Fiscalité

Réformer la fiscalité selon Jean François Kahn: extrait de son livre
"abécédaire mal pensant" chez Plon.
En finir avec les déficits publics, l'assistanat et le chômage structurel.

Fiscalité: Somme qu'un citoyen doit verser à l'État en fonction de ses revenus. Ou, dit autrement, partie de ses revenus qu'un citoyen doit verser ou reverser à l'État. Cette fraction est « proportionnelle », c'est-à-dire que chaque citoyen doit payer le même pourcentage, ou « progressive », c'est-à-dire que le pourcentage versé augmente en fonction de l'ampleur de ses revenus.

L'impôt peut être « direct », c'est-à-dire indexé sur ce que chacun gagne, ou « indirect », c'est-à-dire prélevé sur ce que chacun consomme.

Personne ne prend plaisir à se délester d'une partie de ce qu'il gagne, d'autant qu'il estime toujours qu'il le mérite et qu'il a durement travaillé pour l'obtenir. Aussi, de tous temps, les contribuables se sont-ils insurgés contre l'impôt. D'abord les gens du peuple qui étaient pressurés par l'État et les seigneurs, alors que l'aristocratie et le clergé ne payaient rien. Ensuite, quand ils ont été assujettis sur leurs revenus, les riches qui, par suite de la progressivité, estimèrent qu'ils payaient trop et qu'ils travaillaient jusqu'à 50 % de leur temps pour l'État.

En fait, comme les plus pauvres ont été peu à peu exonérés, comme se sont multipliées les exemptions ou niches à la tête du client en faveur de certaines catégories, comme certains indépendants ont parfois la possibilité de travailler au noir et comme, enfin, les plus fortunés, fort bien conseillés, épaulés et protégés, surtout lorsque leurs gains proviennent de diverses plus-values ou commissions, ont trouvé mille moyens légaux et illégaux d'échapper en partie au fisc - ne serait-ce qu'en camouflant la réalité de leurs rentrées financières, en mettant leur fortune à l'abri, ou encore en exilant leurs capitaux -, l'impôt a eu tendance à peser de plus en plus lourdement sur lesclasses moyennes et classes moyennes supérieures salariées.

L'impôt a deux fonctions : la première, vieille comme le monde, consiste à financer l'ensemble des activités et services dont l'État fait profiter la communauté tout entière : armée, police, services publics, école, justice, construction d'infrastructures. A quoi s'est ajouté, de plus en plus, les diverses formes de protection sociale (surtout depuis que les systèmes d'assurance sont déficitaires), d'assistanat et de subventions à des organismes publics mais aussi privés.

La seconde, et qui s'est développée à l'instigation du réformisme social-démocrate, est une fonction redistributive. Elle est la conséquence de l'acceptation du système capitaliste libéral : d'accord, disaient les « réformistes », nous ne remettons pas en cause l'économie de marché, nous nous rallions à la totale liberté d'entreprise du capital privé, mais à la condition que les considérables inégalités de revenus que cette dynamique génère soient quelque peu réduites par le fisc, en particulier grâce à un rabotage des gains les plus extrêmes par la progressivité de cette ponction. Et, autre condition, que les recettes des impôts permettent de financer une politique qui profite à toute la collectivité, en particulier aux plus fragiles et aux moins favorisés. C'est ce qui fut appelé le « modèle scandinave » qui, après la Libération, fut élargi à presque toute l'Europe démocratique. Parallèlement, non pour détruire, mais, au contraire, pour conforter le système libéral qui implique que la compétition soit totalement libre et ouverte, mais à condition que les chances au départ ne soient pas trop disproportionnées, fut institué un impôt progressif sur les successions : sa progressivité dans les pays nordiques, Grande-Bretagne y compris, étant beaucoup plus forte qu'en France.

A l'impôt direct sur le revenu et sur les successions s'ajoutent l'impôt sur les sociétés, les impôts indirects qui consistent à taxer la consommation et qui, en l'occurrence, n'étant par définition pas progressifs, frappent riches et pauvres de la même façon et, enfin, les impôts locaux qui permettent aux collectivités locales, municipalités, conseils généraux et Régions, de se financer et de financer leurs projets.

Le néolibéralisme, facteur d'explosion des prélèvements obligatoires.

Le système économique d'après guerre étant un système d'« économie mixte » où l'État jouait un rôle essentiel, y compris en tant qu'initiateur, animateur, planificateur, correcteur, producteur et même entrepreneur, il se finançait, naturellement, par l'impôt. Comme ses activités et interventions étaient nombreuses, il avait besoin, a priori, de beaucoup d'argent. Ce qui semblait expliquer que l'impôt fût lourd. Et comme l'idéologie libérale égalitaire était alors dominante, la progressivité était forte. Les conservateurs libéraux apparaissaient donc particulièrement audibles et crédibles quand ils affirmaient que libérer l'économie, alléger le poids de l'État et réduire son espace d'intervention, en particulier par les privatisations, supprimer les entraves à l'initiative permettraient, mécaniquement, de baisser les prélèvements obligatoires qui amputaient les revenus des ménages. Or, c'est le contraire qui s'est produit. Le développement d'un néocapitalisme conquérant, peu à peu libéré des freins et limitations qui entravaient sa dynamique, et profitant de la flexibilité accrue du marché du travail, a engendré un nouveau modèle multiplicateur de prélèvements obligatoires. N'est-ce pas, d'ailleurs, à la fin du règne de Mme Thatcher, en Grande-Bretagne, que les prélèvements sociaux ont atteint leur plus haut niveau ?

Comment expliquer ce phénomène ? Par le constat, finalement évident, que la dynamique capitaliste pure, dans sa version néolibérale, sous-tendue parune recherche farouche de compétitivité et de productivité laisse sur le bord de la route – ou précarise – de plus en plus d'actifs potentiels que l'État doit ensuite indemniser, protéger, soutenir, aider, assister, voire parfois guérir et loger. Ce que l'État économise, effectivement, en amont du processus productif, il le dépense plus lourdement en aval et se retrouve en situation de devoir supporter moins de salariés mais plus d'allocataires. Faut-il rappeler que le chômage de masse a pris son envol à partir de 1974, que le déficit budgétaire, mais aussi celui des comptes sociaux, se sont particulièrement creusés depuis quinze ans, que 70 % des nouveaux salariés sont désormais embauchés en CDD, que les mises en préretraite se sont multipliées ? La retraite à 60 ans et la création du RMI n'ont évidemment pas allégé la note.

Résultat : aux impôts directs sur le revenu et aux taxes de toutes sortes (TVA) se sont ajoutés, décentralisation et régionalisation aidant, un alourdissement de tous les impôts locaux, mais aussi une multiplication des prélèvements spécifiques destinés à couvrir les déficits des organismes sociaux (caisses de retraite et assurance maladie), tandis que les charges sociales, payées par les salariés et les employeurs, augmentaient parallèlement. D'où, en effet, une flambée des prélèvements obligatoires cumulés (avec en plus l'impôt sur la fortune), bien que la fiscalité directe sur le revenu soit plutôt moins forte en France que dans d'autres pays européens qui nous sont comparables.

Conséquence : une nouvelle offensive des néolibéraux – qui dénoncent une fiscalité confiscatoire – en faveur d'une forte baisse de ces prélèvements : impôts directs, impôts sur les sociétés, impôts sur les successions, charges sociales et suppression de l'impôt sur la fortune. Ils ont en partie obtenu satisfaction, ce qui. s est évidemment accompagné d'une aggravation des déficits.

Que les prélèvements cumulés soient devenus trop lourds, qu'ils pèsent, en priorité, sur les classes moyennes – puisque la moitié de la population, légitimement ou indûment, est exonérée de l'impôt sur le revenu tandis que les plus riches font fuir leurs capitaux – et qu'il soit fort désagréable de reverser à l'État (qui n'en fait pas nécessairement ce que l'on souhaiterait) une part relativement importante de ce que l'on gagne, nul ne le conteste. Mais le discours antifiscal est purement incantatoire ou démagogique si on ne répond pas à trois questions : 1) faut-il assurer une redistribution destinée à réduire des écarts de revenus qui sont devenus vertigineux, puisqu'on est passé d'une amplitude de 1 à 20 après guerre à des amplitudes de 1 à 250, voire même de 1 à plus de 800 dans les cas extrêmes ? 2) D'ailleurs, si l'impôt est aussi confiscatoire qu'on le prétend, comment se fait-il que, même après impôts, la disparité de revenus se soit aggravée depuis vingt ans ? 3) Et si, compte tenu des inégalités accrues, la fonction redistributrice doit absolument être conservée, voire, dans certains cas, être rendue plus juste, comment s'y prendre ?

Comment réduire les impôts que paient les plus riches ?

En réalité, beaucoup de tenants néolibéraux de la rhétorique antifiscale sont, pour des raisons idéologiques – et d'intérêts –, hostiles au principe même de la redistribution. Le problème est qu'ils n'osent pas l'avouer. Bien sûr que tolérer des rémunérations hymalayesques pour, ensuite, ponctionner plus de 50 % des revenus gagnés (avant le bouclier fiscal) peut apparaître abusif et même confiscatoire. Mais il y aurait une façon carrée de résoudre le problème : ce serait, compte tenu du niveau délirant qu'ont atteint certains émoluments, de fixer un revenu global maximum comme on a fixé un salaire minimum, sans rien changer au taux actuel de progressivité : dans ce cas,mécaniquement, l'ensemble des contribuables se situerait en dessous du plafond au-delà duquel l'imposition devient maximale, et le taux marginal de l'impôt direct cesserait d'être abusif au point d'être perçu comme confiscatoire. Mais voilà : il est évident que ceux-là mêmes qui jugent insupportable une ponction maximale de la part supérieure de leurs revenus estimeraient scandaleux que, pour remédier à cette anomalie, on les décharge, en quelque sorte, en l'amputant, de cette part supérieure et de toute façon excessive.

On pourrait également, pour mieux souligner le rôle redistributif d'un impôt qui ne doit pas être pour autant spoliateur, établir clairement, chaque année, quel est l'écart de revenus (entre, par exemple, les 10 % les plus pauvres et les 1 % les mieux rémunérés) qui reste décent : 150, 200 ou 250 fois par exemple, ce qui serait encore énorme, puis confisquer automatiquement tout ce qui déborde de cette amplitude, mais réduire, en proportion, l'imposition qui frappe les classes moyennes. Or, là encore, cela provoquerait, chez les néolibéraux, un tollé. D'où il résulte que le discours antifiscal des néolibéraux se confond avec un plaidoyer en faveur du droit au libre hyperenrichissement, et au libre creusement ou écartement des différences de revenus. C'est donc bien le principe même de la redistribution qui est en cause.

Vive l'impôt sur les successions ! Â bas l'impôt sur la fortune !

Au nom de l'idéologie libérale ? Voire. Car cette idée selon laquelle une libre compétition doit permettre aux plus talentueux, aux plus capables, aux plus travailleurs, aux plus habiles, aux plus décidés, et même – admettons – aux plus chanceux, d'engranger le fruit de toutes ces qualités, de tous ces efforts ou de toutes ces veines, ne tient que si tous s'élancent à peu près de la même ligne et bénéficient des mêmes conditions de départ ou presque. Vous prenez, au cours de votre vie, parce que vous courez plus vite, que vous avez plus de souffle, que vous êtes plus endurant, 100, 500, 1 000 tours d'avance : c'est la règle du jeu. Que le meilleur gagne ! Et qu'il gagne autant qu'il le peut. Mais cela ne se passe pas du tout de cette façon. Pourquoi ? Parce que certains, qui ont parfois moins de talent, de qualités, de volonté, de courage que leurs concurrents, partent, par héritage, avec 1 000 ou même 10 000, voire 100 000 tours d'avance. C'est pourquoi, en l'occurrence, l'impôt le plus libéral qui soit est l'impôt sur les successions puisqu'il vise, précisément, à rétablir un minimum d'égalité des chances au départ pour permettre une juste compétition. Donc, ceux-là mêmes qui exigent une forte diminution de la progressivité de l'impôt sur le revenu pour réduire la ponction qui frappe les tranches supérieures devraient logiquement accepter que l'on augmente parallèlement la progressivité de l'impôt sur les successions, tout en exonérant les petits héritages et en allégeant la taxation des moyens. Or, au contraire, ils demandent la suppression de cet impôt et l'ont, en grande partie, obtenue.

Le même raisonnement vaut pour l'impôt sur la fortune. Il n'a aucun sens puisqu'il frappe, non un revenu mais un avoir, a priori dormant, et qui est censé avoir déjà été frappé lorsqu'il fut, à l'origine, un gain. En outre, cet impôt augmente au rythme de la valorisation de l'avoir – ou du patrimoine – que son propriétaire ne réalise pas. S'il s'agit d'une résidence principale, de meubles, de tableaux, ou même d'un terrain, que l'intéressé contribuable entend absolument conserver, cela ne le rend pas plus riche. D'où les cas, fussent-ils marginaux, où des personnes aux revenus très moyens qui ont acheté, en s'endettant et pour y loger, un appartement de 300 000 euros dont la valeur a plus que triplé par suite du boom des prixde l'immobilier se retrouvent assujettis à l'impôt sur la fortune.

Supprimer cet impôt illogique ? Les néolibéraux le réclament à cor et à cri et ils n'ont pas tort. Mais cela implique que les fortunes dormantes soient alors taxées, et de façon progressive, quand elles se réveillent et qu'elles permettent de réaliser de juteuses plus-values. Autrement dit, quand elles sont cédées, transmises, ou que, placées de façon spéculative, elles génèrent de fortes marges de profits financiers. Or, les mêmes qui maudissent l'impôt sur la fortune réclament également la disparition (ou la très forte diminution) des impôts sur les successions et les plus-values de cession, de revente ou de placement. Preuve supplémentaire que ce discours antifiscal-là, même s'il désigne au passage de véritables aberrations, vise en fait au rétablissement d'une manière de société d'Ancien Régime où rien ne viendrait entraver, corriger, limiter, comprimer le libre dopage de la fortune par la fortune, la libre multiplication de la richesse par elle-même, et, en conséquence, l'exponentielle croissance des inégalités de revenus entre les citoyens.

Impôt indirect moins injuste qu'on ne le prétend.

Il est d'ailleurs significatif que, même lorsque ces inégalités prennent des proportions aussi effarantes qu'aujourd'hui, nos néolibéraux dénoncent, comme si de rien n'était, les méfaits... de l'égalitarisme ! Lorsqu'ils ont obtenu l'instauration d'un « bouclier fiscal » protégeant ceux qui, jusqu'ici, payaient le plus d'impôts, ils auraient pu accepter la proposition d'instaurer, parallèlement, un pourcentage d'imposition plancher qui éviterait que de nombreux hauts revenus, voire très hauts revenus, échappent en grande partie au fisc grâce à la multiplication de niches, allègements, dérogations, abattements ou rétrocessions. Or, il n'en a rien été. Ils ont trouvé cette proposition aussi perverse que les autres. CQFD !

Les mêmes, en fonction de la même démarche, plaident en faveur d'un glissement de l'impôt direct vers les impôts indirects. Ce que dénonce, traditionnellement, la gauche avec véhémence : si l'impôt direct est progressif et pèse, en conséquence, plus lourdement sur les plus favorisés, l'impôt indirect s'applique, en effet, de la même façon et au même taux, à tout le monde, riches ou pauvres.

En vérité, ce discours qui surfe sur le souvenir de la « gabelle » ne correspond plus à la réalité. Les produits de luxe sont généralement plus taxés que les produits de première nécessité ; l'essence étant surtaxée, ceux qui possèdent des voitures puissantes paient plus que les autres ; pour l'instant, la TVA qui frappe les restaurants étoilés est beaucoup plus lourde que celle qui frappe les McDo. Reporter massivement les impôts directs sur les impôts indirects serait globalement injuste, en effet (par exemple, une TVA dite sociale reviendrait à faire payer par les consommateurs une partie des charges patronales) ; mais l'impôt indirect peut fort bien, lui aussi, devenir un instrument indolore de redistribution, d'autant qu'il est en partie volontaire puisque qui consomme plus paie plus.

Cependant, les néolibéraux n'en restent pas là : ils exigent des allègements d'impôts et de charges sociales, mais aussi une réduction, voire une suppression, des déficits publics (en quoi ils ont raison), ainsi qu'un allègement drastique de la dette. Quadrature du cercle.

En fait, de même que la gauche, surtout quand elle est dans l'opposition, ne dit jamais comment elle compte s'y prendre pour comprimer les déficits, parce que l'annonce des mesures de rigueur qui s'imposent désespérerait sa clientèle, de même les néolibéraux, au-delà d'une certaine logomachie, ne répondent jamais concrètement à la question : que préconisez-vous exactement pour à la fois résorberles déficits publics, assécher la dette et réduire fortement les recettes fiscales ? Et s'ils ne répondent pas, c'est qu'ils n'osent pas avouer que la solution qu'ils préconisent, c'est-à-dire à la fois un dégraissage de l'État, une radicale diminution de ses dépenses sociales (et en particulier d'assistance) et une complète libération des possibilités de s'enrichir (l'enrichissement étant moteur de croissance) peut, certes, donner des résultats – on ne saurait le nier –, mais au prix d'une aggravation considérable de toutes les fractures sociales. C'est précisément ce qu'on appelle, par euphémisme, "sortir du modèle social français".

Comment venir à bout des déficits publics ?

Cela peut-il fonctionner ? Théoriquement oui, en comprimant, en effet, fortement les dépenses étatiques, en réduisant considérablement les minima sociaux, en remplaçant un million de chômeurs par un million de salariés mal payés et peu couverts socialement (à supposer qu'il ne s'agisse pas d'immigrés). Mais encore faut-il que les « riches » et les « entreprises libérées » ne trouvent pas plus d'intérêt à rechercher des profits purement financiers, ou à aller exploiter, en délocalisant au Bengladesh, des salariés encore plus mal payés, donc des coûts du travail encore plus bas. En Grande-Bretagne – on occulte volontiers ce constat –, ce n'est pas dans le secteur privé qu'ont été créés, ces dernières années, les nouveaux emplois, mais dans la fonction publique : les impôts ont d'ailleurs augmenté et le déficit budgétaire aussi.

Et quid si la consommation populaire s'effondre ? On oublie trop souvent que les dépenses de l'État, fus-sent-elles des dépenses d'assistance, contribuent fortement à la combustion de la locomotive économique. Le remède néolibéral induit, en outre, que l'État (soudain réhabilité) se donne tous les moyens de venir à bout d'une quasi inévitable explosion sociale. C'est pourquoi l'expérience chinoise (un ultracapitalisme néolibéral, sous dictature communiste) est regardée avec tant d'admiration et d'envie.

En vérité, il est parfaitement exact qu'on pourrait juguler, dans un premier temps au moins, et assez rapidement, les déficits, tout en abaissant assez fortement les impôts. Comment ? C'est simple : on divise en deux le budget de la Défense nationale ; on n'achète plus de Rafale à Serge Dassault ; on renonce, au nom d'un libéralisme effectif, à subventionner l'agriculture ; on baisse de 30 % l'ensemble des forces de police ; on supprime les subventions à l'école privée ainsi, surtout, qu'aux entreprises privées (au nom de la stricte séparation entre le public et le privé), y compris certaines aides à l'exportation – cela représente 60 milliards d'euros ; on ampute 30 % des subventions versées à d'innombrables associations diverses et variées, en particulier festives, sportives et culturelles ; on ferme les Opéras par définition déficitaires ; on renonce au défilé du 14 Juillet et autres manifestations somptuaires ; on tranche à la hache dans le budget (en particulier de communication), de l'Élysée et des ministères (finie, l'utilisation d'avions de l'Etec, ex-Glam), et le Président lui-même devra payer de sa poche ses billets...

Autant arrêter là. Il est évident que les partisans les plus radicaux des baisses d'impôts et de la réduction des dépenses publiques pousseraient des cris épouvantables. Y compris, bien sûr, Serge Dassault, les députés UMP élus dans les régions rurales, les municipalités les plus conservatrices qui tiennent comme à la prunelle de leurs yeux à leur Association de promotion de la danse, de restauration des châteaux féodaux ou de défense de la mémoire de Clovis. Et nous n'avons même pas évoqué une autre piste : demander aux actionnaires des sociétés du Cac 40 de renoncer àdeux ans de dividendes et consacrer ainsi 80 milliards d'euros à la résorption des déficits publics. Il faut, en conséquence, rompre avec le discours purement antifiscal, le plus intrinsèquement démagogique qui soit, pour y substituer des propositions globales de remise à plat de notre fiscalité, afin d'en faire un instrument véritable de redistribution et d'action sociale, de création d'emplois, d'encouragement à l'investissement et à l'initiative, et donc de soutien à la croissance. Sachant que si, demain, un million et demi de chômeurs sont remplacés par un million de salariés convenablement payés, si deux millions de précaires, flexibles ou temps partiels, obtiennent des emplois stables et bien rémunérés, les déficits publics s'effondrent par gonflement des recettes et baisse des dépenses, et les prélèvements obligatoires, en particulier les prélèvements sociaux, s'en trouvent spectaculairement compressés.

Diaboliser l'impôt est aussi absurde que l'idéaliser. Le diaboliser ? Rappelons que les prélèvements n'ont cessé de croître pendant une période (les trente-trois dernières années) au cours de laquelle la droite au discours antifiscal a géré dix-huit ans les affaires du pays (contre quinze ans la gauche). L'idéaliser ? Tous les sondages indiquent que si tant de citoyens russes, est-allemands ou même hongrois conservent une forte nostalgie du système communiste, malgré ses tares et aberrations (et l'absence de liberté), c'est justement parce qu'on n'y payait quasiment pas d'impôts.

Dans quel sens devrait donc se diriger une nouvelle approche de notre fiscalité ? Voici quelques pistes. Quelques pistes pour une autre fiscalité.

L'objectif numéro un de toute action politique doit être le retour au plein emploi, condition de la dignité des citoyens et seule façon de rétablir les finances publiques en transformant une partie des dépenses sociales en recette fiscale, tout en relançant la croissance par la consommation.

Le plein emploi constitue, avec la valorisation des bas salaires, l'outil le plus efficace, même s'il n'est pas suffisant, pour supprimer les déficits publics et réduire la dette.

Les efforts de productivité, de compétitivité et, en conséquence, l'innovation technologique doivent être poursuivis et encouragés, à la seule condition de ne pas constituer des fins en soi, mais de dégager des marges permettant d'investir dans le développement, la recherche et la création d'emplois.

C'est pourquoi les cotisations sociales devraient être assises sur la valeur ajoutée créée par l'entreprise, et non plus sur la masse salariale.

Tout passage du travail humain à la robotisation devrait donner lieu à une surcotisation versée à un fonds de retour à l'emploi. Il s'agirait non seulement de privilégier le travail humain par rapport au « travail machine », mais aussi, et surtout, de freiner une tendance à la déshumanisation de la vie quotidienne par la suppression de toute altérité de personne à personne (un monde où l'on ne serait plus confronté qu'à des appareils automatiques payés par les cartes bancaires).

Il conviendrait d'effectuer un audit général, sans tabou, de l'efficacité (en matière de développement et d'emploi) de la dépense publique et, en particulier, de l'utilité et de la pertinence de toutes les subventions et aides, y compris aux associations, afin non seulement de réduire les déficits mais également de réorienter certaines dépenses qui s'apparentent à de purs gaspillages.

Le plein emploi, seul garantie de stabilité et de sécurité sociales, ne pourra être atteint que par un renversement des priorités : non plus l'emploi sacrifié à des impératifs budgétaires monétaristes, mais l'équilibre budgétaire restauré par la priorité absoluedonnée à la création d'emplois stables et rémunérateurs, cette priorité seule permettant de substituer le travail créateur de richesses et producteur de recettes à l'assistance aux personnes, ruineuse pour les finances du pays et déplorable pour le moral des populations.

Le plein emploi ne pourra être restauré par des mesures malthusiennes du type 35 heures, qui consistent à se serrer de plus en plus dans la même boîte à sardines, mais par la dynamique d'une nouvelle croissance repensée en fonction des nouveaux besoins individuels et collectifs (dont le service aux personnes) et capable d'intégrer toutes les nouvelles formes d'activités, y compris sociales, associatives, mutualistes et culturelles.

Moduler l'impôt sur les sociétés.

Pour atteindre cet objectif il faudrait :

  1. Moduler fortement l'impôt sur les sociétés afin de favoriser l'investissement dans le développement, la recherche et l'embauche (le ramener dans ce cas à 20 %), mais taxer plus lourdement, en revanche, l'utilisation des profits à des fins d'enrichissement personnel et de distribution de dividendes. D'autant que tout encouragement au développement de l'entreprise augmente, hors dividendes, la valeur des parts détenues par les actionnaires.
  2. N'utiliser l'outil des baisses de charges sociales que dans le cadre d'un donnant-donnant. Ce qui signifie : a) repartir de zéro en annulant toutes les baisses qui ont été consenties, b) cibler ces baisses sur le seul secteur de l'artisanat et des PME, effectivement créateurs potentiels d'emplois, c) consentir, alors, des réductions plus fortes, mais en échange d'embauches effectives et contrôlées : par exemple 30 % de réduction sur quatre salaires, contre la création d'un cinquième. En ce qui concerne l'artisanat, toute création d'un troisième emploi pourrait bénéficier d'une réduction de 50 % de charges, d) en faire profiter non plus les seules basses rémunérations (véritables trappes à bas salaires) mais celles qui représentent jusqu'à trois ou même quatre fois le Smic. Les salaires inférieurs au Smic ne devraient, en revanche, bénéficier d'aucune baisse de charges.
  3. Favoriser le travail à temps complet en augmentant le Smic et les barèmes des conventions collectives de 30 % lorsque les emplois sont à mi-temps (ou en dessous) et de 20 % entre le mi-temps et le trois quarts temps.
  4. Toute société ayant bénéficié d'une aide publique à l'implantation dans une région donnée devra s'engager à rester sur place pendant dix ans minimum, sinon rembourser le montant de l'aide.
  5. Une entreprise qui délocalise pour augmenter ses marges sera assujettie, sauf engagement à investir dans un autre projet de développement, à une sur-taxation de l'impôt sur les bénéfices et devra continuer, pendant un laps de temps donné, à payer sur place la taxe professionnelle.
  6. Il n'est pas possible de revenir sur les 35 heures dont l'application rigide fut une erreur. Pourrait, en revanche, être généralisée la possibilité de travailler, en semaine et hors jours fériés, 40 heures, les trois heures au-delà des 35 heures étant valorisées de 30 %, la quatrième de 35 % et la cinquième de 40 %, payées cash, c'est-à-dire sans pouvoir les transformer en congés compensatoires. En revanche, ces heures supplémentaires seraient normalement fiscalisées et assujetties à des charges sociales pour ne pas concurrencer l'embauche.
  7. Le travail le dimanche ou les jours fériés, sur des bases absolument volontaires, sera autorisé, mais payé 100 % de plus. En revanche, sauf dans certains secteurs à définir très précisément, on ne pourra effectivement travailler plus de 40 heures tant que le chômage restera supérieur à 5 %.
  8. La création d'entreprises, petites et moyennes, sera encouragée grâce à la création d'une banque d'investissements semi-publics, dotée d'une agence par département, habilitée à consentir, jusqu'à un montant de 350 000 euros, des prêts à taux zéro (mais en tenant compte de l'inflation) sur présentation de projets précis devant être examinés dans les six mois.
  9. Seront expérimentées des mesures favorables au capital-risque en général, particulièrement à la création de sociétés nouvelles par appel à l'épargne publique. Cela nécessitera que les procédures actuelles, trop lourdes, soient simplifiées et allégées. Un fonds national d'investissement pourra être créé sur le modèle des fondations américaines. Toute création d'entreprise nouvelle bénéficiera, pendant deux ans, d'une franchise fiscale. En revanche, sera créée une surtaxe spéciale frappant les processus financiers de fusion-acquisition et, en particulier, les OPA. En cas de licenciement dit « de confort » (la société étant sensiblement bénéficiaire), les salariés licenciés bénéficieront d'indemnités revalorisées de 50 % et devant atteindre au moins une année de salaire pour plus de vingt ans de présence.
  10. Dans le cas de la reprise d'une société par un fonds de placement, ce qui rend difficile ou impossible l'identification des propriétaires et la visibilité de leur stratégie, les salariés auront la possibilité de faire jouer la clause de conscience qui donne droit à indemnités de départ.

Pour en finir avec l'assistanat.

  1. D'une façon générale, toutes les formes passives de traitement social du chômage devront être transformées en instruments actifs de création d'emplois effectifs. Ainsi, dans les zones prioritaires particulièrement frappées par la désindustrialisation, la puissance publique pourra s'engager, à proportion de 30 % du capital, dans des projets créateurs de plus de deux cents emplois.
  2. Le plan sera réhabilité en tant que moyen de prendre des décisions, à horizon de dix ans et plus, qui permettront d'anticiper l'évolution du marché de l'emploi et de prévoir les effets des grandes mutations technologiques.
  3. L'assistanat ne doit pas constituer un système, mais représenter une réparation. Pour éviter une quasi-égalité destructrice entre la rémunération du travail et celle du non-travail, tout salaire devrait être au moins supérieur de 30 % aux minima sociaux cumulés.
  4. En revanche, une franchise annuelle de l'ordre de 400 euros, compensée par l'État, sera consentie sur les factures de gaz et d'électricité en faveur des sans-emploi et des précaires. Une forme de compensation provisoire devra également être envisagée pour ceux dont la rémunération est si faible que leur loyer risque de représenter plus de 40 % de leur revenu total.
  5. Le code du travail devra être simplifié, et les CDI redevenir la norme. En revanche, pourront être instaurés, sous contrôle, des « contrats de projet » (engagement, à un salaire valorisé d'au moins 20 %, pour la durée d'une mission précise, fixée à l'avance).
  6. Une commission paritaire devra faire le point sur l'amplitude des salaires, des rémunérations, des revenus, et proposer des mesures de plafonnement pour rendre impossible, en général et à l'intérieur de la même entreprise, des inégalités de rétribution aussi indécentes que celles qui ont été atteintes ces dernières années.
  7. Les Français qui s'exileront fiscalement à l'étranger ne pourront plus bénéficier, en France, de la moindre prestation sociale (Sécurité sociale, Allocations familiales, indemnisations ou retraites).
  8. Les stock-options ne seront autorisées que comme forme de participation à la valorisation de l'entreprise. Tous les salariés d'une entreprise devront donc pouvoir en profiter. Mais même les plus hauts cadres supérieurs, P-DG compris, ne pourront toucher plus de l'équivalent de 200 000 euros d'actions sous forme de stock-options.
  9. Les familles bénéficiant de revenus supérieurs à 15 000 euros par mois ne toucheront plus les Allocations familiales.

L'impôt direct unique.

Tout le système fiscal devra être remis à plat, c'est-à-dire que les niches, exceptions, abattements à la tête du client, avantages particuliers seront, a priori, supprimés. Un impôt direct et unique sur les revenus, se substituant à tous les autres, y compris à la CSG, frappera du même barème progressif toutes les formes de revenus sans exception, y compris les plus-values de toutes natures.

Tout le monde paiera cet impôt constitutif de la citoyenneté, fût-ce de manière très symbolique, y compris les 40 % non assujettis à l'impôt sur le revenu qui, de toute façon, paient la CSG et autres taxes. Ces mesures permettront une remontée générale du plancher des tranches et, donc, une baisse effective, très sensible, de l'impôt qui frappe les classes moyennes. Il ne s'agit pas de baisser les taux de progressivité qui frappent les revenus supérieurs, mais de remonter, là aussi, le plafond au-delà duquel le taux marginal deviendra maximum (55 %).

Plus qu'une taxe sur les flux financiers, qui exige un consensus au moins européen, il conviendra de surtaxer les opérations purement financières en fonction de leur rapidité d'exécution : une plus-value réalisée à l'issue d'un aller et retour spéculatif sera, par exemple, beaucoup plus lourdement taxée qu'un bénéfice obtenu par la revente d'un appartement détenu depuis vingt ans.

L'exil fiscal vaudra interdiction de recevoir le moindre sou en provenance de l'État ou de la collectivité. L'évasion ou la fraude fiscales seront sanctionnées par la confiscation automatique de 70 % des sommes dissimulées. Les héritages ou les transmissions d'une valeur de moins de 500 000 euros ne seront plus taxés. Jusqu'à 2 millions d'euros, ils seront très sensiblement moins imposés qu'aujourd'hui, mais la progressivité augmentera au-delà de 2 millions d'euros jusqu'à atteindre un taux de 75 % au-delà de 30 millions d'euros, moins pour des raisons purement fiscales que pour réhabiliter le principe libéral de l'égalité des chances. Les biens transmis ne seront imposés qu'au moment de la réalisation d'éventuelles plus-values. En cas de transmission d'entreprises, la moitié du produit de l'impôt sur les successions donnera lieu à des distributions d'actions aux cadres et au personnel.

Ces mesures ciblant les fortes plus-values de quelque nature qu'elles soient, ainsi que les gros héritages ou transmissions, permettront de supprimer l'impôt sur la fortune dont les effets sont pervers. Une péréquation en faveur des communes pauvres permettra de fixer un éventail limité de taux de taxation à l'intérieur duquel tous les impôts locaux devraient s'inscrire.


Mis en ligne le 03/02/2008 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pierreratcliffe.blogspot.com