Le CPE vu par la presse étrangère


Du CPE, et de la morosité en général Rébellion made in France

• Le gouvernement français ne semble pas vouloir céder. Il devra pourtant se battre, car les jeunes Français veulent un nouveau “mai 68”, et pour cela ils utilisent des symboles, comme celui de l’occupation de la Sorbonne. Descendre dans la rue ne suffit plus. Ils sont prêts à entrer en guerre contre le gouvernement, comme en mai 1968, à contrer la politique de l’Union européenne, qu’ils jugent “éloignée du modèle social” français, et, surtout, à se faire entendre.

O Kosmos tou Ependyti (extraits), Athènes


Les Français sont fatigués

• [Depuis son arrivée au pouvoir], Dominique de Villepin était parvenu à préserver une image modérée et consensuelle face à un Sarkozy plus radical et populiste. En un mois, sa popularité s’est effondrée de 10 points. [En désespoir de cause], un PS divisé s’est porté à l’avant-garde de la contestation anti-CPE et refuse tout changement dans la politique de l’emploi. Le pays donne de lui-même une image fatiguée. Il est perçu comme installé dans l’immobilisme et rétif à tout changement social. La France a besoin de profondes réformes et tous les joyaux de la couronne ont déjà été dispersés.
El País (extraits), Madrid


Non aux facs fourre-tout

• Les violents affrontements qui ont eu lieu à la Sorbonne devraient servir d’avertissement à ceux qui pensent, en Allemagne, qu’on peut lutter contre le chômage des jeunes en augmentant le nombre d’étudiants. Il n’est pas étonnant que les élèves des grandes écoles françaises, eux, ne manifestent pas : ils sont assurés d’avoir un diplôme et les meilleurs postes à la sortie. Les manifestations contre le CPE viennent d’une jeunesse désespérée qui se sent inutile, mais ce n’est pas en parquant les jeunes dans des universités de masse qu’on les sortira d’une tutelle prolongée.
Frankfurter Allgemeine Zeitung (extraits), Francfort


Le mal gaulois

• La France est une vieille marquise au passé glorieux mais à l’avenir sombre. Les Français ne semblent d’accord que sur une seule chose : le fait que leur réalité soit déprimante, triste et démoralisante. Mais, lorsqu’il s’agit d’emprunter le chemin de la réforme, la majorité préfère ne pas bouger ou revenir en arrière. Ce sentiment est compréhensible. Après tout, les Français ont confortablement vécu des années durant en s’endormant sur leurs lauriers, enveloppés d’odeurs de terroir. Aujourd’hui, Dominique de Villepin leur propose timidement de réformer un peu [le marché du travail]. Mais même ça ils n’en veulent pas. En fait, ils ont peur d’être libres et c’est un mal qui n’a pas de remède.
ABC (extraits), Madrid


Le CPE ne convainc pas

• Les milieux d’affaires auraient dû être les défenseurs naturels du contrat première embauche. En fait, leur enthousiasme est très relatif. De nombreux experts pensent que cette réforme limitée – elle est réservée aux moins de 26 ans – accroît la complexité du droit du travail sans toucher au cœur du problème : la protection excessive des employés qui bénéficient d’un CDI. Pour faire baisser le chômage français (9,6 % aujourd’hui), il faudrait donc assouplir le CDI. Des réformes de ce type ont donné des résultats en Autriche, au Danemark ou au Royaume-Uni. Mais en France les syndicats y sont farouchement opposés.
Sylvain Besson, Le Temps (extraits), Genève


Encore une crise !

• Ce qui se passe en France ne devrait faire sourire personne. Car une fois de plus, est soulignée l’incapacité d’un grand nombre de Français à accepter que la société dans laquelle ils vivent a changé si profondément qu’ils ne peuvent même plus feindre que tout peut continuer comme avant. Avec un chômage qui touche presque un quart des jeunes actifs, le CPE devrait ravir les premiers concernés et non les déprimer. Après tout, si la France a créé si peu d’emplois ces dernières années, c’est en partie à cause de la rigidité de son marché du travail.
Público (extraits), Lisbonne


VU DE LONDRES “Tout va mal, mais moi ça va”
James Harkin The Guardian

Déprimés les Français ? Oui, si l’on se réfère à la littérature et aux conversations ambiantes.

La Chine vient officiellement de ravir au Royaume-Uni et à la France la place de quatrième puissance économique. De quoi inciter une fois de plus les Français et les Britanniques à s’adonner avec délectation à la morosité : ces anciennes puissances coloniales que sont le Royaume-Uni et la France en ont fait un passe-temps national. Mais il faut avouer que les Français geignent avec un certain panache. Dans l’Hexagone, regretter que tout aille à vau-l’eau alimente à la fois les conversations de café et les débats les plus intellos. Ainsi la tendance de certains écrivains français à proposer une vision lugubre de la société française a-t-elle été qualifiée par les critiques de déprimisme, voire de dépressionisme. Chef de file de ce mouvement : Michel Houellebecq, grand provocateur devant l’Eternel, dont les vaticinations porno-catastrophistes deviennent de livre en livre plus improbables. Aujourd’hui, les intellectuels français ont même créé un mouvement : la déclinologie.

“Je vois surgir une nouvelle population dans notre pays, de nouveaux experts : les déclinologues”, déclarait lors de ses vœux à la presse le Premier ministre, Dominique de Villepin. Le président Jacques Chirac y est allé aussi de son couplet, reprochant aux intellectuels leur “autoflagellation permanente”. C’est vrai que les Français n’aiment rien tant qu’une bonne crise. Sinon, de quoi parleraient-ils pendant leurs longs déjeuners et leurs interminables dîners en famille ? Mais pourquoi un tel pessimisme ? Les émeutes en banlieue et le lent déclin de Paris en tant que melting-pot littéraire y ont leur part. Mais alors même que les Français sont censés sombrer dans la morosité, l’hebdomadaire The Economist publiait il y a peu une enquête selon laquelle 84 % d’entre eux étaient satisfaits de leur sort.

Il y a là un curieux paradoxe, qui laisse perplexes les économistes et les sociologues européens. La mauvaise humeur, les sombres prophéties, les gémissements, tout cela n’est pas nouveau et n’est pas l’apanage de la gauche ou de la droite. Mais, depuis quelques années, sondage après sondage, ceux-là mêmes qui assurent que la société court à sa perte précisent volontiers que leur propre situation n’a jamais été meilleure. L’une de ces enquêtes définit les Européens comme des “egoptimistes”, convaincus que leur qualité de vie et leur situation financière sont au beau fixe, mais tout aussi persuadés que leur pays est au plus mal.

Comment expliquer une telle anomalie ? Peut-être les prêts immobiliers, les retraites et les produits d’assurance nous donnent-ils l’illusion de pouvoir nous isoler des difficultés du reste de la société. Mais ce paradoxe touche aussi à la culture : comment nos sensibilités ne seraient-elles pas gagnées par la morosité ambiante alors que les pesants romans de Houellebecq sont dans nos bibliothèques ? La déclinologie est une plainte plutôt antisociale : lorsqu’on affirme que tout va mal, on pense aux autres. Cela revient à dire que, hormis soi-même, tout le reste c’est de la merde.