Le malaise français

par Alain Duhamel Var Matin 26 novembre 2005

Alain Duhamel vient de basculer lui aussi dans le pessimisme sur la situation de la France, comme le démontre son éditorial publié ce samedi 26 novembre 2005 dans Var matin. Cela vaut la peine d'être noté car cet éditorialiste a toujours résisté au pessimisme comme dans son interview l'an dernier avec Nicolas Baverez sur "la France qui tombe".

JACQUES Chirac lui- même, pourtant viscéralement attaché au modèle social tricolore, l'a reconnu lors de sa dernière allocution télévisée : il y a un malaise français, notre pays traverse une crise d'identité. Le chef de l'État a, en l'occurrence, fait preuve de franchise et de lucidité. Tous les sondages le confirment d'ailleurs, les Français forment aujourd'hui le peuple le plus pessimiste d'Europe, celui qui regarde son avenir de la manière la plus sombre. La France traverse une phase de profond désarroi.

Les récentes émeutes urbaines n'ont fait que dramatiser et approfondir ce sentiment : elles ont témoigné de l'échec flagrant de l'intégration à la française, cette spécificité nationale, cette exception orgueilleuse qui voulait faire de notre pays un exemple d'assimilation réussie de l'immigration, d'où qu'elle vienne. Après trois semaines de troubles et de violences, il devient difficile de rester prétentieux.

Au coeur des "cités", là où se concentrent tous les handicaps sociaux, culturels, économiques, ethniques, securitaires imaginables, une fraction des jeunes est littéralement entrée en rébellion contre la société. Ce seul fait, qui se retrouve d'ailleurs dans d'autres pays occidentaux (voir article sur l'Islam aux Pays-Bas) moins fiers de leurs méthodes et de leurs originalités que le notre mais tout aussi atterrés par leurs échecs, suffirait pour qu'il faille s'interroger sérieusement sur le modèle social français. Ce fait est cependant loin d'être le seul.

La France, qui est la plus ancienne nation d'Europe, s'est, en effet, construite autour de deux piliers : des l'ancien régime, un État fort, centralisé (beaucoup plus que chez nos voisins), autoritaire, bureaucratique et, depuis la fin du Second Empire, une République sociale. Or, ces deux composantes essentielles de l'identité nationale sont l'une et l'autre entrées en crise. L'État omniprésent et, jadis, omnipotent ne correspond plus à la société d'aujourd'hui. Il peine à remplir ses obligations centrales (la sécurité, la justice, la défense), comme on le constate
chaque jour. Il ne parvient plus à jouer le rôle supplémentaire qu'il a voulu tenir dans notre pays: au sein d'une économie de marche, au coeur de l'Union européenne et face à une mondialisation que l'on peut maudire mais pas vaincre, l'État s'épuise vouloir réguler l'économie. Il est contraint d'abandonner des pans entiers du secteur public, il s'essouffle à combler des déficits sociaux qui ne cessent de se creuser. L'État ne peut pas tout et semble même pouvoir de moins en moins.

Simultanément, la République sociale vacille : elle s'enorgueillissait d'offrir à tous une instruction publique efficace, de faciliter ainsi la promotion sociale, d'intégrer les couches successives d'immigrés qui, depuis toujours, n'ont cessé de vouloir s'établir en France. Aujourd'hui, l'Éducation nationale est inadaptée et le sait, l'ascenseur social est bloqué, cela se voit, et l'intégration hoquette, nul n'en doute. Les gouvernements successifs et les majorités opposées tentent de leur mieux de faire face à cette dégradation. Jusqu'ici, aucune coalition n'a su ou pu faire reculer sur tous les fronts le malaise français. Ce serait un exploit et une surprise si la campagne présidentielle fournissait la ou les réponses.