Comprendre la peur des OGM

Les OGM, une suite de l'origine de l'agriculture
une question brûlante en France, en Europe et dans le reste monde.

Patricia était heureuse de savoir qu'elle était à nouveau enceinte. Mais à 39 ans, déjà mère de deux enfants, elle était un peu inquiète puisque les chances de donner naissance à un bébé mongolien augmentent avec l'âge. Donc à 12 semaines de sa grossesse, Patricia qui vit à Lyon, décida de passer tous les tests possibles pour connaître les chances de donner naissance à un enfant mongolien . Une échographie mesura la quantité de fluide dans le cou du foetus; plus il y a de fluide, plus il y a de risque; et une analyse de sang mesura les niveaux d'hormone cruciaux au développement du foetus. Tous les résultats de ces examens étaient normaux sauf un seul. Au vu de ces résultats, le médecin dit à Patricia que les chances qu'elle ait un bébé mongolien étaient de 1/130 ou 0.7%, un niveau de risques suffisamment élevé pour justifier des examens plus approfondis. Pour être sure, son gynécologue lui conseilla une amniosynthèse, un examen qui consiste à prélever du fluide du sac amniotique qui entoure le foetus. Mais environ 1 fois sur cent l'amniosynthèse provoque un avortement spontané. Patricia s'interroge alors sur la nécessité de prendre un tel risque? Telle fut sa question au médecin: mais celui-ci ne pouvait que lui donner des alternatives, pas un conseil. "Je voulais faire ces examens pour me rassurer dit Patricia, "mais les choix auxquels ils m'ont confrontée m'ont donné encore plus d'incertitudes." Patricia décida finalement de ne pas faire d'amniosynthèse et elle donna naissance à une petite fille parfaitement normale.

Ce dilemme devient de plus en plus courant dans de nombreux domaines au fur et à mesure que la science pénètre toujours plus profondément dans la connaissance du monde et du vivant, identifiant des situations de risques de plus en plus fins mais sans pouvoir dire si ces risques sont réels, et si c'est le cas s'ils valent la peine d'être pris. Nous vivons de plus en plus dans un monde de probabilités. Or nous voulons le zéro risque.

Nous pouvons mesurer presque toutes choses: le nombre de gènes anormaux sur un chromosome, la quantité de bactéries dans notre eau, le niveau des radiations émises par nos téléphones mobiles. Et quand quelque chose n'est pas normal, nous attendons que la science, la technique, la société, l'État... y portent remède. Mais le plus souvent il n'y a pas de remède. Notre science ne peut pas apporter de réponse ni de remède aux risques de plus en plus nombreux qu'elle identifie.

Au cours des dernières années nous avons connu la crise de la vache folle, celle du syndrome respiratoire aigu, l'épidémie de la tremblante du mouton, le risque de pandémie de la grippe aviaire et le chikungunya. Nous sommes avertis des risques de thrombose lors de nos voyages en avion, du cancer du cerveau provoqué par les radiations des téléphones mobiles, et des mutations des organismes génétiquement modifiés. La liste des peurs qui nous inquiètent est grandissante et les média y contribuent puissamment.

On nous prédit que la terre se réchauffe et que cela va produire des désastres sans précédent, que les souches de bactéries résistant aux antibiotiques nous menacent, que des virus ont muté, que des asteroides menacent la planète. Parfois le fait de se lever le matin paraît trop risqué surtout si nous considérons qu'il faudra peut-être des décennies avant qu'on nous dise si ces risques sont réels. Voir le cas de l'amiante.

Jusqu'à quel point devons nous avoir peur? Cela dépend de la quantité de risque que nous acceptons pour vivre. Or en ce XXIè siècle nous acceptons de prendre de moins en moins de risques. A mesure que la science la technique et la médecine rendent nos conditions de vie plus sûres, notre santé meilleure et la vie plus confortable, notre intolérance aux risques augmente. Bien des risques inhérents à la vie ont été éliminés au cours des 100 dernière années: la mortalité infantile a fortement diminué, les maladies infectieuses ont pour la plupart été éradiquées, la nourriture est plus abondante et de meilleure qualité, l'eau est sûre et les systèmes d'assainissement ne polluent plus l'environnement provoquant des maladies. Même si ces progrès ont été inégalement répartis sur la planète, ils ont assurément bénéficié à l'ensemble comme en témoigne la prodigieuse croissance de l'espèce humaine au cours de ces 100 dernières années - nous sommes passés de moins de 2 milliards d'habitants à plus de 6 milliards. Mais ces progrès nous rendent encore plus sensibles aux risques qui demeurent ou aux nouveaux risques. "Avant le parapluie, quand il pleuvait on était mouillé, dit Raffaelle De Giorgi, directeur du Centre d'étude des risques de l'Université de Lecce en Italie. "C'est avec l'invention du parapluie, que le risque d'être mouillé est né."

La grande majorité des Européens, par exemple, sont inquiets de la possibilité de manger des aliments génétiquement modifiés. Mais les mêmes ne s'inquiétent nullement de manger des frites ou des chips, de fumer des cigarettes ou de boire de l'alcool, tous ingrédients qui présentent des facteurs de risques beaucoup plus élevés et bien identifiés que de manger un plat de riz génétiquement modifié. Les européens craignent les aliments GM en dépit de l'absence de toute preuve scientifique qu'ils présentent réellement des risques. En revanche tout le monde sait que fumer peut tuer; mais 94 Millions de personnes fument des cigarettes malgré les avertissements bien apparents sur les paquets de cigarettes.

Certains scientifiques pensent que notre intolérance au risque pose des problèmes et des dangers réels. Nous sommes très bien nourris, et riches de consommation de multiples produits et services, accompagnés par l'État providence tout au long de notre vie. C'est ce qui rend le risque si inacceptable. Mais le fait qu'une société refuse d'accepter les risques inhérents au nouveautés, est susceptible d'empêcher le progrès et l'innovation. "Rien ne pourra jamais garantir qu'une science une technique sont sans danger".

Manger ou non des aliments génétiquement modifiés?

Ce dilemme est particulièrement aigu dans le cas des aliments génétiquement modifiés. Il y a une opposition farouche en Europe contre les OGM; des études scientifiques innombrables existent et aucune ne se prononce de manière certaine sur l'existance et la réalité des risques possibles.

Contemplant un champ de tournesol GM dans sa ferme de 810 hectares près d'Oxford à 85 km au nord ouest de Londres, Christopher Lewis se rappelle la chaude journée d'été où il reçut la visite d'un agronome de l'université d'Oxford. Lewis 69 ans, qui a été fermier durant 44 ans de sa vie, a cultivé des OGM depuis 36 mois dans le cadre d'un essai du ministère de l'agriculture pour étudier l'impact des OGM sur l'environnement. IL conduisit l'agronome visiter un des champs d'essai de maïs transgénique. D'un côté le maïs traditionnel; de l'autre, les plantes étaient génétiquement modifiées pour résister au glyphosate, un herbicide que l'on trouve dans toutes les jardineries et qui détruit les plantes en laissant le sol non atteint.

Du côté des plants de maïs GM, traités avec une concentration de glyphosate relativement faible, il y avait des petites touffes de mauvaises herbes, mais aussi des pucerons, des abeilles, des insectes et un couple de perdrix avec leurs petits se nourrissant de ces insectes. Lewis se rappelle que du côté des plants de maïs non GM, où il traitait avec de la simazine, un herbicide très puissant qui détruit toutes les mauvaises herbes, mais rendait le sol stérile au point qu'il n'y avait plus de vie du tout, ni herbes, ni insectes ni oiseaux. "Pourquoi ces anti-OGM continuent ainsi de saccager les plants; de quelle autre assurance ont-ils besoin?

Peu d'européens partagent la conviction de Lewis. Un sondage européen effectué en 2001 a montré que 94% des sondés veulent pouvoir choisir de consommer ou non des aliments transgéniques et 70% déclarent être farouchement opposés aux OGM. Lewis a payé un lourd tribut à son acceptation de faire des essais en plein champ. Sept fois de suite des anti-OGM ont détruit ses parcelles, le menaçant lui et sa famille. Et certains de ses voisins le critiquent "de manipuler la nature".

Les opposants à la "manipulation de la nature" craignent que les gènes introduits dans nos plantes domestiques pourraient conférer des traits indésirables sur les espèces non domestiquées, réduire la biodiversité et créer des super mauvaises herbes qui envahiraient tout. Ils craignent aussi que les aliments transgéniques puissent altérer la santé humaine d'une manière imprévisible.

Les anti-OGM disent aussi que les semences d'OGM sont imposées au public par des multi-nationales qui ne s'intéressent qu'au profit. C'est vrai que les multinationales ont quelque chose à gagner. Elles détiennent les brevets des semences transgéniques et aussi des pesticides auxquels les plantes GM sont rendues résistantes. Monsanto vend le glyphosate sous le nom de marque "Roundup" et une variété de semences résistant à l'herbicide sous le nom de "roundup ready". Mais les plantes GM peuvent être un avantage pour les autres aussi, particulièrement l'agriculture des pays en voie de développement. Dans de nombreux pays en effet, les bonnes terres agricoles et l'eau d'irrigation sont en voie de diminution relative et absolue à mesure que leurs populations augmentent et que la demande de nourriture augmente. Le Nuffield Council du Royaume Uni sur la bioethique, un organisme de réflexion indépendant, a récemment suggéré que technologie génétique pouvait améliorer les conditions de vie des pauvres dans les pays en voie de développement par l'accroissement des rendements, la culture de plantes résistant à la sécheresse, et la culture en terres saumâtres.

L'impact de la culture d'OGM en Europe et en France risque d'être limité au moins à court terme, à cause d'une farouche opposition d'une part mais d'autre part parce que seuls quelques OGM sont adaptés au climat tempéré de l'Europe et donc leur besoin est moindre qu'ailleurs. L'opposition de l'opinion aux OGM fera que la demande restera faible et donc le marché pour ces produits. Deux rapports de la commission d'étude britannique sur l'état des connaissances scientifiques en matière d'OGM, publiés en 2003 et 2004, ont conclu que les risques de santé publique liés aux OGM actuellement sur le marché étaient "très faibles" mais que des incertitudes subsistaient et que l'approbation serait faite au cas par cas. La méthode utilisée par la commission européenne en la matière est claire et transparente. Voir des exemples.

Au vu de ces études, les OGM sont-ils dangereux ou non pour la santé et l'environnement? Selon les résultats d'essais au Danemark, publiés le National Environmental Research Institute (NERI), ils le seraient. Pendant 3 années successives, les chercheurs de NERI ont étudié des champs d'essais de betterave non GM et de betteraves OGM, ces dernières ayant été génétiquement modifiées pour résister à l'herbicide glyphosate. Ils ont trouvé que les lots cultivés avec des plants OGM supportaient plus d'espèces de plantes et d'insectes que les lots cultivés avec des plants non GM, ce qui permet d'offrir davantage de nourriture pour les oiseaux et autres formes de vie sauvage, donc favorisaient la biodiversité. En juillet 2003, la société Royale de Grande Bretagne et l'académie des sciences de France ont produit un rapport dans lequel ils déclarent que rien ne permet aujourd'hui de dire que les OGM sont dangereux pour la santé et l'environnement. Voir ce rapport.

Mais cela n'est toujours pas assez pour Pete Riley, un des farouches opposants aux OGM de l'association "les amis de la terre". Voir le site de "friends of the earth international". Et le titre du livre de Marcel Roy "un insidieux crime contre l’humanité – LES OGM". Les études conduites par "Friends of the earth" sur les composants chimiques du maïs GM suggèrent que les OGM présentent un accroissement des acides aminés, les briques qui constituent les protéines de tous les organismes vivants. "Cela pourrait avoir des effets à long terme" dit Pete Riley, " des années de nourriture GM pourraient affecter la croissance de nos muscles et autres organes". Ces positions contre les OGM doivent être rapprochées d'autres études scientifiques, notamment la thèse d'effets néfastes de l'invention de l'agriculture et de l'élevage sur la santé, thèse qui est renforcée par une science nouvelle, la paleopathologie, née de la curiosité de savoir quels furent les effets sur la "santé des humains" après leur passage de l'état de "chasseurs-cueilleurs" à celui d'agriculteurs-éleveurs" il y a 10 000 ans. Voir

Origins of agriculture.

Et

The Origins of Agriculture as a Natural Experiment in Cultural Evolution

Peu de recherches ont été faites sur le comportement des OGM dans le corps humain. Une étude demandé à l'université de Newcastle par l'agence britannique de sécurité alimentaire, a montré que de faibles niveaux de gènes résistant aux anti-biotiques insérés dans l'ADN peuvent passer dans les bactéries de nos intestins. C'est inquiétant dit Emily Diamand, un des chercheurs de l'association "les amis de la terre" car si on introduit un gène résistant aux anti-biotiques dans une plante et que la nourriture est décomposée dans l'estomac, d'autres bactéries peuvent collecter ce gène et l'utiliser de manière imprévisible. Ces inquiétudes sont relayées par l'organisation mondiale de la faim (OMF) et l'organisation mondiale de la santé (OMS). Selon ces institutions, les OGM doivent être très soigneusement étudiés afin d'éviter que des effets négatifs non identifiés puissent nuire à la santé humaine comme les réactions toxiques, les allergies ou la résistance aux anti-biotiques.

Suivre ces liens sur la paleopathologie

Que conclure? Eh bien c'est qu'il n'y a pas de conclusion. Il n'existe pas de preuve scientifique irréfutable que les OGM sont dangereux ou non pour la santé humaine. La certitude absolue est un mythe. La science ne peut jamais affirmer que quelque chose ne peut pas se produire, sauf peut-être dans les sciences exactes comme l'astronomie et le mouvement des planètes. Tout ce qu'on peut dire c'est qu'il y a un réseau de données basées sur l'observation, les connaissances historiques, préhistoriques et archéologiques et leur interprétation par des scientifiques chacun spé"cialiste d'une discipline.

En fonction des résultats d'investigations dans ces différents domaines de recherche et de leur interprétation, on peut pencher en faveur du caractère non dangereux des OGM pour la santé humaine et l'environnement. Mais avec les mêmes données, on peut pencher sur le caractère éminemment dangereux des OGM. Les essayer avec le risque qu'on ne peut écarter l'apparition de pathologies nouvelles et une influence néfaste supplémentaire sur l'environnement, est une possibilité, comme cela s'est produit lors du passage de l'état de "chasseurs-cueilleurs" à celui d'agriculteurs-éleveurs" il y a 10 000 ans. Les refuser c'est risquer de passer à côté d'une opportunité technique nouvelle; car l'opulence des populations bien nourries des pays développés ne concerne qu'une minorité de la population de la planète. Voir la famine qui menace les populations du Sahel en 2006.

On peut imaginer des "opposants virtuels" au passage de l'état de "chasseurs-cueilleurs" à celui d'agriculteurs-éleveurs" il y a 10 000 ans. N'auraient-ils pas eu raison? N'est pas à cause de l'agriculture et de l'élevage que le grand bond en avant technique et culturel s'est produit; l'agriculture et l'élevage sont à l'origine de l'explosion de la population, des maladies qu'ont provoqué le contact avec les animaux et les grandes concentrations d'humains, des systèmes politiques, des religions, et des souffrances de milliards d'hommes sur tous les continents, exterminés, asservis... et aujourd'hui du réchauffement climatique, des menaces sur la planète et notre propre survie en tant qu'espèce.

Comme pour tout "progrès" technique tout au long de notre histoire, les hommes sont divisés quant aux effets des OGM. Personnellement, comme pour le projet de fusion nucléaire, je pense que si l'on adoptait massivement les OGM, cela provoquerait encore une hausse de la population de la planète, hausse de la consommation des ressources dont les énergies fossiles, poursuite de la destruction des espèces vivantes dont nous dépendons, épuisement des sols et des ressources en eau, montée des pollutions en tous genres... La croissance exponentielle de la population humaine devra forcément s'arrêter un jour, et quelque soit la puissance de notre cerveau et de notre culture accumulée depuis des millénaires, notre essor risque alors de se renverser.

Voir dossier sur les origines de l'agriculture, il y a 10 000 ans


Mis en ligne le 05/10/2006 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr)