IDÉES «Grâce aux neurosciences,
la méditation bouddhiste va acquérir
ses lettres de noblesse en Occident »

Figaro Magazine N°19107 7 janvier 2006

MATTHIEU RICARD (fils de Jean François Revel) est docteur en génétique cellulaire et ancien élève de François Jacob. Il a embrassé le bouddhisme il y a plus de trente ans. Interprète du dalaï-lama, il réside dans le monastère de Shechen, au Népal.

On n'avait jamais vu des scientifiques courir pour avoir une place dans les premiers rangs des Rencontres de la Société des neurosciences à Washington ! C'est pourtant ce qui s'est passé à l'ouverture des portes de l'immense auditorium, alors que le dalaï-lama allait prononcer le discours d'ouverture de ce rassemblement annuel comprenant 37 000 scientifiques. Durant trente minutes, il a souligné la nature pragmatique et expérimentale du bouddhisme, qui a pour but d'éliminer la souffrance par une meilleure connaissance du fonctionnement de l'esprit. Il a affirmé que si les connaissances acquises par la science contredisaient certains écrits anciens du bouddhisme (par exemple dans le domaine de la cosmologie), leur contenu devait être considéré comme caduque. Puis, il a enchaîné : « Le bouddhisme peut, en revanche, partager avec la science moderne les connaissances acquises par plus de deux mille ans consacrés à l'entraînement de l'esprit. » Stephen Kosslyn, directeur du département de psychologie à l'université de Harvard et spécialiste mondial de l'imagerie mentale, l'a dit récemment : « Nous devons faire preuve d'humilité devant la masse de données empiriques fournies par les contemplatifs bouddhistes.
Dans quelle mesure peut-on former son esprit à fonctionner de façon constructive, à remplacer l'obsession par le contentement, l'agitation par le calme, la haine par la compassion ?

Voilà vingt ans, un dogme des neurosciences voulait que le cerveau contienne tous ses neurones à la naissance et que leur nombre ne soit pas modifié par les expériences vécues. Mais, à l'heure actuelle, les neurosciences parlent davantage de neuroplasticité, le cerveau évoluant continuellement en fonction de nos expériences, et étant capable de fabriquer de nouveaux neurones durant toute notre vie. Le cerveau peut, en effet, être profondément modifié à la suite d'un entraînement spécifique : l'apprentissage de la musique ou d'un sport, par exemple. Ceci suggère que l'attention, la compassion et même le bonheur peuvent, eux aussi, être cultivés et relèvent en grande partie d'un savoir-faire acquis.

Toute expertise nécessite un entraînement. On ne peut s'attendre à devenir virtuose du piano ou champion de tennis sans une pratique assidue. Il est parfaitement concevable que l'on entraîne son esprit comme on entraîne son corps. On peut donc consacrer chaque jour un certain temps à cultiver la compassion ou toute autre qualité positive. Selon le bouddhisme, méditer signifie cultiver. La méditation consistant à se familiariser avec une nouvelle manière d'être, de gérer ses pensées et ses émotions, et de percevoir le monde. Les neurosciences, quant à elles, sont à même d'évaluer ces méthodes et d'examiner leur impact sur le cerveau et le corps.
Plusieurs programmes de recherche ont été lancés pour étudier des individus qui se sont consacrés durant unevingtaine d'années au développement systématique de la compassion, de l'altruisme et de la paix intérieure. Douze pratiquants bouddhistes, moines et laïques, totalisant chacun de 10 000 à 50 000 heures de méditation – des « athlètes dans leur discipline – se sont rendus à l'université de Madison, dans le Wisconsin, pour participer à une étude sur les effets de la méditation sur le cerveau. Etude conduite par le chercheur français Antoine Lutz et l'équipe du professeur américain de psychologie et de psychiatrie Richard Davidson. L'expérience a montré que, lorsque les pratiquants commençaient à méditer sur la compassion, il se produisait une augmentation remarquable des oscillations rapides dans les fréquences dites gamma et de la cohérence de leur activité cérébrale. Les recherches indiquent également que l'activité cérébrale des méditants concentrés sur la compassion est particulièrement élevée dans le lobe préfrontal gauche, région du cerveau liée aux émotions positives. La compassion, l'acte même de se soucier du bien-être des autres, va donc de pair avec les autres émotions positives, comme la joie et l'enthousiasme. De plus, les zones impliquées dans la planification des mouvements et l'amour maternel sont fortement stimulées.

Pour les contemplatifs, cela n'a rien de surprenant car la compassion génère un état de totale disponibilité qui permet un passage à l'action. Pour Richard Davidson,
« cela semble démontrer que le cerveau peut être entraîné et modifié physiquement d'une façon et dans une mesure difficilement concevable jusque-là ».

Il semble donc que nous soyons au seuil de découvertes passionnantes qui devraient montrer que nous pouvons transformer notre esprit d'une façon beaucoup plus importante que la psychologie ne l'avait supposé. La méditation pourrait ainsi acquérir en Occident les lettres de noblesse dont elle jouit depuis des millénaires dans la culture bouddhiste. Sécularisées et validées scientifiquement, ces techniques pourraient être utilement intégrées dans l'éducation des enfants – une sorte de pendant « mental » au cours d'éducation physique – et dans la prise en charge émotionnelle des adultes. Reste encore à analyser l'évolution du cerveau des méditants dans la durée. Quelques études préliminaires indiquent déjà qu'il n'est pas nécessaire d'être un méditant surentraîné pour bénéficier des effets de la méditation : vingt minutes de méditation journalière contribuent de façon significative à réduire le stress, mais aussi à renforcer le système immunitaire et l'équilibre émotionnel !

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Mis en ligne le 04/09/2007 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pierreratcliffe.blogspot.com