Chine: quelles craintes pour la planète?

CHINE: entretien avec le premier ministre de Chine Wen Jiabao

Le chef du gouvernement chinois a donné une interview au « Figaro »
à la veille de son arrivée, dimanche, en visite officielle en France.

LE PREMIER ministre, Wen Jiabao, entame demain à Toulouse une visite de quatre jours en France dominée par les dossiers commerciaux. Un gros accord est en vue pour l'avionneur européen Airbus. Mais les discussions piétinent dans un autre secteur clef : le nucléaire civil. Wen doit rencontrer Jacques Chirac lundi à Paris. Il sera reçu par Dominique de Villepin et par le Medef. Il se rendra ensuite à Marseille, QG du futur réacteur de fusion thermonucléaire Iter, dont la Chine est partenaire.

Ingénieur Géologue, Wen Jiabao est un survivant de toutes les purges du régime depuis la mort de Mao. En 1989, il est le bras droit de Zhao Ziyang, unique dignitaire à s'opposer au massacre décidé par Deng. Dans les années 90, il se refait une santé politique et devient le conseiller de Jiang Zemin, grand vainqueur de l'après-Tiananmen.

Au tournant du siècle, Wen s'impose comme le mentor de Hu Jintao, porté au faîte du pouvoir après une carrière provinciale. Le premier ministre chinois a réservé au Figaro sa première interview exclusive à un média occidental.

LE FIGARO. - Oh en sont les relations entre la France et la Chine ?

Wen JIABAO. La Chine et la France ont toutes deux une longue histoire et une civilisation brillante. Nous avons en commun l'indépendance, l'ouverture et la tolérance. Les relations sino-françaises sont meilleures que jamais. La confiance politique réciproque ne cesse de se renforcer. Je me félicite d'effectuer une visite en France dans un tel contexte.

LE FIGARO. - Le refus de l'Europe de lever l'embargo de 1989 sur les ventes d'armes à la Chine et le retour, cet été, aux quotas sur les textiles vous ont sans doute déçu. Qu'attendez-vous de l'Europe sur ces deux points ?

La levée de l'embargo et l'octroi par la Commission européenne du statut d'économie de marché sont des questions qui seront réglées. La France et l'Allemagne ont des attitudes très positives. Ce sont des éléments qui relèvent du partenariat global stratégique entre la Chine et l'Europe, ils sont dans l'intérêt commun des deux parties. Nous apprécions les efforts déployés par la France sur ces deux points.

Les Français redoutent la montée en puissance économique de la Chine et surtout les délocalisations d'emplois. Comment répondre à cette inquiétude ?

Je voudrais dire au peuple français : rassurez-vous. L'essor de l'économie chinoise profite aussi au peuple français, pas seulement au peuple chinois. J'aimerais souligner deux points.

Premièrement : élargir la demande intérieure est une politique que nous allons poursuivre sur le long terme. Avec une population de 1,3 milliard d'habitants, la Chine a un marché potentiel immense. En 2004, le total des ventes de biens de consommation et de production a dépassé 2 000 milliards de dollars. Le grand distributeur Carrefour vend de tout en Chine, des cosmétiques aux valises, en passant par les vins français. La croissance de notre économie va entraîner une augmentation de la demande intérieure qui profitera à la création d'emplois en France.

Deuxièmement : nos échanges économiques et commerciaux sont en expansion. Les importations chinoises en provenance de la France s'élèvent à 8 milliards de dollars par an et s'accroissent chaque année. Beaucoup d'entreprises françaises, y compris ces dernières années des PME et des PMI, se sont installées en Chine. La coopération dans les secteurs comme le nucléaire, l'aéronautique, le ferroviaire – avec le TGV, la protection de l'environnement et l'agriculture nous a permis d'augmenter nos importations et nos transferts de technologies en provenance de la France. La coopération profitera à l'emploi dans les deux pays.

A propos du nucléaire, la France est en compétition avec les Etats-Unis pour fournir une nouvelle génération de centrales. Quand la Chine se décidera-t-elle ? Envisagez-vous de recourir à plusieurs fournisseurs ?

La coopération sino-française dans le nucléaire est celle qui remonte le plus loin avec la construction des centrales de Daya Bay et de Ling Ao. Dans quinze ans, notre puissance totale installée atteindra 40 000 mégawatts, dont 18 000 seront en construction. En même temps, nous allons passer à la troisième génération de centrales. Nous avons donc besoin de renforcer notre coopération avec les pays étrangers. Quant à la France, elle est très performante. Nous attendons d'elle une coopération qui aille des combustibles au traitement des déchets, en passant par la production de l'électricité et la sûreté des centrales. Un appel d'offres est lancé et nous espérons que les sociétés françaises pourront accroître leur compétitivité.

Est-ce à dire que les entreprises françaises sont trop chères ?

La compétition est entrée dans sa dernière phase. Aussi bien sur les prix que sur les transferts de technologie, les offres seront évaluées de façon objective, impartiale et transparente. Nous espérons que la France pourra faire des propositions plus avantageuses. Cela aidera les sociétés françaises à l'emporter.

Une explosion meurtrière dans une mine chinoise vient de montrer que les normes de sécurité minimales ne sont pas appliquées. Une fuite toxique près de Harbin a été cachée jusqu'au dernier moment. Comment empêcher des accidents similaires, voire plus graves, dans l'industrie nucléaire ?

Ces deux accidents ont sonné l'alarme pour nous. Le gouvernement et les autorités locales doivent donner plus d'importance à la sécurité industrielle et à la protection de l'environnement. Nous devons mieux faire face aux crises d'urgence et mettre en place un système permettant de communiquer à temps. C'est dans l'électricité nucléaire que la sécurité est la plus importante. Un accident serait d'une gravité immense. Nous souhaitons renforcer notre coopération avec la France dans ce domaine.
Voir article Chine mensonge

Quelle a été votre réaction aux incidents dans les banlieues en France ? La Chine connaît-elle aussi un malaise social. Que peut faire le gouvernement pour réduire les inégalités croissantes ?

En tant qu'ami de la France, je suis de près la situation à Paris et je suis sûr que sous la conduite du gouvernement français vous trouverer, une solution correcte. Aujourd'hui, la situation se calme. Nous souhaitons que la société française soit prospère et stable. Votre question sur la Chine est très importante. La réforme économique doit d'abord libérer et développer les forces productives. Sans base économique, nous ne pouvons pas réaliser la justice et l'équité qui sont nécessaires à la stabilité sociale. Il s'agit de trouver une solution aux déséquilibres entre les villes et les campagnes, entre les différentes régions et entre l'homme et la nature. Bref, de construire une société harmonieuse. Nous avons prévu un autre grand changement en Chine: les investissements d'infrastmcture par l'Etat privilégieront les réglons rurales, plutôt que les villes comme aujourd'hui. Enfin, d'ici 8 deux ans. la scolarité sera gratuite dans les régions rurales: 80 % des 200 millions d'éleves chinois habitent dans les campagnes. Tous ces enfants doivent vivre sous un même ciel bleu.

Au retour de votre voyage en Europe, vous vous participerez à Kuala Lumpur, a un sommet asiatique. Rencontrerez-vous le premier ministre Japonais?

Nos relations se trouvent aujourd'hui dans une situation difficile. Les responsabilités ne sont pas du côté des Chinois. La guerre de 1895 a vu l'Occupation japonoise de Tewan. A partir de 1931, l'agression japonaise s'est étendue à tout le territoire chinois. La guerre a duré huit ans et a fait plus de 30 millions de victimes chinoises. Entre Chinois et Japonais, l'amitié est vieille de 2 000 ans. Une relation de bon voisinage et d'amitié correspond aux interêts fondamentaux des deux pays. Mais elle repose sur un principe essentiel : les Japonais doivent faire face a leur histoire de façon correcte. Il subsiste une minorité de Japonais qui refusent de reconnaître l'agression historique et se prononcent toujours en faveur des militaristes. C'est surtout le fait des dirigeants japonais qui visitent à maintes reprises, le sanctuaire de Yasukuni. Cela blesse profondément les Chinois et les Asiatiques. Cela nuit aussi aux relations et aux contacts entre les deux pays. Nous souhaitons que les responsables japonais s'amendent. Nous jugerons les faits. Une rencontre avec les dirigeants Japonais en Malaisie en dépend.

La modernisation de la Chine peut-elle se faire sans une démocratisation du système politique?

Non. C'est précisément le contraire que nous allons faire. Tout en menant la réforme du système économique, nous procédons a la réforme du système politique. Sans démocratie il n'est pas question de socialisme. Notre société socialiste se développe et se perfectionne sans cesse grâce à la reforme et à l'ouverture. Sans une réforme du système politique, la réforme du système économique n'ira pas jusqu'au bout. Nous allons avancer à pas assurés et en tenant des particularités chinoises. Nous allons également respecter et protéger les droits de l'homme, renforcer l'État de droit et assurer l'indépendance de la justice. La mise en œuvre de la démocratie en Chine est un processus par étapes, comme dans les autres pays du monde. Un grand pcnscur chinois, Van Fu, a dit que pour un pays le plus important c'est l'indépendance, et pour un peuple, le plus important c'est la liberté. La Chine va travailler avec ses propres particularités pour faire avancer la réforme du système politique et l'édification de la démocratie.


Mis à jour le 21/08/2010      facebook Tweet