Durkheim

extrait du site http://www.reynier.com consacré à l'anthropologie

Durkheim est sans doute, de tous les sociologues classiques, celui qui reste le plus présent dans la sociologie contemporaine. Cela constitue une sorte de paradoxe. Conservateur, voyant dans le socialisme plutôt une conséquence des dérèglements engendrés par l'évolution des sociétés modernes qu'un remède possible à leurs maux, convaincu que l'individu ne peut être heureux que dans une société qui lui impose normes et contraintes, Durkheim n'est guère au goût du temps. Pourtant, le visage qu'il donna à la sociologie, la méthodologie qu'il élabora sont aujourd'hui revendiqués par la communauté scientifique des sociologues comme un bien commun. S'il n'échappa pas complètement à l'esprit de système, il démontra, peut-être le premier avec une telle force, que la sociologie pouvait être une science positive.

Son oeuvre est ordonnée autour d'un triple projet. Il désirait fonder une science nouvelle, la sociologie, science des faits sociaux et de leurs lois. En second lieu, il fallait lui donner une méthode qui lui soit propre. Il avait aussi pour ambition d'élaborer les règles d'une morale collective s'appuyant sur des valeurs fondées rationnellement.

I. Les règles de la méthode sociologique, étudier les faits sociaux comme des choses

Pour devenir une véritable science, la sociologie doit satisfaire à deux conditions : avoir un objet d'étude spécifique et mettre en oeuvre une méthode de recherche scientifique.

A. L'objet de la sociologie.

L'objet d'étude de la sociologie, dont les caractères sont fixés par les préceptes de la philosophie comtiste, sont les faits sociaux définis comme : "des manières d'agir de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et qui sont doués d'un pouvoir de coercition en vertu duquel il s'impose à lui".

Le fait social est donc extérieur à l'homme car il préexiste à l'individu lorsqu'il nait et qu'il perdure après sa mort : infrastructures matérielles et institutions comme le droit, la morale...

Le fait social s'impose ensuite à l'homme comme une contrainte. Ainsi, le non-respect des règles de vie sociale peut entraîner une sanction de la part de la société. De plus, le respect de ces règles conditionne pour partie la réussite d'une action.

Durkheim ne nie pas que la société est un agrégat d'individus. Néanmoins, il considère que le processus de cette agrégation crée quelque chose qui ne se retrouve pas dans les éléments agrégés. C'est en fait ce quelque chose qui constitue le fait social.

B. Méthode de l'analyse.

Cette méthode se veut objective : "il faut considérer les faits sociaux comme des choses". C'est à dire considérer ceux-ci comme le scientifique le ferait lorsqu'il observe un objet extérieur ( "traiter des faits d'un certain ordre comme des choses... c'est observer vis à vis d'eux une certaine attitude mentale... en partant du principe que l'on ignore absolument ce qu'ils sont "leurs propriétés caractéristiques comme les causes inconnues dont elles dépendent ne peuvent être découvertes par l'introspection."). C'est bien parce que les faits sociaux ne sont pas des choses qu'il faut les traiter comme tels. En effet, la proposition selon laquelle "les faits sociaux doivent être considérés comme des choses" revient à affirmer que l'explication des faits sociaux ne peut généralement être donnée directement, mais suppose une démarche inductive analogue à celle qu'utilisent les sciences de la nature.

Aussi, il est nécessaire d'écarter systématiquement les prénotions (formule de Bachelard) et de définir rigoureusement les phénomènes étudiés. Ensuite, le chercheur recherchera les causes efficientes des phénomènes étudiés ainsi que la fonction que ceux-ci remplissent. Il est nécessaire d'étudier séparément les fonctions et les cause d'un phénomène. En effet, les causes d'un phénomène doivent se rechercher dans les autres faits sociaux alors que les fonctions sont à rechercher dans le but social qu'il poursuit. Pour déterminer les cause, il faut avoir recours à la méthode comparative, son instrument d'excellence est la méthode des variations concomitantes.

Pour connaître les faits sociaux, la statistique s'impose comme la méthode par excellence, car elle seule peut les saisir dans leur globalité indépendamment des cas particuliers. De ce point de vu, un fait est donc social dès qu'il présente une régularité statistique. Nous montrons par là même que les faits sociaux ne sont pas réductibles à l'ensemble des actions individuelles.

Durkheim assigne à la sociologie une utilité sociale concrète. Elle doit repérer les pathologies et tenter de les soigner. Le normal (ce qui caractérise le plus grand nombre) ne peut se distinguer du pathologique qu'à une époque et un lieu déterminés.

II. Quelques théories durkheimiennes. A. De la division sociale du travail.

Il aborde dans cet ouvrage les fondements de la solidarité sociale en les insérant dans une fresque allant des sociétés traditionnelles à solidarité mécanique (conscience collective forte et droit répressif dominant) à la société moderne à solidarité organique (conscience collective affaiblie : les rôles sont complémentaires et non plus identiques ; et droit restitutif). Dans ce type de société, la division du travail s'amplifie, produisant de la cohésion sociale. Dès lors, comme source de la solidarité sociale, elle possède un caractère moral.

Il est nécessaire que la division du travail produise de la solidarité, sinon, il y a un état d'anomie. Or combattre cette tendance naturelle qui résulte de l'individualisation est le grand combat de Durkheim. Pour ce faire, il est nécessaire de mettre en place un système de valeur rigoureux (une morale laïque et républicaine), une socialisation collective renforcée (éducation scolaire, groupements intermédiaires) pour pallier l'insuffisance ou à l'inadaptation des instances traditionnelles, et des structures professionnelles fortement intégratrices pour encadrer les individus.

Le moteur du changement social est l'augmentation du volume et de la densité (matérielle ou morale) des sociétés.

B. Le suicide.

Cet ouvrage reprend la question de la cohésion sociale avec notamment l'établissement d'une relation de cause à effet entre les formes de déséquilibre du lien social et le taux de suicide.

Il existe 4 types différents de suicide et deux variables : l'intégration (attachement au groupe) et la régulation (attachement aux règles).

Le suicide altruiste résultant d'une hyperintégration (suicide du militaire), le suicide égoïste résultant d'une hypointégration (suicide du célibataire), le suicide fataliste résultant d'un excès de réglementation (suicide des époux mariés trop jeunes) et le suicide anomique résultant d'une insuffisance de régulation (suicides des crises de prospérité, déception face aux ambitions déçues). Il démontre de même que le taux de suicide est plus élevé en été qu'en hiver, le jour que la nuit en début de semaine plutôt qu'en fin de semaine, c'est à dire au moment où l'activité sociale est la plus intense.

C. Les formes élémentaires de la vie religieuse.

Il définit la religion : "un système de croyances solidaires et de pratiques relatives aux choses sacrées (...) qui unissent en une même communauté morale, appelé Église, ceux qui y adhèrent". Ainsi le monde profane s'opposerait à l'univers du sacré lequel est structuré par des croyances et des rites (totémisme). Nous pouvons remarquer qu'il ne fait aucune allusion à une divinité. Pour lui, l'origine de la religion, c'est la société elle-même. Le sacré incarné dans la réalité sociale est définit comme une mana, une force anonyme. "La société est à ses membres ce que Dieu est à ses fidèles". La religion serait donc une transfiguration de la société.

Dans l'Éducation morale, il développe l'idée selon laquelle, morale et religion étaient indissociables avant que la morale ne s'autonomise et ne se laïcise. Puis, il pose les principes de la morale civique : l'esprit de discipline, l'attachement au groupe, l'autonomie de la volonté (libre acceptation des deux premiers préceptes). C'est l'école qui doit enseigner la morale aux enfants et les transformer en êtres sociaux. En ce sens, le maître est une sorte de prêtre.

Octobre 1998