liens/links
  1. Nature et spiritualité
  2. L'écologie, de la Bible à nos jours. Pour en finir avec les idées reçues
  3. le Saint Siège et le développement durable
  4. Intervention de l'observateur permanent du saint-siège auprès des Nations Unies sur "les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique"
  5. Conférence des NATIONS UNIES sur le commerce et le développement (CNUCED) Intervention DE S. Exc. MGR SILVANO MARIA TOMASI représentant DU SAINT-SIÈGE
  6. Blog de Patrice de Plunkett

Pour une écologie chrétienne

Interview de Patrice de Plunkette et Jean Marie Pelt (spectacle du monde Juin 2008)

L'écologie est un des défis vitaux de notre temps ! Et, depuis que la question se pose, une des préoccupations majeures de l'Eglise catholique. Après Jean-Paul Il, Benoît XVI fait de l'écologie un des axes forts de son pontificat. Dans le même temps, nombre d'intellectuels chrétiens investissent le champ écologique. Nous avons réuni deux d'entre eux, le botaniste Jean-Marie Pelt et notre chroniqueur Patrice de Plunkett, pour débattre de l'écologie et de ses rapports avec le christianisme.

Chroniqueur hebdomadaire sur France Inter (CO2 mon amour) et auteur d'une quarantaine d'ouvrages, dont Après nous le déluge? (Flammarion), récemment réédité, Jean-Marie Pelt fait paraître Nature et spiritualité (Fayard). Tenant le bloc-notes du Spectacle du Monde, ainsi qu'un blog (plunkett.hautetfort.com), Patrice de Plunkett publie l'Ecologie, de la Bible à nos jours. Pour en finir avec les idées reçues (L'OEuvre).

Les préoccupations écologiques ne cessent de monter en puissance. Quelles en sont, selon vous, les raisons profondes? Que vous inspire le saccage de la planète? Que pensez-vous du réchauffement - ou dérèglement-climatique?

Jean-Marie Pelt - II faut arrêter ce saccage au plus vite. Scientifique depuis 1964 et praticien de l'écologie depuis 1971, j'assiste, depuis seulement quatre ans environ, à une prise de conscience profonde de l'opinion publique. Des initiatives déterminantes ont été prises par l'Onu dès 1972, lors du sommet de Stockholm, dont nous n'avons eu les répercussions sur les gouvernements que depuis quelques années. En France, cela a abouti au fameux « Grenelle de l'environnement », qui a été un lieu de dialogue. La balle est maintenant dans le camp des hommes politiques.

Parler de saccage de la planète n'est pas faire du catastrophisme. Il suffit, par exemple, de constater le recul important des forêts tropicales humides, malgré les innombrables actions d'ONG. Ainsi, en Amazonie, en l'espace de quarante ans, ce recul renrésente 17 % de la siinerficie rnrale_ ce mil estcolossal. De même, en Indonésie, il existe une déforestation terrible liée à la demande de bois de la Chine. A tel point que les forêts indonésiennes sont aujourd'hui considérées comme quasiment perdues. Quant au réchauffement climatique, il s'agit d'un phénomène mondial. Ses effets risquent d'être plus importants que les conclusions contenues dans le rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), remis voici un an et demi. Les prévisions indiquaient un réchauffement d'1,8 à 4 degrés à l'horizon de la fin du siècle. Mais après la débâcle massive de la banquise arctique au cours de l'été dernier, les prévisions sont plus pessimistes.

Patrice de Plunkett - Ce qui est frappant, c'est une désinformation massive du grand public! Le pseudo-débat auquel nous venons d'assister sur les OGM en est un exemple. La pensée unique – ou, plutôt, la pensée zéro – concernant les OGM affirme qu'il s'agit d'un progrès et d'une grande promesse pour les paysans. Or, si l'on étudie scientifiquement le dossier, on découvre one les OGM ne tiennent pas leurs promesses agronomiques, et que des risques immenses existent alors que les tests ont été effectués beaucoup trop brièvement.

Cependant, quoique désinformée, l'opiilion se doute qu'on ne lui dit pas la vérité sur les OGM. C'est pourquoi les sondages font état d'un rejet du transgénique par 75% des personnes interrogées. La campagne « Italie et Europe libres d'OGM » a été soutenue par onze millions de transalpins en 2007. Sur la question du réchauffement climatique, une idée lancée aux Etats-Unis a traversé l'Atlantique, voici quelques années, et se trouve répercutée dans certains milieux « de droite »: il y aurait un débat entre scientifiques sur l'existence même de ce réchauffement. C'est une désinformation ! Les seuls hommes compétents, en matière de climat, sont les climatologues : or, pour eux, le réchauffement est un fait objectif et constaté. De même que le rôle du productivisme industriel dans ce phénomène.

Il est beaucoup question de la croissance. Or, celle-ci ne recouvre-t-elle pas un mythe devenu réalité: celle d'une production et d'une consommation infinie dans un monde fini?

Patrice de Plunkett - On ne peut pas réduire l'analyse de l'activité humaine à un seul de ses paramètres. Or, l'idéologie des années 1990 a réduit la vie, non seulement à l'économique mais à l'économique vu sous le seul angle de la rentabilité financière: une réduction à l'intérieur de la réduction! Au final, nous nous retrouvons régis par une finance « devenue folle », comme le diagnostique Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie. Et cette situation se retourne contre l'économie elle-même. L'argent ne rend plus compte qu'à l'argent, il se déconnecte de l'économie réelle, tourne sur lui-même à une vitesse accélérée, et provoque des crises humaines, sociales et environnementales d'une gravité et d'une fréquence croissantes.

Jean-Marie Pelt - Si la croissance augmentait de 2 ou 3 % chaque année, en 2050, nous n'aurions plus beaucoup de terrains à cultiver parce que, autour de chaque ville, il y aurait quatre autoroutes. Pour bien montrer les limites du concept de « croissance », je souhaite emprunter un exemple à mon ami Jean-Claude Thiers, une grande figure de l'écologie en Bretagne. En effet, selon lui, il y a un moyen de faire avancer la croissance d'un coup sec. Il s'agit tout simplement de couper les arbres de nos forêts. La Chine est prête à acheter tout notre bois! D'abord, ce sera excellent pour notre commerce extérieur. Ensuite, nous ne serons plus en déficit. Enfin, nous pourrons embaucher et former des bûcherons. Nous aurons alors dopé la croissance de 2,5% par an en quatre ou cinq ans. Et le point de croissance qui manque sera trouvé! Oui, seulement, après cela, nous n'aurons plus de forêts.

La croissance s'opère, en réalité, par la décroissance du patrimoine [naturel]. Il y a une expression que je n'aime pas du tout : « On crée des richesses ». D'ac- cord, mais on épuise les réserves de la planète, on détruit le patrimoine [naturel].

Il convient, au contraire, de réhabiliter les valeurs patrimoniales, mises à mal par la recherche de la croissance.

Que pensez-vous du « développement durable"? N'est-il pas une contradiction dans les termes?

Patrice de Plunkett - Je constate qu'un Edgar Morin a renoncé à l'expression de « développement durable ». Selon lui, le développement ne peut pas être durable s'il n'est que l'extension du modèle occidental à l'échelle mondiale: il s'agit d'un modèle d'exploitation des ressources « jusqu'à l'os ». Si l'on veut du durable, il ne faut pas un modèle de développement unique, global, planétaire, mais des modèles de développement locaux, visant à l'autosuffisance. La crise alimentaire actuelle montre bien la nécessité de redéfinir le développement. Un développement agricole durable dans les pays pauvres passerait par le retour aux cultures vivrières locales; au lieu de cela, l'économie « globale » occidentale leur a imposé la monoculture agro-industrielle d'exportation, en direction des pays riches. D'où la dépendance étroite des pays pauvres vis-à-vis des cours des matières premières. Résultat: on se retrouve, en ce début de XXIè siècle, avec des «émeutes de la faim».

Dans certains milieux écologistes, le christianisme est accusé d'être à l'origine du mépris, voire de l'opposition de l'homme à l'égard de la nature. Les premiers versets de la Genèse sont souvent cités, notamment celui où il est question pour l'homme de «soumettre et dominer la terre» (1,28)? N'y a-t-il pas un malentendu quant à l'interprétation littérale des verbes utilisés?

Patrice de Plunkett - C'est une idée fausse martelée comme un slogan, et reposant sur une méconnaissance. Si l'on sort quelques versets de la Bible de leur contexte, on peut leur faire dire ce que l'on veut... Mais lisons la Bible dans sa totalité, en en saisissant l'esprit: que constate-t-on? L'homme fait partie de la Création, mais Dieu la lui confie pour qu'il en soit le berger. Si le Créateur fait l'homme « à son image » (non différent – en cela – du reste de la Création), ce n'est pas pour qu'il la saccage. L'Ecriture est explicite à ce sujet.

Pourquoi ne le sait-on pas? Parce que les traductions classiques (de l'hébreu au latin, puis du latin au français) ont durci le sens initial des versets en question. Replacés dans leur contexte, les deux verbes traduits par « dominer, soumettre », doivent s'entendre comme « être responsable » de la Terre. Le jardinier domine le jardin, mais pas pour le détruire: pour le faire fleurir et fructifier! C'est en ce sens-là qu'il faut comprendre le verbe « dominer ».

Jean-Marie Pelt - En 1992, j'avais publié un livre, Au fond de mon jardin (Fayard), qui était une lecture de la Bible à la lumière de l'écologie. Je récusais évidemment que La Bible invite à détruire la Terre. C'est Lynn White qui est à l'origine de cette thèse. En 1967, il a publié un article dans la revue Science, qui était la reproduction d'une conférence incriminant plusieurs versets de la Genèse. Il en a déduit que la capacité prédatrice de l'homme sur son environnement découlait tout naturellement de ces textes-là. Cette idée a fait fortune. Elle s'est propagée par mimétisme. Depuis trente ans, j'entends cette thèse fallacieuse dans le monde écologique...

Cependant, ne peut-on pas relever certaines dérives de l'Eglise catholique au cours de son histoire? Ne s'est-elle pas coupée, à certains moments, des sources cosmiques de la Création?

Patrice de Plunkett - L'écologie politique apparaît dans les années 1970. La première déclaration écologique de Paul VI date de 1971. L'Eglise n'a donc pas perdu de temps. En revanche, si l'on remonte plus de deux siècles en amont, il y eut bien un problème pour les intellectuels catholiques, quand ils ont cédé le terrain à la philosophie des Lumières et à son mécanicisme conquérant. C'était l'idée d'une « science-pouvoir » et d'une nature « machine », livrée à l'homme (« machine » lui aussi) pour qu'il l'exploite sans limites. A la fin du XVIII° siècle et au début du XIX°, le libéralisme anglais (celui des Adam Smith, Ricardo, Malthus etc.) a aggravé cette tendance: et c'est elle qui a pris les commandes de la révolution industrielle, avec les conséquences sociales et environnementales que l'on sait. Les choses auraient pu tourner autrement si les chrétiens n'avaient pas perdu la bataille intellectuelle face aux Lumières.

Mais, depuis plusieurs dizaines d'années, l'Eglise catholique est engagée sur le terrain de l'écologie. Jean-Paul II l'a exprimé de manière flamboyante dès le début de son pontificat. Benoît XVI a repris et argumenté cette orientation écologique. L'action diplomatique du Vatican sur les questions environnementales est insistante: l'observateur permanent du Saint-Siège à l'Onu prononce régulièrement des discours musclés sur les problèmes de l'eau, de la biodiversité ou du réchauffement climatique.

Jean-Marie Pelt - Je fais remonter l'analyse plus loin dans le passé. Je lisais récemment un travail sur les différentes formes de christianisme et leur rapport avec la nature. J'ai été frappé par le texte des orthodoxes. Leur vision de la nature est celle du christianisme du premier millénaire. Pour eux, deux chemins mènent au Créateur: le Livre (Bible) et la nature, où le Créateur s'exprime à travers sa beauté. Ce sentiment d'adhésion contemplatif et de louange à la nature s'est perdu à partir du deuxième millénaire en Occident. Bien sûr, il y a la lumière de saint François! Mais, quelques années plus tard, saint Thomas n'a déjà pratiquement plus sa conception. Se met alors en marche un mouvement utilitariste, qui aboutit finalement au capitalisme avec Calvin...

Patrice de Plunkett - Je défendrai saint Thomas d'Aquin! On lui doit un concept d'une grande puissance pour l'engagement écologique : la « destination universelle des biens ». C'est-à-dire l'idée que les ressources naturelles ne peuvent être accaparées par un petit nombre de possédants, et qu'elles sont destinées à tous les habitants de la terre. Cette idée est l'un des piliers de la doctrine sociale de l'Eglise. Le christianisme, religion de l'incarnation, et l'écologie, qui défend la Création, ne se rattachent-ils pas à une même tradition positive permettant la sortie de la crise métaphysique, politique, sociale et environnementale que nous connaissons? Patrice de Plunkett — Oui, pour deux raisons! La pensée religieuse et la pensée écologique s'inscrivent toutes deux dans le long terme, il y a donc un cousinage entre elles; elles font contrepoids au culte du court terme » qui ravage le monde actuellement. D'autre part, dès la Genèse, il y a une solidarité dans le bien et le mal entre l'homme et le reste de la Création : la nature souffre des violences de l'homme, mais l'homme est appelé à être responsable de la nature. Dans le Nouveau Testament, la solidarité de l'homme avec le reste de la Création va jusqu'à leur rédemption commune. C'est ce que l'Apocalypse appelle « les Cieux nouveaux et la Terre nouvelle ».

Comme le dit saint Paul, le salut est promis non seulement à l'espèce humaine, mais aussi à toute la Création... Dire que le christianisme « oppose le divin et la nature » est une absurdité.

Jean-Marie Pelt — S'il y a un concept qui ne trouve pas sa place dans le christianisme, c'est bien celui de domination ». Les Béatitudes constituent l'exact inverse de la domination. On trouve, dans la Bible, l'idée que le sort de l'homme et celui de la nature sont intimement liés. L'homme ne doit pas déroger à certaines limites. Il ne doit pas franchir la ligne jaune. Dans la Genèse, le serpent dit à Eve: « Si vous consommez ce fruit, vous serez comme Dieu ». La ligne jaune est franchie lorsqu'Adam croque la pomme qu'il ne devait pas croquer. Adam et Eve sont alors exclus du jardin d'Eden, la nature se met à produire des épines et des chardons, et l'homme va devoir travailler à la sueur de son front.

A lire

  • Nature et spiritualité, de Jean-Marie Pelt. Fayard, 300 pages, 19 €
  • L'écologie, de la Bible à nos jours. Pour en finir avec les idées reçues, de Patrice de Plunkett. L'CEuvre éditions, 328 pages, 20 €.

Mis en ligne le 20/04/2008 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pratclif.com