côté des jeunes et des emplois de jeunes les progrès semblent difficiles, en dehors de la résorption du chômage d’insertion. Certes il est malaisé de faire des comparaisons internationales sur les taux d’activité des jeunes, car tout dépend du mode de comptabilisation des élèves et des étudiants en alternance, qui diffèrent très sensiblement d’un pays à l’autre. Des progrès seraient sans doute possible, en améliorant les conditions de formation des jeunes. L’enseignement français est en grand déficit de formation industrielle. L’Education nationale française connaît des hauts et des bas avec certains secteurs performants (maîtrise, grandes écoles) mais avec aussi de nombreuses faiblesses et jusqu’à des DEUG de cinq ans, ce qui accroît inutilement le nombre des étudiants en cours !

Du côté des femmes le progrès possible est là aussi très limité. Si l’on considère les femmes de 25 à 49 ans, leur taux d’activité est de 83 à 87% en Scandinavie, de 70 à 80% en Grande-Bretagne, en France (78%) et en Europe centrale, de 57 à 61% en Italie, en Espagne et en Irlande. Si l’on ajoute à cela que les taux scandinaves ont tendance à baisser, on voit que l’on ne guère prévoir augmenter notre taux. Un pays comme l’Espagne à beaucoup plus de réserves que nous.

La vraie réserve réelle est celle des personnes âgées. Il est inévitable que l’âge de la retraite augmente même si au début ce sera dur et si l’on peut craindre quelques effets négatifs temporaires.

Le concept des " matures workers " (les 50-55ans) est apparu aux Etats-Unis, il mène à la question : " Comment vais-je orienter ma carrière à cet âge ? ", au lieu de " Vais-je prendre une pré-retraite, ou être obligé de le faire ? ". Un Américain ne se sent pas déchoir si ses responsabilités sont appelées à diminuer. On ne peut pas encore en dire autant des Français et cela fait qu’il n’y a pour l’instant pratiquement pas de marché de l’emploi des seniors en France. Cependant je suis relativement optimiste de ce côté : de nombreux seniors aspirent à continuer à travailler, même avec des responsabilités moindres. A cet égard, on sent que le réalisme progresse ainsi que l’examen de ce qui se fait à l’étranger, où les travailleurs vieillissants ont des taux d’activité plus élevés.

Question : " Et la réserve de travail que constituent les chômeurs ? ".

Réponse : Cette réserve existe, bien sûr, cependant remarquez que même pendant les récentes années où la croissance annuelle fut de 3%, le chômage est resté à 8%. L’actuel PARE (plan d’aide au retour à l’emploi) n’a qu’un succès relatif. Pour obtenir un taux de chômage plus bas en France il faut prendre une autre voie et se rendre compte que le problème n’est pas économique, il est institutionnel. Il faudrait réformer complètement l’ANPE, mais c’est psychologiquement très difficile. Il en est de même d’ailleurs de l’Education Nationale qui devrait être bien mieux adaptée aux besoins de l’économie.

Question : " Et la réserve que constitue l’augmentation de la durée du travail ? ".

Réponse : Cette réserve est possible pour les petites et moyennes entreprises, mais elle est très difficile pour les grandes qui ont eu beaucoup de mal à s’organiser pour passer aux trente-cinq heures et répugneraient à faire le chemin en sens inverse. On l’a constaté, lorsqu’il a été question de réformer la loi sur les trente-cinq heures. Les grandes entreprises n’étaient demandeuses que d’une adaptation de la législation existante.

Question : " Où se trouve la différence 74% - 58% entre les Etats-Unis et la France ? ".

Réponse : Elle se trouve sur toutes les marges de la population active, aussi bien chez les taux d’emplois des jeunes que chez celui des quinquagénaires et des sexagénaires. Voyez l’évolution de ces taux chez les 15-24 ans, chez les 55-64 ans et chez les plus de 64 ans dans les tableaux du document joint, deux pages après le graphique 4, au cours des quinze dernières années.

Ainsi, pour prendre l’exemple des plus âgés, les Finlandais ont mené une importante campagne pour l'emploi des travailleurs vieillissants. De cette expérience on peut conclure que tout n’est évidemment pas possible ni souhaitable dans le domaine de l’activité au-delà de 65 ans, mais que ce serait bien d’avoir des taux d’activité d’environ 15% parmi les 65-75ans.

Question : " Et la réserve que constitue l’immigration ? ".

Réponse : N’y comptez pas trop pour deux raisons. 1°) L’Italie et l’Espagne, où le déficit des naissances est beaucoup plus prononcé que chez nous, vont être de redoutables concurrentes dans l’attraction de l’immigration. 2°) Les pays de l’Est-européen, plutôt que d’envoyer des émigrants, attireront les délocalisations car leur niveau de compétence est tout à fait à la hauteur. Cependant l’immigration d’étudiants étrangers continuera de bien se porter.

Question : " Que penser des graphiques 8 et 10 des pages 91 et 94 du dossier joint ? "

Réponse : Le graphique 8 analyse l’impact des politiques démographiques et d’immigration sur la population active. On voit qu’une politique démographique active est rapidement plus efficace que les politiques d’immigration. Le graphique 10 analyse l’impact d’un relèvement de l’âge de la retraite. C’est une analyse délicate, mais l’on peut voir une amélioration d’environ 20% dans la proportion retraité / actif pour une élévation de l’âge de la retraite de cinq ans.

Monsieur Vimont termine son exposé par quelques anecdotes sur le Japon - les entreprises japonaises, très fières de la jeune moyenne d’âge de leurs membres pendant les années 70, n’en parlent plus du tout aujourd’hui - et par quelques considérations sur " les deux vieillissements " celui, réel, des travailleurs eux-mêmes et celui qui est généré par l’opinion que s’en font les chefs d’entreprise et l’encadrement. Un tel découplement des analyses sur le vieillissement est actuellement en cours d’examen dans un important " think tank " américain. Cela montrera, sans doute, l’importance de l’adaptation du travail au rythme des personnes âgées, la façon de le mettre en place et l’efficacité des résultats.

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Monsieur Claude Vimont a écrit le livre " Le nouveau troisième âge ". Edition Economica, 49 rue Héricart 75015 Paris.

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