Quand la France se réveillera

Sur l'état de notre économie, la responsabilité des élites et les réformes; nouveau diagnostic de deux "déclinologues" en vue....

Sommaire

  1. Quand la France se réveillera
  2. Le Figaro Magazine - A propos de la France d'aujourd'hui, vous parlez, Nicolas Baverez, de l'homme malade du monde libre et vous Alain Mine, de l'indécrottable provincialisme français. Ne succombez-vous pas l'un et l'autre à la francophobie?
  3. La France est-elle vraiment "out"?
  4. N'est-il pas réducteur de mettre en cause le seul président de la République ? Ne dédouanez-vous pas un peu vite les autres composantes de l'élite, à commencer par celle que vous incarnez?
  5. Les réformes qu'ils engageraient


1. Quand la France se réveillera

Inlassable pourfendeur du déclin français, Nicolas Baverez publie Nouveau monde Vieille France (Perrin), deux ans après la France qui tombe. Depuis, la France ne s'est pas relevée, à en croire l'historien et économiste, mais des solutions existent. Celles-ci peuvent-elles venir de l'élite ? C'est la question que soulève Allain Minc dans son nouvel essai, le Crépuscule des petits dieux (Grasset). Tous les deux s'accordent pour dire que la France a besoin d'un nouveau projet collectif.

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2. Le Figaro Magazine - A propos de la France d'aujourd'hui, vous parlez, Nicolas Baverez, de l'homme malade du monde libre et vous Alain Mine, de l'indécrottable provincialisme français. Ne succombez-vous pas l'un et l'autre à la francophobie?

Main Minc- Sur le plan économique, la France va moins bien qu'elle le pourrait et mieux qu'elle le croit. Plus dramatique est notre déclin Intellectuel, universitaire, littéraire et artistique. Nous refusons d'admettre que tout ce qui a trait à l'esprit relève aussi de la compétition. Celle-ci ne rime pas avec marchandisation mais au contraire avec émulation. Si nous ne voulons pas être expulsés de la sphère de l'intelligence, il faut faire l'inverse de ce que nous faisons actuellement, c'est-à-dire nous abriter derrière cette ligne Maginot qu'est l'exception culturelle française.

Nicolas Baverez- Le déclin français possède évidemment une dimension intellectuelle et morale, mais il touche aussi l'économie et la politique. Nous sommes confrontés à une crise nationale majeure. Ce n'est pas un jugement moral, mais un fait historique. Après le séisme du 21 avril 2002, le référendum du 29 mai 2005 a accentué le fossé entre le pays légal et le pays réel ainsi que la crise de la représentation. Sur le plan économique, la France perd ses pôles d'excellence, ses talents et ses cerveaux, qui sont la clé de la compétitivité : plus d'un million de jeunes Français travaillent désormais hors des frontières. I.e tissu social est déchiré par un quart de siècle de chômage de masse. Les émeutes urbaines ont montré que le présumé n modèle social français » avait implosé, et la pauvreté touche 15 % de la population. La France est marginalisée en Europe et dans le monde. D'où un pays qui ressemble beaucoup à l'Angleterre des années 70, partagé entre un corps politique et social en ruine d'un côté, et de l'autre des individus et des entreprises très performants dans la mondialisation, mais contraints de vivre, de créer, d'investir hors d'un territoire sinistré.

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3. La France est-elle vraiment "out"?

A. M. - La France a démontré qu'elle était capable de rebondir. A la fin des années 70, nous étions l'un des pays les plus inflationnistes. Ce qu'il faut faire pour nous eu sortir sur le plan économique n'est pas inaccessible. Cela peut même se produire dans les deux ou trois prochaines années. Encore faudrait-il faire bouger les piliers du temple. Le débat sur les droits d'auteur et la taxe sur les billets d'avion montrent que les Français ne savent pas dans quel monde ils vivent.

N. B. - Main Mine a raison de souligner que le déclin économique est celui qui peut être enrayé le plus rapidement. Néanmoins, nous devons résoudre des problèmes structurels très profonds. Nombre de services publics, comme l'éducation, la santé ou la justice, connaissent une crise existentielle par ailleurs, la situation des dizaines de milliers de jeunes sans formation qui vivent des subventions de l'Etat-providence ou de la délinquance est extrêmement grave. Dans tous ces domaines, les réformes à entreprendre sont considérables et impliquent un horizon de long terme, car elles supposent un bouleversement des mentalités. J'estime que la part de responsabilité de la classe politique dans le déclin français est déterminante, car elle a délibérément entretenu les citoyens dans le mensonge et la démagogie, occultant les réalités et les chances du monde moderne pour cultiver les nostalgies et les peurs. De ce point de vue, les historiens verront une continuité dans les mandats de François Mitterrand et de Jacques Chirac, même si le déclin s'est fortement accéléré avec ce dernier. C'est sous son règne aussi monarchique que peu républicain que la France a perdu son rang et s'est trouvée déclassée, tant sur le plan économique que diplomatique. En 1995 et 2002, deux occasions extraordinaires d'entreprendre la modernisation du pays lui ont été données qu'il a délibérément écartées, trahissant les mandats réformateurs que les Français lui avaient confiés.

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4. N'est-il pas réducteur de mettre en cause le seul président de la République ? Ne dédouanez-vous pas un peu vite les autres composantes de l'élite, à commencer par celle que vous incarnez?

A. M. - Il ne faut pas juger toute la classe politique à l'aune de Jacques Chirac. Alain Juppé a payé en 1995 le fait d'avoir voulu aller à rebours du mandat démagogique que son patron avait demandé aux Français. D'une manière générale, la classe politique est, pour une grande part, au diapason de l'ensemble des élites. Mais il faut distinguer la "super-élite", qui regroupe la classe dirigeante, et la "Lumpen élite", composée notamment des professeurs d'université. Au risque le paraître scandaleusement aristocratique, je pense que la première est plus consciente des enjeux que la seconde. La pensée unique a changé de camp. Elle est aujourd'hui "Attacquisée". Le politiquement incorrect est désormais incarné par les tenants d'une France européenne, libérale, cosmopolite et internationaliste. D'une certaine manière, l'alliance entre Jacques Chirac et Attac a fabriqué une régression incroyable de la perception du monde par les Français.

N. B. - Le divorce de la France avec le inonde moderne date tout de même de 1981. Les 110 propositions du candidat Mitterrand allaient totalement à rebours de la modernité, de la mondialisation qui pointait. A partir de ce moment-là, les Français ont commencé à s'installer dans un monde déconnecté de la réalité. Et en 1989, pour la première fois depuis 1789, la France est passée par sa faute b côté de la grande révolution de la liberté du XXème siècle, en prenant le parti de l'URSS et de la Serbie contre la souveraineté des peuples d'Europe centrale et orientale, puis en cherchant à contrer la réunification allemande, ainsi que le rappelle Helmut Kohl. la classe politique française est doublement coupable. Premièrement d'avoir contaminé le pays avec le poison de la démagogie. Deuxièmement, d'avoir nié le réel. Dire cela ne relève pas du populisme. Dans les années 30, des intellectuels comme Marc Bloch et Julien Benda ont montré que l'on pouvait critiquer les élites sans tomber dans le populisme. La France peut renouer avec la croissance forte et le plein emploi, pour peu qu'elle réforme hardiment son modèle économique et social et qu'elle évince les technocrates, comme, en 1958, les technocrates ont pris le pas sur les notables des Ill° et IV' Républiques.

Comment peut-on convaincre les Français des bienfaits de la liberté et de la responsabilité ?

A. M. - Il y a eu des tentatives libérales en France, de 1986 à 1988 et de 1995 à 1997. Vous allez me dire qu'elles ont été sanctionnées par des échecs électoraux.
Certes. Mais pour quelles raisons ?On n'a jamais appris à ce pays la grande musique de la compétition. Les phases libérales n'ont pas accompagné des phases de pédagogie collective. Cela étant, moi qui ai été un électeur de Mitterrand, je crois qu'il a légué des choses importantes à notre pays : l'alternance, un début d'accoutumance à l'économie de marché, même si ce n'était pas son objectif, et une politique européenne, qui a été brisée par le référendum de 2005. Quant aux élites, il n'y a pas que les technocrates qui soient en cause. La classe dirigeante française compte des gens éminents. Mais si vous la comparez avec l'espagnole, par exemple, il lui manque un projet. Elle n'est pas portée par une ambition alors qu'elle compte des individualités de grande valeur. Or, pour faire une classe dirigeante, il faut une conscience collective.

N. B. - La démocratie, c'est une éducation des citoyens à la liberté et à la responsabilité. Celle-ci n'est plus assurée en France depuis plusieurs décennies par des dirigeants qui sont hostiles à la liberté et qui refusent tout principe de responsabilité. Alors même qu'elle l'est partout ailleurs. En Espagne, la sortie du franquisme n'allait pas de soi : la classe politique a joué, gauche et droite confondues, sous la houlette du roi Juan Carlos, un rôle clé dans cette nouvelle reconquista. En Allemagne, Gerhard Schrôder a remis en jeu son mandat parce qu'il estimait que sa légitimité pour mettre en oeuvre les réformes n'était plus suffisante. La France doit retrouver une volonté et une ambition nationales. Les Français sont restés profondément patriotes, c'est la classe politique qui ne l'est plus. Les centaines de milliers de jeunes Français qui se sont exilés rentreraient si le pays se modernisait. Mais que leur donne-t-on à espérer aujourd'hui ?

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5. Les réformes qu'ils engageraient

Nicolas Baverez : refaire une nation, rétablir la confiance dans les institutions, restaurer l'autorité de l'Etat et moderniser les services publics, réformer la fiscalité, réhabiliter le travail et assouplir son marché, réorienter les mécanismes de l'Etat-providence vers l'emploi.

Alain Minc: resyndicaliser ce pays, en déduisant automatiquement la cotisation de la feuille de paye (avec droit de refus), et créer deux ou trois MIT de niveau international à partir de nos écoles scientifiques.

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