Mittal Arcelor; Faut-il vraiment s'étonner?

Jean-Paul Fitoussi; Propos recueillis par Ghislain de Montalembert Figaro Magazine 16 février 2006

Sommaire

  1. Le Figaro Magazine – L’émotion suscitée en France par l’OPA de Mittal Steel sur Arcelor est-elle justifiée à vos yeux ?
  2. Faut-il s’attendre à d’autres opérations de ce type ?
  3. Comment interprétez-vous la vivacité des réactions de la classe politique face aux projets de Mittal ?
  4. Serait-ce souhaitable dans le cas d’Arcelor ?
  5. Quelle place accorder au patriotisme économique ?
  6. Les entreprises françaises sont-elles plus vulnérables que les autres du fait de l’absence de fonds de pension en France?
  7. S’achemine-t-on vers une redistribution des cartes sur l’échiquier économique mondial?
  8. Que pèsera demain l’économie française face à un géant comme la Chine?
  9. Et l’Inde?


1. Le Figaro Magazine – L’émotion suscitée en France par l’OPA de Mittal Steel sur Arcelor est-elle justifiée à vos yeux ?

Jean-Paul Fitoussi – Je m’étonne de... l’étonnement de certains, qui semblent découvrir l’existence de nouveaux acteurs sur l’échiquier économique mondial. Le phénomène est perceptible depuis au moins une dizaine d’années. Quand un pays comme l’Inde, qui compte plus d’un milliard d’habitants, se développe de façon extraordinairement inégalitaire, il n’est guère étonnant que de très grosses fortunes se constituent et qu’émergent de nouveaux groupes puissants.

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2. Faut-il s’attendre à d’autres opérations de ce type ?

Oui, très probablement, à l’échelon mondial. L’Europe n’y échappera pas : on y trouve des entreprises de très grande qualité. Certaines d’entre elles sont vraisemblablement souscotées, dans la mesure où l’Europe est une région de faible croissance.

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3. Comment interprétez-vous la vivacité des réactions de la classe politique face aux projets de Mittal ?

La nostalgie de la puissance perdue y est pour beaucoup. Dans l’état actuel de la réglementation européenne en matière de concurrence, il ne peut y avoir de réaction politique à ce type d’opération. Tel n’est pas le cas aux Etats-Unis, où les pouvoirs publics peuvent mettre leur veto à une OPA hostile, voire rétablir les droits de douane pour protéger un secteur.

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4. Serait-ce souhaitable dans le cas d’Arcelor ?

Non, d’autant qu’il s’agit d’un projet de fusion concernant deux entreprises européennes. Les risques de délocalisation sont par ailleurs faibles dans le secteur de l’acier, en raison des coûts de transport qui contraignent les usines à rester à proximité des lieux de consommation.

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5. Quelle place accorder au patriotisme économique ?

Tout dépend des secteurs. Certains sont plus stratégiques que d’autres. La question de l’indépendance énergétique dans un monde en état de bouleversement permanent est une vraie question. L’affaire du gaz russe est venue le rappeler de façon évidente. L’indépendance alimentaire doit aussi être assurée. On peut par ailleurs s’interroger sur la nécessité de protéger certaines industries naissantes et porteuses de productivité à long terme. Je ne vois pas pourquoi ce qui est possible aux Etats-Unis ne le serait pas en Europe : pourquoi devrait-elle forcément être plus libérale ?

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6. Les entreprises françaises sont-elles plus vulnérables que les autres du fait de l’absence de fonds de pension en France?

Supposons que les fleurons industriels nationaux appartiennent à des fonds de pension français... Auraient-ils une moindre exigence de rentabilité que les fonds anglo-saxons ? Si une stratégie doit être définie en matière de protection de certains secteurs sensibles, elle ne peut être que publique, et subordonnée à des considérations de long terme relatives à l’indépendance et à la stratégie industrielle. Le fond du problème, c’est l’absence de politique industrielle au niveau européen.

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7. S’achemine-t-on vers une redistribution des cartes sur l’échiquier économique mondial?

Elle est déjà en cours, mais elle n’a rien d’inquiétant. La sortie de la pauvreté de milliards d’individus est une bonne nouvelle pour le monde. Moralement, il n’est pas acceptable de laisser près de la moitié de l’humanité s’enliser dans le sousdéveloppement. Economiquement, l’émergence de nouvelles puissances économiques offre des opportunités de croissance considérables pour l’ensemble des pays développés.

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8. Que pèsera demain l’économie française face à un géant comme la Chine?

Les Français, qui raffolent des classements, s’alarment de constater que le PIB chinois a récemment dépassé celui de la France. Franchement, quand on vit dans un pays de 60 millions d’habitants, il n’y a pas de quoi rougir à avoir un PIB équivalent à celui d’un pays qui en compte 1,3 milliard. Il est normal et sain qu’il en soit ainsi. Et qu’y faire ? Dans deux à trois décennies, le PIB chinois sera le plus important du monde.

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9. Et l’Inde?

Cela fait longtemps que l’Inde connaît un développement rapide, avec un taux de croissance compris entre 6 % et 8 %. L’Inde, par tradition, a toujours favorisé son enseignement supérieur. C’est sa force aujourd’hui. Dans les universités les plus prestigieuses du monde, les meilleurs mathématiciens sont souvent des enseignants indiens. Une croissance durable et aussi intensive en savoir est très prometteuse.

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