Le quotidien libéral hongrois tire la morale de l’histoire : on ne peut plus construire l’Europe sans consulter les gens.
par András Sztankóczy Magyar Hírlap

La gauche peut se réjouir. Avec leur non, les Français ont fièrement défendu leurs acquis sociaux. Ils se sont arc-boutés sur des droits fondamentaux tels qu’une croissance lente et un chômage élevé. Car ce qui a toujours intéressé le plus les syndicats et la gauche, c’est de défendre le travail et le revenu… de celui qui en a. Que les chômeurs se débrouillent tout seuls. Les défenseurs altermondialistes des pays les plus pauvres se sont à nouveau prononcés contre la libre circulation des services et en faveur du maintien des subventions agricoles de l’ancienne UE. Que les Est-Européens restent chez eux pour le moins d’argent possible et que le tiers-monde se contente des aides. Inutile de demander du travail en plus.

La droite n’est pas mécontente non plus. Pour elle, Bruxelles menace la souveraineté nationale, voire – selon une vision apocalyptique – l’identité nationale. Pourtant, dans aucun pays fédéral – et l’UE n’en est pas un, loin de là –, le peuple n’a encore perdu son identité. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les Flamands et les Wallons de Belgique, les Romands et les Tessinois de Suisse ou les Catalans et les Basques d’Espagne. Autre argument : la bureaucratie bruxelloise serait incompétente, dépensière et voleuse. La critique pourrait se comprendre de la part de la Scandinavie, mais semble pour le moins curieuse venant de Paris, où le résident de l’Elysée pourrait tout aussi bien croupir dans une autre sorte d’institution.

Le seul point commun entre les “nonistes” français et hollandais, c’est qu’ils en avaient assez des élargissements successifs, des légions d’immigrés, de leurs propres hommes politiques et des eurocrates bruxellois.

Il y a toujours un certain plaisir à injurier les Français, ces cryptocommunistes. On peut aussi souligner à quel point le débat sur le référendum était irrationnel, puisque ni la libre circulation des services, ni le mythique plombier polonais, ni l’aggravation des inégalités, ni l’immigration, ni même les futurs élargissements n’ont rien à voir avec la Constitution. Mais tout cela ne sert à rien. L’essentiel, c’est qu’on a atteint le point où il est devenu impossible d’avancer sans consulter les gens. Et quand, après tant d’années, on les interroge, il est normal que les citoyens en profitent pour répondre d’un coup à toutes les questions jamais posées, ce qui a pour effet d’additionner les non. La morale de l’histoire reste que l’on ne peut pas tout faire avaler aux gens. Une partie importante des Européens voudraient une Europe un peu moins contrastée, un peu plus “grise”, avec moins d’inégalités et moins d’immigrés. Il se peut qu’ils aient tort. Mais ils ont droit à leurs erreurs, à leurs préjugés, et ils ont le droit de trouver trop rapide le rythme qu’on leur impose.

Les dirigeants européens semblent stupéfaits que les électeurs n’aient pas compris qu’on ne voulait que leur bien. Les deux non devraient mettre fin à l’arrogance élitiste du type : nous savons mieux que vous. Pourtant, ce n’est pas de moins de référendums et de moins de démocratie que l’on a besoin, mais de plus. Même si cela suscite un ralentissement, un balbutiement de la construction européenne. Il suffit de demander à un plombier polonais : quand on force trop, ça casse.