LE CONTRÔLE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE ET LES PRINCIPALES QUESTIONS QUE CE CONTRÔLE SOULÈVE.

par Bernard Zimmern

Les premiers efforts ont commencé avec l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, institué par la loi 96-517 du 14 juin 1996, puis se sont poursuivis par un groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire organisé par Laurent Fabius alors Président de l'Assemblée nationale, dans les années 1998 / 1999, et dont un aboutissement a été la Mission d'Étude et de Contrôle (MEC), un organisme non permanent que l'Assemblée nationale doit réactiver tous les 6 mois et qui, à l'heure actuelle, organise des auditions sur deux thèmes : les organismes publics de prospective et la protection du patrimoine (rôle des architectes et services archéologiques).

Une autre conséquence des travaux du groupe de travail Fabius a été la Loi Migaud, Loi organique sur les lois de finances appelée «LOLF», puis : «Loi de modernisation financière». Cette disposition devrait bouleverser la présentation du budget et, par voie de conséquence, sa mise en oeuvre.

Tous ces organismes et ces lois ont-ils permis ou vont-ils permettre d'obtenir un contrôle satisfaisant de la dépense publique et de son efficacité ?

Cela dépendra en grande partie de la volonté des parlementaires.

Il existe une infirmité du contrôle de la dépense publique en France, du fait de la disjonction entre les moyens de contrôle et les pouvoirs de sanction

Mais les premières questions que je pourrais me permettre de vous poser sont les suivantes :

La LOLF devrait, certes, être un progrès incontestable dans la transparence des comptes et les modalités d'intéressement des personnels aux économies, mais a-t-on jamais vu un système comptable ne pas être abusé s'il n'y a pas un contrôleur pour s'assurer de la cohérence des chiffres et des réalités qu'ils recouvrent ?

Deuxième question : est-il possible de contrôler sans aller dans les détails et, pour parler direct, sans que l'organisme de contrôle passe quelques centaines, ou milliers d'heures dans l'organisme contrôlé ?

Si vous répondez non à ces deux questions, il en résulte que la question de l'importance des moyens de contrôle devient prépondérante. Et nous serons alors amenés à conclure qu'il existe une infirmité du contrôle de la dépense publique en France, du fait de la disjonction entre les moyens de contrôle et les pouvoirs de sanction.

Les quelques centaines de personnes de la Cour des comptes ont, en effet, les moyens d'effectuer des contrôles sérieux, d'aller au fond des choses, mais est-ce vrai des rapporteurs spéciaux de chacune des deux chambres qui ont des pouvoirs très étendus d'enquête mais ne peuvent pas les déléguer, et doivent procéder eux mêmes aux enquêtes sur place, même s'ils ont la tolérance de se faire accompagner par un administrateur ? Comme le disait Pierre Joxe, alors premier Président de la Cour des comptes : « S'agissant du contrôle sur pièces et sur place, je pense sincèrement que vous n'êtes pas prêts -je l'ai fait et je n'ai pas tenu le coup. Ce n'est pas votre rôle'. »

Le problème posé, par contre, par la Cour des comptes est l'absence de pouvoir de sanction.

Si la Cour, organisme judiciaire, dispose d'un tel pouvoir de sanction en cas d'infraction à la légalité de la dépense publique, elle n'en a aucun en matière d'efficacité, sauf celui de faire appel à l'opinion.

Le seul organisme capable de sanctionner est, en effet, le Parlement parce qu'il peut supprimer la dépense.

Le grand intérêt de la proposition du député Bernard Carayon est d'allier la puissance d'enquête de la Cour des comptes et le pouvoir de sanction du Parlement. Mais si la direction est bonne, ne faut-il pas s'interroger sur les conséquences que cette loi peut entraîner?

Pour que cette discussion au Parlement ne soit pas seulement une «grand-messe», ne devrait-elle pas être précédée de travaux approfondis en Commission des Finances en vue de préparer, par exemple, les amendements sanctionnant les déficiences constatées?

D'une façon plus large, cette loi n'entraîne-elle pas comme conséquence, qu'à terme, la Cour des comptes ou une partie de celle-ci devra être rattachée au Parlement?

À l'heure actuelle, la séparation des pouvoirs implique que la Cour n'a pas d'ordre à recevoir du Parlement et l'ampleur des travaux dont elle est chargée, notamment la certification des comptes, lui laisse peu de place pour des enquêtes que demanderaient les parlementaires.

L'autre alternative est que le Parlement développe ses propres moyens de contrôle, ce qui pourrait se faire en donnant aux rapporteurs spéciaux le droit de déléguer leur pouvoir de contrôle à des personnels recrutés par les Commissions des Finances.

Que l'on prenne l'une ou l'autre approche, l'aboutissement inéluctable, à terme, est ce qui s'exerce dans la plupart des pays étrangers, notamment anglo-saxons (voir annexe 2), où le Parlement dispose d'un organisme de contrôle qui lui est rattaché. Un modèle pourrait être le NAO anglais (National Audit Office) où, en ce qui concerne les enquêtes d'efficacité, de petites équipes, comme à la Cour des comptes, font des audits approfondis s'étalant sur plusieurs mois, parfois plus d'une année.

La grande différence de ce système avec celui de la Cour des comptes est qu'il existe un véritable pouvoir de sanction. Ladministration enquêtée est tenue d'approuver ou refuser les propositions d'amélioration contenues dans un pré-rapport du NAO en sachant que celles qui seront refusées seront débattues en séance publique devant la sous-commission des Finances chargée du contrôle des dépenses et ce, en présence des médias.

L'étroite imbrication du pouvoir d'enquête et de sanction fait que 95% des propositions sont acceptées avant même d'être discutées.

La deuxième grande différence est qu'au lieu de la situation française ainsi décrite par Daniel Bouton, président de la Société générale : Nous avons 364 jours par an, la position qu'a décrite le Président Méhaignerie "que la dépense reste électoralement payante, et nous avons un jour par an qui est le jour où la Cour des comptes remet son rapport public au Président de la République", les auditions, en Angleterre, ont lieu cinquante fois par an, soit deux fois par semaine lorsque la Chambre est en session.



Sur les indicateurs de performances des administrations
par Alain Mathieu

La Loi organique sur les Lois de finances du 1 août 2001 a prévu un changemement important dans la présentation du budget de l'État, à partir de 2005 : au lieu de 845 chapitres budgétaires, le budget sera divisé en environ 150 programmes.

- Article 7 de la Loi organique : un programme « regroupe des crédits destinés à mettre en oeuvre une action (administrative, à laquelle) sont associés des objectifs précis et des résultats attendus et faisant l'objet d'une évaluation ».

- Article 48 4° : le gouvernement établira «une liste ....... des programmes et des indicateurs de performance associés à chacun des programmes».

- Article 51 5° : au projet de Loi de finances seront joints des « annexes explicatives ... accompagnées du projet annuel de performances de chaque programme précisant la présentation des actions, des coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus pour les années à venir, mesurés au moyen d'indicateurs précis dont le choix est justifié ».

- Article 54 4° : au projet de loi de règlement seront joints « les rapports annuels de performances faisant connaître, par programme .... les objectifs, les résultats attendus et obtenus, les indicateurs et les coûts associés ».

De grands espoirs ont été placés dans cette « révolution culturelle » qui, grâce aux indicateurs de performance, doit substituer datis les administrations une « logique de résultats » à une « logique de moyens ».

Toutefois, la Loi organique ne définit pas davantage les indicateurs de performance, et laisse au Gouvernement le soin d'établir la liste des programmes et de leurs indicateurs.

Une note du ministère des Finances précise que ces indicateurs doivent dépendre de l'action de l'administration (ce qui écarterait donc des indicateurs comme le taux de chômage, le niveau de revenu, des taux de pollution ou de mortalité), qu'ils doivent être « compréhensibles, clairs, mesurables, fiables, pertinents... ».
Ils doivent être significatifs de l'activité d'une administration.
Ces indicateurs étant destinés à l'information des citoyens et du Parlement, c'est aux citoyens et au Parlement de juger de leur caractère significatif.
Le Parlement devra donc participer à leur choix.

Bien qu'aucun programme, ni aucun indicateur, n'ait encore été publié par l'administration, on peut en imaginer certains car, pour juger des objectifs à atteindre, il serait souhaitable que beaucoup d'entre eux aient été publiés depuis plusieurs années.
Ainsi en est-il des statistiques de délinquance et de criminalité du ministère de l'Intérieur - des délais des jugements, au ministère de la justice ; des taux de disponibilité àes matériels, au ministère de la Défense ; des indicateurs habituels à la Recherche (nombre d'articles publiés dans les revues à comité de lecture, taux de citations de ces articles, nombre de brevets déposés- .), etc. Certaines administrations, comme les services diplomatiques, auront sans doute plus de mal à définir leurs indicateurs.

Létude d'exemples étrangers permettra de valider les indicateurs français. Ainsi la Grande-Bretagne, qui a 6 ans d'avance sur la France pour l'utilisation d'indicateurs, utifise-t-elle des indicateurs précis pour l'enseignement primaire et secondaire (pourcentage d'enfants ayant atteint en 2004 les niveaux 4 et 5 d'éducation - précisément définis - à différents âges : 11 , 14 et 16 ans). Le NHS (National Health Service, service national de santé) dispose de 51 indicateurs (par exemple : espérance de vie ; mortalités suivant les différentes causes ; pourcentage de femmes subissant un contrôle du cancer du sein , pourcentage d'enfants vaccinés ; durées de séjours dans les hôpitaux, selon le type d'opérations -, délais d'attente suivant les types d'opérations ; durées de survie après différentes opérations , pourcentage de médicaments génériques prescrits ; etc.).
Tous ces chiffres doivent être validés, avant présentation au Parlement, par le NAO. Des indicateurs de productivité sont compris dans le budget britannique. C'est ainsi que la productivité du NHS et de la police doit progresser de 2 1/o par an.

Quelques remarques peuvent être faites sur le choix et la mise en place des indicateurs dans notre pays :
- Il n'est pas surprenant que l'administration soit réticente à définir des programmes et des indicateurs, et que, près de deux ans après le vote de la loi, aucun d'entre eux n'ait été publié. Personne n'aime être contrôlé, et jugé sur des résultats, particulièrement lorsque cette contrainte n'a jamais été vécue.
* Bien que la Loi organique ne l'ait pas prévu, il est essentiel qu'un responsable

(et un seul) soit désigné pour chaque programme. Il paraîtrait logique que les directeurs d'administration centrale soient désignés comme responsables, car ils sont en nombre à peu près équivalent à celui des programmes. Il semble cependant, d'après des déclarations du Ministre du budget, que l'on s'oriente plutôt vers des responsables de rang inférieur, ce qui risque de poser de sérieux problèmes, si le responsable d'un programme doit dépendre pour ses moyens d'un supérieur hiérarchique.
On peut craindre que l'habituelle et commode dilution des responsabilités ne fasse perdre à la réforme une grande partie de son intérêt.

- On ne peut exclure que des administrations choisissent des indicateurs poussant à l'accroissement des dépenses, plutôt qu'à leur réduction, comme par exemple le taux de consommation des crédits votés, en cours de mise en place au ministère de la Défense.
- La validation des résultats devra être faite par des organismes extérieurs à l'administration concernée (ainsi le fisc américain utilise-t-il des enquêtes confiées à des organismes extérieurs, par opposition au fisc français, qui se contente d'enquêtes internes).
- Il faudra éviter des indicateurs pouvant provoquer des effets pervers. Ainsi l'indicateur actuel des montants des redressements notifiés par les contrôleurs des impôts pousse-t-il ceux-ci à « faire du chiffre » sous la forme de redressements sans fondement, car ils savent que les contestations des contribuables ne seront jugées par les tribunaux que de nombreuses années après la notification. Sans doute les montants recouvrés par le Trésor seraient-ils un meilleur indicateur.
- La tendance naturelle des administrations, comme celle de nombreux parlementaires, étant d'accroitre les dépenses publiques, (« un bon budget est un budget en augmentation » ; cf. recommandations de la MEC), il faudra s'efforcer de privilégier les indicateurs qui poussent à la baisse des dépenses, comme des indicateurs de productivité.
- Les indicateurs choisis devraient permettre d'utiliser des comparaisons internationales existantes (comme les enquêtes internationales sur les niveaux scolaires), et des comparaisons internes aux administrations françaises (résultats comparés des différents services départementaux ou régionaux d'une administration).
- il ne faudra pas exclure des indicateurs relatifs à l'utilisation des actifs (matériels ou immeubles) des administrations (par exemple, objectif annuel de vente de casernes inutilisées).

En conclusion, cette réforme risque fort d'être dévoyée par les administrations, si elles sont seules à la mettre en oeuvre. Il est donc important que le Parlement joue son rôle dans la définition des programmes et des indicateurs, et pousse le Gouvernement à ne pas laisser les administrations décider seules, et au dernier moment, de cette question fondamentale.