Alain Lambert : «Si le prochain président français ne fait rien...»


Propos recueillis par N. Ba. Figaro 01 juin 2006,
L'ancien ministre du Budget et de la Réforme budgétaire de juin 2002 au printemps 2004 a, le premier,
imposé en France la règle de croissance zéro des dépenses de l'Etat en volume.

LE FIGARO. – Comment le Canada a-t-il vaincu la dérive de ses comptes publics ?

Alain LAMBERT. – Pour réussir, plusieurs conditions étaient nécessaires. La première était que l'autorité politique la plus élevée fasse preuve d'une détermination absolue et indéfectible. Ce fut le cas avec le tandem formé par deux acteurs clefs de la réforme, Marcel Massé et Jocelyne Bourgon, sous l'autorité du premier ministre Jean Chrétien. Sans cette détermination absolue, les chances de succès étaient nulles. Car le processus d'assainissement produit d'abord des frustrations avant les premiers fruits et il est crucial, à ce moment-là, que l'autorité politique suprême ne faiblisse pas.

La seconde condition était que les ministres adhèrent au processus. D'où la nécessité d'un processus collégial afin que les ministres n'aient pas le sentiment individuel de subir une cure d'austérité. Le gouvernement canadien y est parvenu en créant le Conseil du Trésor qui réunit les principaux ministres.

C'est ce qui explique que le Canada ait pu réaliser des coupes budgétaires de si grande ampleur...

Le gouvernement canadien avait compris que ce n'était pas en rognant sur des budgets déjà grattés jusqu'à l'os qu'il parviendrait à assainir ses comptes. Il a procédé à une revue complète de tous les programmes, décidé que l'Etat devait en abandonner certains car cela n'entrait plus dans ses missions, et notamment ceux pour lesquels d'autres que lui pouvaient agir avec un bien meilleur rapport coût/efficacité. Des choix radicaux ont été faits en matière d'effectifs de fonctionnaires sans que le gouvernement, à aucun moment, ne revienne en arrière, même lorsque cela ne plaisait pas. L'important est de ne jamais céder.

Les recettes canadiennes sont-elles applicables en France ?

Certaines sont plus facilement transposables que d'autres. Lorsque j'étais à Bercy, et malgré mes demandes insistantes, je n'ai jamais pu obtenir la création d'une autorité semblable au Conseil du Trésor canadien par exemple. Pour y parvenir, il faut accepter de bousculer le système, décider de réunir les 7 ou 8 principaux ministres afin qu'ils participent et consentent formellement aux principaux arbitrages, et que les efforts soient imposés par eux et pas par le seul ministère des Finances. Il faut qu'ils soient totalement solidaires. Je n'ai pas cessé de rédiger des notes en ce sens au premier ministre [NDLR : Jean-Pierre Raffarin] mais je n'ai jamais été honoré de la moindre réponse.

Au Canada, tous les sondages montraient que l'opinion percevait comme anxiogène une situation financière dégradée. Ce n'est pas encore le cas chez nous. Les Français ne sont pas conscients qu'une crise de régime les menace si rien n'est fait. Si le prochain président de la République ne prend pas les mesures qui s'imposent, je suis prêt à parier que la France sera dégradée par les agences de notation, à compter de 2008. Elles nous attendent au tournant. Et elles examineront avec la plus grande attention si nous sommes déterminés à nous redresser après 2007. A défaut, elles sanctionneront.

Pourquoi en France la volonté semble-t-elle manquer ?

Tout simplement parce que les principaux dirigeants politiques – y compris le président de la République – croient encore que ce sont les dépenses publiques qui alimentent la croissance alors qu'en vérité, c'est le contraire, elles la freinent. Quelle méprise ! Il est décidément temps de changer de paradigme.

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Mis à jour le 30/07/2011