Sur le sujet "les gens en demandent toujours plus"

Lors d'une présentation de voeux de conseiller général, un maire m'a dit: "les gens en demandent toujours plus; c'est pourquoi les maires ont du mal à suivre car les gens ne se rendent pas suffisamment compte qu'ils devront tôt ou tard le payer en augmentations d'impôts." C'est une perception de ce que l'on croît être la réalité. Mais je pense qu'il en est une autre.

Il y a deux sortes de gens: ceux qui produisent les biens et les services marchands de notre société moderne que tout le monde dans ce pays consomme, et ceux qui n'en produisent pas et qui reçoivent, légitimement ou pas, une partie de cette production. Légitimement pour moi, signifie en pratique, que c'est ce que veulent une majorité de français. Légitimement, il en est ainsi de la plus grande partie du secteur public, Etat et collectivités locales. Le personnel (fonctionnaires et autres) reçoit sa part grâce aux prélèvements fiscaux de toute nature que l'Etat et les Collectivités locales effectuent sur les particuliers et les entreprises. Dans le budget 2003, on note que 70% des dépenses de l'Etat et des Collectivités locales est consacré aux personnels. Une partie importante du reste est consacré à l'équipement du pays pour se moderniser, notamment en infrastructures. Mais moins légitime il y a tous les autres dont une partie de plus en plus importante demande toujours plus d'avantages voire d'assistance, et ce encouragés par les dispositifs d'aide sociale de plus en plus généreuses. Par tous les autres, j'entends aussi tous ceux dont la production de services est insuffisante ou devenue inutile pour la société d'aujourd'hui eu égard à la modernisation.

Loin de moi cependant de vouloir fustiger ceux qui par la faute du système politique, économique et social, ne sont pas suffisamment productifs, ou qui ont perdu leur emploi, ou la santé. Si le système entretient l'inefficacité ou crée des chômeurs par suite de mauvais choix économiques par les élites politiques qui nous gouvernent, il faut bien leur donner leur part de la production, car ce n'est pas leur faute. C'est encore plus vrai pour les personnes âgées dépendantes, les malades et les handicapés.

Mais donner toujours plus signifie que l'Etat et les collectivités locales doivent consacrer toujours plus de ressources en personnel et en équipements, pour satisfaire ces besoins. Avec les rémunérations qu'ils perçoivent, ces personnels doivent pouvoir se procurer tous les biens et services produits, offerts sur le marché. Il faut donc nécessairement que la production de ces biens et services augmente car l'ensemble des revenus distribués correspond nécessairement à la production du secteur marchand, après déduction des amortissements et des investissements nouveaux du même secteur marchand.

Il y a donc bien un dilemme, car "toujours plus" sans augmentation de production de biens et services, c'est à dire de croissance économique, signifie que progressivement, tout le monde, secteur privé et public et aussi les chômeurs et les assistés, va en avoir "toujours moins".

Mais le "toujours moins" n'affecte pas tout le monde de manière équitable; il commence par toucher les moins protégés; et c'est bien ce qu'on constate: d'abord les 2.5 millions de chômeurs (10% de la population active) dont principalement les jeunes de moins de 25 ans (25% des chômeurs) et les seniors de plus de 55 ans (35% des chômeurs), les salariés en situation précaire (difficiles à recenser mais estimés entre 1.5 et 2.5 millions), les "sans domicile fixe" encore plus difficiles encore à recenser mais estimés à plus de 80 000 voire 100 000 en février 2005; et les assistés des restos du coeur qui déclarent avoir servi 1.2 million de repas en 2004. Cet appauvrissement se traduit enfin par la stagnation ou la régression du pouvoir d'achat réel, c'est à dire ce qui reste quand on a payé tous les impôts et les taxes prélevés par l'Etat et les collectivités locales, charges qui ne sont pas prises en compte dans le calcul de l'inflation.

Alors il faut s'interroger sur la pertinence du système économique et social.

Ou bien les dépenses publiques, y compris le déficit de 45 milliards d'€ et la dette accumulée de 1100 milliards d'€ sont justifiées et incompressibles, car il s'agit de notre choix de société. Alors dans ce cas il faut admettre que, si la croissance économique est molle (1.5-2.5% sur moyenne ou longue période), le niveau des dépenses publiques et des services correspondants doit nécessairement se traduire par une baisse du pouvoir d'achat. Autrement dit il faut payer plus cher pour ce niveau de services publiques, sous la forme "partager plus de biens et services marchands produits par ceux qui les produisent, avec ceux qui ne les produisent pas". "Payer plus" implique l'augmentation des prélèvements puisqu'ils incluent le service d'une dette qui s'accroît chaque année, pour financer le déficit permanent du budget de l'Etat.

Ou bien les dépenses publiques ne sont pas toutes justifiées et peuvent être réduites, suivant notamment les recommandations de la "Chambre Nationale des Comptes", de nombreux autres experts français et internationaux, et par comparaison avec d'autres pays de structure similaire. Cela peut être dû à des organismes devenus inutiles, à l'organisation des services et à la non prise en compte des moyens modernes d'information et de communication, voire à des gaspillages (comme l'affaire Hervé Gaymard l'a montré de manière éclatante en février 2005). Alors, comme la majeure partie des dépenses est due aux salaires des personnels, il faut profiter de la démographie des fonctionnaires des services de l'Etat, pour moderniser, améliorer et réorganiser les structures, en prenant plus largement en compte les technologies de l'information et de la communication. Cela signifie ne pas remplacer tous les fonctionnaires qui partent en retraite. Mais l'effet de telles mesures, même si elles sont mises en oeuvre, ne se fera sentir qu'à long terme car les fonctionnaires en retraite restent à la charge du budget de l'Etat. Ce n'est donc que sur longue période (après la mort de ces retraités et de leurs conjoints) que la diminution du nombre de fonctionnaires se traduira par une réelle baisse des dépenses publiques. Il faut aussi mettre un frein à la politique du "toujours plus" quand il s'agit d'assistance et d'avantages sociaux qui incitent les gens à ne pas travailler, à rester au chômage et même à travailler au "noir".

Gardons à l'esprit que la modernisation des infrastructures: production d'électricité et interconnexion du réseau de distribution de l'énergie, autoroutes, chemin de fer et TGV, aéroports et lignes aériennes, écoles et lycées, routes départementales et communales, production et distribution d'eau potable, assainissement et traitement des ordures ménagères (ces derniers sous contrainte européenne), et les techniques d'information et de communication, n'ont été possibles que par les énormes progrès de productivité et de croissance de la production en volume (4.5% sur les 30 années de 1950 à 1980). On sait que la croissance économique, moteur de l'amélioration du niveau de vie par la croissance du pouvoir d'achat et du progrès social, est grippé depuis deux décennies, mais que l'Etat continue, à juste titre, vouloir améliorer nos infrastructures. Mais la croissance économique est aussi bien la cause du développement que sa conséquence et celle des politiques mises en oeuvre depuis plus de deux décennies (années 1980 et 1990).

Il faut donc à mon sens continuer avec la méthode: le "toujours plus" doit résulter de la croissance de la production par l'augmentation de la quantité de travail et de la productivité. La forte croissance passée a permis de retarder la nécessaire réforme de l'Etat. La faible croissance d'aujourd'hui ne permet plus d'entretenir un Etat aussi hypertrophié.


Créé le 05/01/2005 par Pierre Ratcliffe (pratclif@free.fr)