L'échec de notre modèle social

la déconnexion entre production de richesse et redistribution

Par Bernard Zimmern, Président de l'iFRAP

Qui est Bernard Zimmern? Prix renaissance de l'économie 1999. Remise du prix le 26 mai 1999 à Bernard ZIMMERN.

Le modèle social français des années 1960 se caractérisait par un chômage quasi inexistant à 2,5%, une croissance économique forte autour de 5% et une relation harmonieuse (cad. équilibrée, croissance économique et croissance des avantages sociaux progressaient au même taux. NDLR) entre progrès économique et progrès social. Grâce à l'évolution des structures économiques, les ouvriers et les agriculteurs voient leurs enfants devenir employés ou cadres ; la croissance forte permet de financer les projets publics en matière d'équipement, de santé, de recherche ; les nombreux actifs financent des régimes sociaux en plein essor (retraites, santé)… Progrès économique et progrès social semblaient alors s'alimenter l'un l'autre.

Mais, depuis 1974 se produit un phénomène nouveau : la déconnexion entre production de richesse et redistribution. Notre modèle social s'est alors peu à peu fissuré. C'est cette problématique que nous traiterons au colloque du 2 mai prochain "Existe-t-il encore un modèle social français?" (Colloque organisé par l'iFRAP, le groupe de députés Génération entreprise et La Revue Parlementaire à 16 h 30 au 101, rue de l'Université 75007 Paris.)

L'histoire récente des démocraties occidentales est marquée par l'alternance entre régimes de droite et de gauche : ceux de droite se préoccupent de créer de la richesse car c'est la préoccupation essentielle de leur électorat, ceux de gauche se centrent au contraire sur la redistribution de cette richesse et sur la réduction des inégalités dans la répartition du gâteau, inégalités qui se sont généralement accrues dans la période précédente. Car plus produire, c'est créer de la richesse et donc de nouveaux riches.

On voit ces cycles à l'oeuvre lorsque Antoine Pinay devient ministre des Finances et couronne les 30 glorieuses mais est suivi par mai 1968 et Jacques Delors aux affaires économiques.

En Grande Bretagne, c'est après la période du Labour défaillant, celle de Margaret Thatcher qui va durer dix ans et rendre à la Grande-Bretagne une richesse qu'elle avait perdue.

On peut remarquer que ces cycles sont des cycles longs en ce sens que le leader d'une de ces alternances, qu'elle soit " de la construction du gâteau " ou de sa répartition, transcende 2 ou 3 élections successives. Cela veut dire qu'il y a un programme, une opinion qui adhère à ce programme et que ce programme est bâti sur des bases fortes, des réformes en profondeur dont les effets et les temps de mûrissement sont de l'ordre de la dizaine d'années. A chaque fois on peut dire qu'un modèle s'installe, fait la preuve de sa valeur, avant de faire la place au modèle opposé, la construction du gâteau suivie de son redécoupage.

C'était le cas de la France depuis 1958.

Cette alternance n'existe plus depuis l'arrivée de Valéry Giscard d'Estaing au pouvoir en 1974.

Au lieu de faire grossir le gâteau, il pratique une politique de gauche, dédaigne la production de richesse et ne se préoccupe que de répartir la richesse. On voit ainsi les entreprises, facteur essentiel du grossissement du gâteau, dévaluées ; le régime fiscal introduit favorise les obligations et dirige l'épargne des Français vers le Trésor, et le déficit du budget, et pénalise l'actionnariat qui devient le plus mal traité d'Europe. En 10 ans, la part des dettes à long terme des firmes françaises dans les bilans est multipliée par 5, au grand dam de leurs résultats. Pendant ce temps, les fleuves d'argent qui font rentrer dans les coffres du Trésor ces dispositions et l'extension de la TVA permettent de gonfler la bureaucratie et tout ce qui vit de la répartition.

Et au fil des ans qui vont suivre, Mitterrand, Chirac, Mitterrand II, Chirac II et III, on ne verra plus que des politiques de répartition du " gâteau ", pratiquement jamais des gouvernements préoccupés d'abord de le faire grossir.

Et lorsqu'il n'y a plus d'argent dans la caisse et lorsque la France a endetté plusieurs générations, on poursuit le clientélisme en divisant la société par des dispositions réglementaires qui attribuent des lopins du champ national à tel ou tel groupe, tel ou tel intérêt. Corporatisme, multiplication des catégories et des barrières sont une manière de contraindre à une redistribution non plus du revenu mais du capital social que constituent les métiers et l'outil de production au sein de la nation.

Depuis 1974, la droite fait comme la gauche, elle redistribue, elle ne cherche plus à produire.

Pourquoi ?

Parce que les élites qui, de fait, ont pris le contrôle du pouvoir ne sortent plus, comme Antoine Pinay, des milieux créateurs de richesse, l'agriculture, l'industrie, le commerce, ils sortent de l'ENA, une école où l'on forme des fonctionnaires dont le rôle n'est pas de produire mais de promouvoir le rôle de l'Etat. Plus d'Etat, il faut le noter, c'est toujours ce qui arrive dans les phases redistributrices, car c'est l'Etat qui impose cette redistribution, mais plus d'Etat, c'est toujours plus de réglementation, l'instrument par excellence de la redistribution, mais aussi l'ennemi par excellence de la création de richesse.

C'est en ce sens que l'on peut dire qu'avec la prise de pouvoir par l'ENA sans alternance depuis 30 ans, François Mitterrand étant l'exception mais déléguant son pouvoir à Laurent Fabius, Michel Rocard qui sont tous deux énarques, le modèle français a disparu.

A noter les cycles très courts qui suivent chaque élection : les leaders ne sont jamais réélus une seconde fois ; le peuple cherche vainement une alternance mais retrouve dans le leader suivant, même si c'est sous un autre nom de parti, les mesures politiques de redistribution dont il a déjà pu mesurer les méfaits et qu'il fuit.

Mais à force de redistribuer, il n'y a plus rien qui reste à vendre sauf les murs et, à la prochaine échéance électorale, si les Français ne se décident pas à voter pour une vraie droite qui se préoccupe de faire grossir le gâteau avant de le consommer, la France sera condamnée à n'être plus qu'un énorme parc de loisirs pour Chinois riches.

Notre seule chance de redressement est de ne pas élire d'énarques ce qui sera difficile si l'on mesure leurs appétits et leurs concentrations dans les sphères du pouvoir. Heureusement, leur distanciation des réalités de la politique font qu'ils sont très peu nombreux dans les milieux parlementaires et la politique politicienne. On en trouve en effet très peu au Parlement, moins de 5 % des parlementaires ; ce peut être pour les non énarques une chance de reprendre le pouvoir et de rendre au pays réel sa vraie représentation, une représentation qui cherche à créer, à donner de vrais emplois, et à repenser la redistribution de richesse.

Depuis 30 ans que nous l'élargissons sans discontinuer, la redistribution est devenue en effet un gigantesque fromage dont profitent au moins autant ceux qui distribuent que les bénéficiaires proclamés de la redistribution.

Il est temps de séparer les profiteurs des assistés.

Avec ce colloque, l'occasion se présente enfin de rappeler à nos politiques qu'il ne suffit pas de redistribuer aveuglément la richesse mais qu'il faut avant tout penser à sa création. La clé de la réforme de la France est dans la compréhension du mécanisme création de richesse / distribution qui a manqué depuis 1974 à tous nos présidents. Espérons que 2007 verra le réveil des créateurs de richesse au détriment des " redistributeurs " qui ont déjà tellement nuit à la France. Et les énarques, qui ont au coeur le sens de l'Etat, devraient être les premiers à mener cette révolution.

Voir aussi "La liberté de licencier vaut deux millions d'emplois"

et Anges et gazelles: Les Anglais créent 300 000 emplois de plus que nous par an (dans le secteur marchand). Pourquoi pas nous?

Sur cet article je veux faire ce commentaire car les chiffres donnés par l'iFRAP ne sont pas tout à fait exacts mais le diagnostic et la conclusion restent les mêmes. Voir le tableau comparatif de ces évolutions et les explications qui suivent.

La population française a augmenté de 10.1% sur cette période tandis que la population du Royaume-Uni n'a augmenté que de 6.3%. Du coup, la population en âge de travailler a augmenté de 14.5% en France contre 10.1% au Royaume-Uni. Mais compte tenu de l'évolution du chômage (- 47% au RU, +24% en France), la population employée a augmenté de 16.9% au RU contre 13.7% en France. Explication: les emplois marchands ont augmenté de 5.75 millions soit 34.3% au RU contre 2.2 millions soit 16.7% en France, tandis que les emplois publics ont régressé de 24.5% au RU alors qu'ils ont augmenté de 8.7% en France (voir note). Du coup, le PIB/habitant a augmenté de 60.9% au RU et de seulement 37.5% en France. Il est clair que la France n'a pas progressé comme elle aurait pu, tandis que le Royaume-Uni a plus que rattrapé son retard sur la France, et l'a même dépassée.

La production marchande est appelée par la demande des ménages, des investissements des entreprises et de l'État (pour les infrastructures et les équipements collectifs). Tout cela doit évoluer de manière harmonieuse c'est à dire équilibrée. S'il y a déséquilibre d'un élément par rapport à un autre, le retour à l'équilibre s'impose, comme en France par le non emploi d'une partie de la population, par la stagnation ou la baisse du pouvoir d'achat; l'économie ne fonctionne donc pas à son potentiel de production. Voir mon dossier sur le sujet et notamment le schéma du modèle de fonctionnement de la macroéconomie.

Évidemment cette régression n'est pas supportée de manière égale par tous les français; ce sont les catégories les plus vulnérables qui en souffrent le plus. Comment ne pas mettre en relation, outre le chômage, la progression des rmistes, des restos du coeur, les revenus les plus bas, la situation des jeunes et des banlieues, etc. Voir la répartition des revenus - revenu fiscal de référence (environ 70% du revenu net) selon les statistiques du ministère de finances en 2004.

Et ce ne sont pas les emplois de service à la personne, ni les créations d'emplois dans les très petites entreprises ou de créations de celles-ci qui vont relancer la production marchande dont dépend principalement la consommation et l'emploi. Tandis qu'une vraie baisse des dépenses publiques, en injectant du pouvoir d'achat dans l'économie, se traduira par une hausse de la consommation à laquelle les entreprises du secteur marchand répondront forcément en investissant et en employant plus de monde. Voir article du Monde du 14/6/06 sur le CNE après 9 mois.

Il faut comprendre que bonne partie de la diminution d'emplois publics au RU est due au transfert d'activités vers le privé, exemple chemins de fer, transports publics, production d'électricité. Les sceptiques diront 1, que c'est là un processus de vases communiquants, 2 que la qualité des services publics concernés a diminué, à preuve les accidents de chemin de fer survenus après la privatisation. Mais en transférant des pans entiers de l'économie protégée vers le secteur privé les anglais ont imposé à ceux-ci une obligation de résultat, car une entreprise privée ne peut avoir durablement des dépenses qui excèdent ses recettes; elle doit donc réaliser l'équilibre et augmenter sa productivité soit en augmentant ses prix soit en baissant ses coûts. Ce qui n'est pas le cas du secteur public. Il en résulte donc une réelle baisse des dépenses publiques. Quant à la sécurité la question est de savoir si ces accidents étaient dues à la vétusté des infrastructures et équipements au moment de leur transfert; En tout cas, les anglais suivent avec attention leurs services publics. En savoir plus. Il existe un organisme indépendant de suivi et de contrôle des dépenses du secteur public, le National accounts auditing office. Cet office est indépendant c'est à dire que ses agents, à la différence de notre cour des comptes et des chambres régionales des compte, ne sont pas des fonctionnaires mais issus du secteur privé. Voir la FAQ de ce site où il est indiqué comment tout citoyen du secteur privé ou du secteur public peut rapporter un dysfonctionnement cad. une mauvaise utilisation de l'argent public. Ce dont nous manquons cruellement en France c'est d'un véritable contrôle de la dépense publique. Voir aussi Revue française des dépenses publiques.


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Mis en ligne le 12/06/2006 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr)