Crises financières, jusqu'à quand? Frédéric Lordon
Voici
un livre remarquable qui décortique tous les ingrédients de la crise
financière partie des États-Unis en 2007. Un livre assez technique
parfois difficile à lire pour les non initiés. Mais tous les éléments
de cette crise sont là, détaillés et démystifiés. La crise a été
l'effondrement du système bancaire international, un système dominé par
des majors interconnectés entre eux par un vaste réseau d'alliances et
d'intérêts. Un réseau où la cupdité, l'appât du gain maximum et la
volonté d'éliminer les risques par des "innovations financières". Or
les risques sont inhérents à toute activité humaine liée aux
incertitudes du futur et ces risques sont en réalité supportés par les
entreprises, les ménages et les individus qui constituent le tissus de
l'économie réelle.
Les innovations financières ont d'abord servi le monde de la finance
internationale pour jouer tels les joueurs de Casinos: maximiser les
gains avec des apports minimum de fonds propres (en faisant jouer
l'effet "levier" cad. en empruntant), sécuriser ces gains par un jeu
complexe d'assurances mutuelles entre parieurs pariant sur la
survenance d'évènements opposés; tout ce jeu était jugé sain par les
agences de notation. Mais un beau jour de 2007, l'économie réelle s'est
manifestée. Les ménages à qui les banques étatsunisiennes avaient
consenti des prêts hypothécaires sans discernement grâce à la
"titrisation" de leurs créances ont commencé à faire massivement
défaut. C'est cet évènement qui a tout provoqué comme l'effondrement
d'un château de cartes, entraînant l'apparition de bien d'autres excès
du crédit sans limites. Du coup, le marché financier s'est effondré car
il est devenu un marché de vendeurs, tous voulant sortir du système et
récupérer leurs mises alors que les acheteurs avaient déserté la place.
Sans acheteurs il n'y avait donc plus de marché, et les actifs détenus
par les banques se sont massivement dévalorisés. En raison des règles
comptables interbanques qui obligent les banques à compter ces actifs
dans leurs bilans à leur valeur de "marché" et non à leur valeur
d'acquisition, les banques ont dû alors révéler des pertes énormes et
les plus grandes d'entre elles aux États-Unis se sont mises en
faillite. La situation s'est révèlée plus grave encore car le montant
exact des pertes était inconnu du fait de l'énorme complexité du
système des "innovations financières". Les banques ont dû se résoudre à
déclarer les pertes à mesure de la réalisation effective des actifs.
Du fait de l'interconnection entre les banques, les banques
européennes ont voulu jouer aussi dans la cour des grands avec les
mêmes outils de gain permis par ces "innovations financières". Elles
achetaient ainsi les produits dérivés (1er ordre) et les produits
dérivés des produits dérivés (2è ordre) et les produits dérivés des
produits dérivés des produits dérivés (3è ordre), pour obtenir comme
les "grands" des gains analogues cad. des rentabilités sur fonds
investis de plus de 50%. C'est ainsi que des anques réputées comme
Northern Rock en Angleterre a fait faillite et a dû être sauvée par
l'État. C'est ainsi que la société générale a fini par déclarer 54
milliards d'€ de pertes, et que la BNP a dû fermer deux fonds
d'investissements.
En allant plus loin que les crises financière, dont cette dernière
serait "la crise de trop" et qui imposerait de tout changer une fois
pour toutes, il y a un sujet de préoccupation qui me hante. La crise a
été très près de l'effondrement du système bancaire international, un système dominé par des majors interconnectés entre eux par un vaste réseau d'alliances et
d'intérêts. Un réseau où dominent la cupidité, l'appât du gain maximum
et la volonté d'éliminer les risques par des "innovations financières" se
déroulant dans un vaste système de spéculation "casino".
Il y a dans le livre à la page 150, une phrase qui me déconcerte. C'est
"....quand on pense au prix des crises financières tel qu'il est payé par
l'économie réelle sous la forme de d'éventuelles contributions fiscales,
mais surtout un manque à croître et en surplus de chômage". C'est le "manque à croître" qui me perturbe. La crise financière par l'assèchement des liquidités s'accompagne comme toujours par la crise économique et sociale. Sera-t-elle perçue comme cyclique comme les précédentes avec retour au "business as usual", ou sera-t-elle structurelle et entraînera-t-elle de "tout changer" comme l'évoque le livre? Les décisions ne semblent malheureusement pas pointer dans ce sens. Mais là, c'est notre système de
production/consommation qui est en cause. Évidemment cela élargit considérablement le domaine de recherche de ce livre consacré à la finance internationale.
La croissance exponentielle indéfiniment de la production et de la
consommation matérielle est aussi une crise latente de nos pays riches et ce
de plus en plus, car cela se conjugue à la crise "énergie/climat" et à la
crise écologique. Il est clair que notre richesse "occidentale" résulte de
la 2è globalisation depuis la fin de la 2è guerre mondiale: technologie,
effondrement des coûts des transports, effondrement des prix des matières
premières agricoles et industrielles sur les marchés mondiaux. Or ces
baisses de prix, conjuguées à l'augmentation formidable de la productivité
par le tryptique capital/travail/savoir-faire, se sont traduites pour nous
pays de Nord par une croissance sans précédent des niveaux de vie et de nos
productions/consommations matérielles, tandis que pour les pays du Sud les
hausses de productivité se sont répercutées chez nous par des baisses de
prix des matières premières; mais les populations locales sont restées au stade antérieur,
sans le moyen de développer leurs infrastructures industrielles et sociales
et donc sans les bases indispensables pour développer le même système
production/consommation que nous. La Chine, l'Inde, et d'autres pays dans leur
sillage sont passés à l'économie de marché et veulent avoir le même mode de
vie que nous; comment leur refuser ce que nous avons fait nous mêmes?
Alors ma question est comment assurer le bien-être de #7 milliards
d'habitants - sans doute 13 milliards en 2030 - avec les niveaux de
production/consommation qui sont les nôtres en 2009? Je lis avec intérêt
Daniel Cohen, Jean Marie Harribey, et la kyrielle d'auteurs qui se posent
les mêmes questions.
Or le dernier livre de Frédéric Lordon sorti en mai 2008: "La crise de trop, reconstruire un monde failli" esquisse justement une réponse à ces questions.
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