VU D'AMÉRIQUE
Les jeunes français ont des idées de vieux

Courrier international - 22 mars 2006

La presse américaine regarde d'un œil moqueur la révolte des "jeunes bourgeois" contre le CPE qu'elle compare aux émeutes des "jeunes de banlieue" de novembre dernier. Pour les Américains, ces manifestations ne sont qu'une preuve de plus de l'immobilisme français.

"C'est le printemps, et les Français manifestent à nouveau", s'amuse le Los Angeles Times. "Cette fois-ci, ce sont les étudiants des universités et les syndicats qui protestent contre une réforme mineure du code du travail, nécessaire pour résoudre les problèmes qui ont provoqué la révolte des jeunes de banlieue à l'automne dernier. Si les manifestants obtiennent ce qu'ils veulent et que la loi est retirée, le taux de chômage des jeunes restera très élevé, ce qui sans aucun doute fera naître de nouvelles émeutes. Ainsi vont les choses dans la politique française", estime le quotidien américain.

"Les étudiants français auront sans doute de bonnes notes en engagement citoyen, mais zéro en économie." Pour le LA Times, la loi instaurant le contrat première embauche (CPE) n'a rien de "révolutionnaire" et il est normal d'alléger les difficultés auxquelles font face les employeurs pour licencier. "Les jeunes ont raison sur un point : cette nouvelle loi est discriminante, elle crée une seconde classe de jeunes travailleurs, moins bien payés que leurs aînés. Une attitude intelligente serait de demander que les garanties soient assouplies pour l'ensemble des salariés. A la place, ils exigent les mêmes protections qui garantissent la sécurité à certains mais sont préjudiciables à tous ceux qui cherchent du travail", dénonce le quotidien.

"La France a plus de mal que les autres nations européennes à s'adapter à la mondialisation de l'économie, surtout parce que les Français préfèrent accuser 'le capitalisme anglo-saxon', c'est-à-dire l'ouverture des marchés, plutôt que d'examiner leur propre politique dévastatrice. Villepin, qui paie un fort tribut politique pour son bon sens, devrait s'accrocher. La loi sur le travail des jeunes ne va pas assez loin, mais c'est déjà ça", conclut le LA Times.

Après les jeunes des banlieues, "ce sont les étudiants privilégiés des universités qui protestent contre ce qu'ils estiment être une attaque contre le droit inné d'un emploi à vie", ironise également l'International Herald Tribune. "Dominique de Villepin a très mal présenté et vendu sa loi aux étudiants, aux syndicats et à l'opinion publique. Mais sa loi est une tentative bonne et nécessaire pour remédier à un problème sérieux. La réaction des étudiants – et des syndicats prêts à sauter sur n'importe quelle occasion pour faire une démonstration de force – est égoïste et hors de propos. La résistance à la loi est moins fondée sur les pour et les contre que sur la défense de la sécurité de l'emploi que les Français – du moins ceux qui ont un emploi – considèrent comme sacrée. Avant que la situation ne s'aggrave, les étudiants devraient cesser de défendre des privilèges et répondre à l'appel du président Chirac pour un dialogue constructif sur la façon de résoudre les problèmes auxquels doit faire face leur génération."

Pour The Wall Street Journal, le recours systématique des Français aux manifestations de rue est le signe d'une "démocratie chancelante". "Les Chambres et les élections sont faites pour que les questions complexes soient discutées calmement. Mais la loi n'est passée qu'après très peu de discussions au Parlement, et grâce à une procédure spéciale. Elle est l'idée de Dominique de Villepin, un dirigeant non élu et dauphin du président impopulaire Jacques Chirac. De plus, l'Assemblée nationale est notoirement indifférente aux soucis des électeurs."

Pour le quotidien américain, "le problème est que, malgré de nombreuses révolutions, les Français n'ont jamais réussi à instaurer un système politique à la fois durable et flexible". De plus, "les fonctionnaires qui s'accrochent à leurs postes médiocres mais sûrs prennent en otage le reste des Français et les terrorisent en paralysant les trains ou en coupant l'électricité. L'Etat subventionne ainsi sa propre opposition, qui se dresse contre le moindre effort pour moderniser la France. En marchant aux côtés des syndicats, la jeunesse française d'aujourd'hui demande elle aussi des privilèges et un emploi médiocre mais sûr. Drôle de rêve pour des jeunes de 20 ans ! Les protestations actuelles pourraient être l'occasion d'une refonte constitutionnelle. Quand quelques milliers de personnes revendiquent le droit légitime de faire la loi pour des millions de gens, un pays ne peut plus se qualifier de république démocratique."

"En observant les manifestations en France, il est tentant pour nous, Américains, de les considérer avec mépris et dédain. Certes, ces jeunes doivent réaliser que leur quête de garanties pour un travail à vie est complètement contre-productive. Mais nous pouvons apprendre quelque chose nous-mêmes de l'action des manifestants", considère USA Today. "Ces manifestations illustrent jusqu'où peuvent aller les gens pour préserver leurs acquis et leurs privilèges, et fermer les yeux sur les coûts, au point de miner leurs perspectives d'avenir et celles de leurs enfants. Si les Etats-Unis n'ont pas adopté les mêmes mesures de protection que les Etats européens après la Seconde Guerre mondiale, il reste que dans certaines entreprises américaines, comme General Motors, les salariés sont autant accrochés à leurs privilèges que les Français, même si cela signifie la faillite de l'entreprise. A une plus grande échelle, le débat sur la sécurité sociale dans notre pays est touché par le syndrome français. Grâce à l'allongement de l'espérance de vie, la retraite des baby-boomers et l'explosion des coûts médicaux entraînent le gouvernement et l'économie américaine vers un abîme, mais ceux qui reçoivent ces avantages ne souhaitent pas des réformes pourtant nécessaires pour éviter une crise. Les Etats-Unis protestent beaucoup moins que la France dans les rues, mais ils font face au même manque de volonté à envisager l'avenir. Et cela donne peu de raison aux Américains de se sentir contents d'eux-mêmes ou supérieurs", conclut le journal.

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