Jean-Paul II, homme universel
Ivan Rioufol
Figaro, 08 avril 2005

Ecouter le silence : une hérésie médiatique. Un flot de mots accompagnera encore, ce matin, les obsèques de Jean-Paul II. Pourtant, la parole rare serait le meilleur hommage à celui qui sut même se faire comprendre dans son mutisme contraint. C'est le silence des fidèles qui a impressionné les observateurs devant le sanctuaire de Fatima, au Portugal, mais aussi à Wadowice, ville natale du Saint-Père, ou sur la place Saint-Pierre, ces derniers jours. La nécessité d'un recueillement s'est partout imposée. Comme un défi à une société bruyante, ludique, futile.

Non, Jean-Paul II n'était pas moderne. Pourtant, les jeunes l'ont compris, soutenu, admiré. C'est à eux, massés sous ses fenêtres, que le Souverain Pontife a fait passer son ultime message : «Je vous ai cherchés et vous êtes venus à moi. Pour cela, je vous remercie.» Elevés dans la culture du paraître, du contentement de soi et de la dérision, ils ont choisi de suivre un vieil homme dénonçant les fausses idoles, les idéologies aliénantes, les sociétés sans mémoire et sans Dieu. Un discours antitotalitaire qui fit tomber le Mur de Berlin et qui reste redoutablement efficace.

Cette réflexion du Pape (16 décembre 2002) dit bien sa résistance à l'esprit du temps : «On ne peut pas oublier que c'est la négation de Dieu et de ses commandements qui a créé au siècle passé la tyrannie des idoles, exprimée dans la glorification d'une race, d'une classe, d'un parti, de l'Etat ou de la nation. Si l'on supprime les droits de Dieu, les droits de l'homme ne sont plus respectés.» Son successeur saura-t-il parler ainsi ? Les catholiques, qui en France ont délaissé le culte, ont néanmoins aimé entendre cette absence de doute.

Se devine d'ailleurs une fierté retrouvée à appartenir à cette Eglise, qui aura su se faire respecter en demandant le pardon de ses fautes, notamment aux juifs accusés de déicide. Dans ce contexte, le refus du nouvel archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois, d'accéder à la demande de jeunes catholiques de la capitale, qui ne pouvant se rendre à Rome, désiraient un stade pour y suivre la retransmission des obsèques, peut laisser craindre la persistance d'un clergé trop timide et démobilisateur.

Mais l'extraordinaire émotion planétaire dépasse la chrétienté et les religions. Elle balaye, au passage, les clichés sur un pape coupé de son siècle pour avoir refusé de promouvoir le préservatif, l'homosexualité et s'être opposé à l'avortement. Le monde entier reconnaît le Saint-Père comme symbole de l'humanité. C'est l'homme universel qui est aujourd'hui sacralisé pour avoir promu l'amour, la paix, la charité. Mots plus forts que tous les slogans et systèmes politiques.

En fait, la disparition du Pape fait comprendre combien il répondait au besoin de ses contemporains, perdus dans un monde vide de sens, de se raccrocher à des valeurs respectant la vie et différenciant le bien du mal. Une leçon devra en être tirée.


Laïcité contournée

Qu'est venu faire le démocrate-chrétien François Bayrou, président de l'UDF, dans cette pauvre querelle contre la décision de la France de rendre hommage au Pape défunt ? «Je suis croyant, profondément ému. Mais mettre les drapeaux en berne ne correspond pas à la distinction qu'il faut faire entre convictions spirituelles et choix politiques et nationaux», a estimé lundi le leader centriste, en rejoignant le camp des pinailleurs de neutralité républicaine, qui n'auront rien trouvé à redire aux funérailles nationales offertes par la France à Yasser Arafat. Le Pape n'était-il pas également chef d'Etat ?

En réalité, la «fille aînée de l'Eglise» a fait bien peu pour le Saint-Père en ramenant ses drapeaux, comme la Turquie, durant 24 heures. A titre de comparaison, les couleurs des Etats-Unis seront en berne toute cette semaine. C'est un deuil national qui a été décidé en Italie, au Portugal, en Pologne, mais aussi en Inde, à Cuba et même en Egypte ou au Bangladesh musulmans. Est-ce cette trop grande réserve que le chef du gouvernement a tenté de corriger, mardi, en s'associant à l'hommage rendu au Souverain Pontife par l'Assemblée nationale, qui a observé un instant de silence ?

La reconnaissance universelle rendue à Jean-Paul II est venue rappeler le refus de la France de répondre à son désir de voir reconnaître les racines chrétiennes de l'Europe dans le préambule de la Constitution. Une attitude qui se révèle être une faute politique au regard de la ferveur catholique. Cette bévue, qui risque de motiver un rejet du référendum, peut expliquer le geste du ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin : il a invité les préfets à assister aux messes célébrées par les évêques «à la mémoire de Sa Sainteté» et à effectuer des visites de condoléances auprès des autorités religieuses.

Ces libertés soudainement prises par les politiques avec un dogme excluant théoriquement la religion de la sphère publique, apportent une heureuse limite à l'intégrisme laïc, qui ne correspond visiblement pas aux attentes des Français. Il est normal que Jacques Chirac et son épouse aient assisté, dimanche soir, à la messe en la cathédrale de Paris. Il est justifié que le couple présidentiel soit, ce matin, en la basilique Saint-Pierre de Rome. Ces gestes de piété et de respect rappellent simplement que la déchristianisation de la société est un leurre.

La mort en face

Ce qui restera dans les mémoires : le visage apaisé de Jean-Paul II, dont la dépouille a été très rapidement exposée aux yeux de tous et saluée par des milliers de visiteurs. Alors que l'époque refuse de regarder la mort en face, incinère les corps ou les enterre hors des villes, il est frappant de constater à quel point la vision du Pape endormi – la superbe Une du Figaro de lundi – est apparue familière et, pour tout dire, belle. Peu de personnes, semble-t-il, auront été choquées par cette mort donnée à voir, sans impudeur ni voyeurisme. Un intime est enterré aujourd'hui.