CRISE: Tous les ingrédients d’une vraie fronde

Mathieu Van Berchem La Tribune de Genève

Les manifestations des 16 et 18 mars seront cruciales pour l’avenir du mouvement anti-CPE et pour le gouvernement.

Basculera, basculera pas ? Au lendemain de la première vague de manifestations contre le contrat première embauche (CPE), on sent qu’il suffirait de peu de chose pour que le pays passe à une résistance plus active : un dérapage policier, un faux pas politique, des grèves prolongées dans les facultés. Incapable ces dernières années de rassembler la population au-delà de ses franges militantes, le monde syndical perçoit aujourd’hui un léger frémissement. Une étincelle que les anti-CPE s’efforcent d’entretenir à grand renfort de méthode Coué. Le mardi 7 mars, en une demi-heure à peine, le bilan des manifs dressé par la CGT a ainsi grossi de 500 000 personnes à 1 million de personnes.

La réalité est plus nuancée. La contestation, aucun doute là-dessus, s’est amplifiée en un mois. Mais on est encore loin des rassemblements de 1994, qui avaient eu la peau du SMIC jeunes d’Edouard Balladur, ou même de ceux de 2003 contre la réforme des retraites. Président de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), Bruno Julliard voit grand. En lançant un appel à la grève générale dans l’ensemble des universités, cet étudiant en droit à l’université Lumière, à Lyon, entend “élargir le mouvement et le massifier”. Près de quarante ans après Mai 1968, les mots d’ordre ne suffisent pourtant plus à enflammer les facs. A Rennes, à Toulouse, mais aussi à Paris, Metz ou Grenoble, blocages et passages filtrants attestaient de la mobilisation étudiante. Mais le mouvement ne toucherait qu’une quarantaine d’universités sur quatre-vingt-quatre.

Pourtant, les ingrédients d’une véritable fronde sociale semblent réunis. Aux avant-postes, les étudiants mènent le combat contre la “précarisation” croissante du travail. A l’arrière, les syndicats sont presque unanimes à dénoncer le CPE, entorse au “modèle social français”, qui permet aux entreprises de licencier sans justification des jeunes embauchés depuis moins de deux ans. Seule la méthode les sépare. La CFDT, réformiste, propose de jouer le prochain round le 18 mars. Force ouvrière et la CGT devraient finalement accepter cette date, même s’ils auraient préféré une bonne grève en semaine.

Encore faut-il lier la sauce. Créer des passerelles entre ces mondes très divers, sensibiliser les fonctionnaires aux problèmes des jeunes dans le privé, toutes choses que l’individualisme ambiant ne facilite guère. La fronde doit-elle se réjouir de la fragilité actuelle du gouvernement Villepin ? Au plus bas dans les sondages, le Premier ministre ne parvient plus à séduire l’opinion publique avec son CPE. Mais cette faiblesse lui interdit de reculer. En retirant sa loi, il s’aliénerait une bonne partie de la droite et laisserait le champ libre à son rival, Nicolas Sarkozy. En la maintenant bec et ongles, il peut espérer qu’une baisse du chômage vienne un jour récompenser sa ténacité.