Protection rapprochée
Faut-il renoncer au libre-échange? De nombreuses voix de la gauche à l'extrême droite de l'échiquier politique plaident aujourd'hui en faveur d'un retour au protectionnisme, au niveau national ou européen. Avec pour objectif de reprendre le contrôle de l'économie, d'échapper à cette logique jugée à l'origine du chômage, de la pauvreté et de la montée des inégalités.
Certes, nous payons nos T-shirts et nos téléphones mobiles moins cher, mais le libre-échange a eu des conséquences bien différentes pour les cadres dirigeants de nos multinationales et pour les ouvriers soumis à la concurrence des pays à bas salaires. Les premiers ont pu exiger que leurs revenus soient identiques à ceux pratiqués à Manhattan, tandis que les seconds sont priés d'aligner leurs conditions sur ce qui est imposé à Shanghai. De fait, la dissociation entre l'espace de l'économie, mondialisé, et l'espace du politique, confiné au cadre national, affaiblit nos capacités de régulation et, partant, la cohésion sociale et le pacte démocratique. La mondialisation prend alors la forme d'une guerre de tous contre tous, aux conséquences délétères.
Les économistes éclairés nous expliquent cependant que l'effet de la concurrence internationale est surestimé dans les problèmes rencontrés aujourd'hui par l'économie française. De fait, une part importante de nos difficultés tient à la mauvaise coordination des politiques économiques en Europe, à cette union économique et monétaire unijambiste, où la mise en commun de la politique monétaire s'accompagne d'un grand désordre budgétaire, mélange de chacun pour soi et d'austérité pour tous.
Les mêmes économistes éclairés nous expliquent que l'enjeu est moins la concurrence des émergents que les déséquilibres macroéconomiques mondiaux, l'insuffisance de la demande intérieure chinoise… et que la priorité est plutôt de rééquilibrer la croissance mondiale que de la brider.
Ils nous expliquent, enfin, que renoncer à l'échange serait impossible dans un pays aussi inséré dans le commerce international que la France. Et qu'en conséquence, l'enjeu est de distribuer des revenus de remplacement corrects aux chômeurs et de développer des politiques actives de retour à l'emploi.
Tout cela est en grande partie vrai. Le problème est qu'aussi longtemps que les gouvernements européens se montreront incapables de mieux coordonner leur action, aussi longtemps que les pays émergents surexploiteront leur main-d'oeuvre avec la complicité des multinationales, aussi longtemps que la solidarité entre gagnants et perdants ne sera pas à la hauteur de l'enjeu, la promesse de sécurité que portent les discours protectionnistes trouvera des oreilles attentives. Il est désormais urgent de construire, autrement qu'en paroles, un ordre économique mondial ouvert tout en étant socialement et écologiquement soutenable. Un sérieux défi pour ceux qui nous gouvernent aujourd'hui ou aspirent à nous gouverner demain.
Philippe Frémeaux
Alternatives Economiques n° 299 - février 2011