Encore un Français qui se prend pour Napoléon !

Dominique de Villepin a beau se piquer d’être un intellectuel, sa conception de la politique est arrogante,
estime une chroniqueuse espagnole.

Il y a longtemps qu’on ne voit plus d’écrivains engagés à la terrasse des Deux Magots. Il n’y a plus que des touristes russes et des femmes élégantes qui paient 15 euros pour un croque-monsieur et un Coca light. Dans la vitrine de Gallimard sont toujours accrochés des portraits de grands auteurs, l’air mi-pensif, mi-séducteur, mais très peu sont postérieurs à Sartre. Il y a Bernard-Henri Lévy, archétype de l’intellectuel médiatique, Jean-François Revel, qui a plus de 80 ans, Michel Houellebecq, l’ami d’Arrabal, et désormais aussi Dominique de Villepin, qui est un protectionniste culturel.

La presse dit de Villepin qu’il est le caniche de Chirac, ce qui est en partie vrai. Il est fidèle, discipliné et un peu snob. Il affiche une élégance préfabriquée et une coquetterie métrosexuelle. Il a grandi à l’ombre du pouvoir constitué, ne s’est jamais présenté à aucune élection et ne connaît pas les ghettos de Marseille ni la banlieue de Lille. Son univers, ce sont les salons parisiens, le monde des Guermantes. Il joue bien au tennis et s’adonne dans l’intimité à la peinture figurative, comme Churchill. C’est aussi un poète médiocre et un écrivain prolifique à la prose vieillotte, lyrique et pompeuse. Ses textes sont chargés de métaphores et saturés de paradoxes. Non, Villepin n’est pas un homme modeste. Il a ce narcissisme franco-français moqué par Glucksmann et aspire à la grandeur* autant, sinon plus, que Chirac.

Le nouveau Premier ministre est un nationaliste

Malgré tout, ceux qui ne voient en lui qu’un politique photogénique et creux se trompent. Villepin veut être président et il a montré qu’il savait faire preuve d’astuce, de détermination et de sens de l’à-propos. Depuis que Sarkozy a été publiquement identifié comme l’ennemi à abattre, Villepin n’a cessé de manœuvrer dans les coulisses. On dit même que c’est lui qui, semblable à un Fouché, a propagé la rumeur de la séparation du couple Sarkozy à la veille d’un référendum décisif pour l’avenir des deux hommes. En tout cas, il suffit de feuilleter sa monumentale étude sur les cent jours qui ont précédé la bataille de Waterloo pour comprendre qu’il ne nourrit pas que des ambitions littéraires.

Villepin a le complexe de Napoléon, un mal qui frappe beaucoup de politiques et qui se manifeste sous une forme particulièrement aiguë chez les diplômés de l’ENA. Il n’a pas d’idéologie claire et semble disposé à ignorer les abus commis au nom du pouvoir, du moment que le pouvoir en question est le sien ou celui de la France. La défense des libertés individuelles et d’une Europe ouverte et solidaire ne figure pas très haut dans son échelle de valeurs, contrairement à l’instinct, à la force de la volonté et à la passion du commandement. Et la France, toujours la France. Villepin est un nationaliste français qui est arrivé à la conclusion terrible que son pays n’avance que dans la crise et la tragédie. C’est-à-dire lorsque l’Europe recule.

* En français dans le texte.

Monsieur Chirac, vous auriez dû partir

Les raisons qui ont poussé les Français à dire non au Traité constitutionnel européen sont multiples, mais le message est clair : les temps sont durs, il n’y a pas assez de travail, rien ne change, les promesses ne sont jamais tenues, nous en avons assez, et vous – la classe politique – refusez de nous entendre. En dix ans à la tête du pays, ce n’est pas la première fois que M. Chirac reçoit ce message. Les Français lui ont lancé un premier avertissement en 1997, quand il a dissous l’Assemblée et perdu les élections. En 2002, ils ont porté Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. En 2004, ils ont voté massivement pour la gauche aux élections régionales et européennes.

Face à un tel mécontentement, les dirigeants peuvent répondre de deux manières. L’une est de prétendre que le modèle social français est encore valable, qu’il n’y a pas de compromis entre protection sociale et croissance économique, que la France peut se claquemurer et empêcher l’invasion du capitalisme mondial, que tout est la faute de puissances extérieures – la mondialisation, les Etats-Unis ou Bruxelles. L’autre consiste à expliquer que la France ne peut pas vivre en autarcie, que les nouveaux marchés sont une opportunité pour les entreprises françaises, que les pertes d’emplois dans l’industrie peuvent être compensées par des créations d’emplois dans les services et qu’une protection sociale rigide a un effet dissuasif sur les embauches.

Presque chaque fois, Chirac a choisi la première approche. Lors de son unique tentative de réforme économique audacieuse, en 1995, il a fait marche arrière quand le pays a été paralysé par des grèves. Depuis, plutôt que de réfuter les arguments populistes du lobby antimondialisation, M. Chirac a dérivé vers la gauche avec l’opinion publique.

La source de tous les maux des Français n’est pas l’Europe, ni le capitalisme mondial, ni les divisions des socialistes, ni l’extrême droite, ni l’extrême gauche. C’est M. Chirac. Son incapacité à expliquer franchement aux Français le besoin de réformes le rattrape aujourd’hui. C’est pourquoi il aurait plutôt dû suivre l’exemple de Charles de Gaulle en 1969 : assumer ses responsabilités et démissionner.