CPE - "Les Français contre la France"

Courrier international - 28 mars 2006 Hamdam Mostafavi

Alors que la France vit mardi 28 mars une nouvelle journée d'action contre le contrat première embauche (CPE), la presse internationale s'inquiète du malaise français et insiste sur l'urgence des réformes économiques pour intégrer la France dans le marché mondial.

"Les manifestations en France sont très troublantes. Ce sont les Français contre la France, un rituel familier qui reflète la conjoncture difficile en Europe", estime le Washington Post. "Personne ne veut abandonner les protections de l'Etat-providence, mais cet attachement à des bienfaits aussi coûteux empêche l'Europe de se préparer à un avenir pourtant inévitable. A vrai dire, ce n'est pas l'avenir, c'est le présent. Le dilemme des démocraties avancées, dont les Etats-Unis, est qu'elles ont promis plus qu'elles ne peuvent tenir. Les promesses politiques dépassent les capacités de l'économie. Ces promesses ont parfois été faites malhonnêtement. Parfois, elles ont été faites sincèrement – sur la base de mauvaises analyses. Parfois, les hommes politiques ont été dépassés par les nouvelles circonstances. Peu importe : le dilemme reste le même. Renier les promesses passées entraîne la colère populaire ; ne pas les renier aggrave les problèmes futurs", explique le quotidien américain.

"Tout cela est de mauvais augure pour l'Europe, parce que d'autres pays sont dans la même situation. Les gouvernements semblent incapables de réconcilier leurs engagements politiques avec les réalités économiques. Les manifestants ont l'illusion que, s'ils manifestent assez longtemps et brûlent assez de voitures, ils pourront empêcher le changement. Les mesures actuelles ne calment pas l'opinion publique et n'améliorent pas non plus la vitalité économique. Le sentiment d'insécurité et le manque d'assurance de l'Europe vont empirer", s'inquiète le Washington Post.

"Les préjugés simplistes et l'incapacité à négocier véritablement condamnent la France à un feuilleton de guerres civiles", estime pour sa part le quotidien belge De Standaard. "Dans le conflit actuel, les fronts semblent effectivement irréconciliables. L'opposition, les étudiants manifestants et les syndicats exigent le retrait, sans plus, de la loi sur le CPE. Le Premier ministre Dominique de Villepin refuse et préfère parler d'une adaptation. Le mousquetaire du président Jacques Chirac, comme on l'a un jour appelé, manque de courage politique. Les quartiers ou 'la rue' n'appartiennent pas vraiment à son vocabulaire", considère le quotidien conservateur.

Pour le Wall Street Journal, la "joie de vivre" française se transforme en peur. Les manifestations sont le signe "du malaise et de l'angoisse" de la France. Les Français ont "peur de l'avenir, peur de perdre, peur des autres, peur de prendre des risques, peur de la solitude, peur de vieillir. La France perd son dynamisme. Elle est coupée du monde du XXIe siècle. Elle craint de perdre ses traditions archaïques, même si celles-ci l'empêchent de s'intégrer au marché mondial."

Le quotidien espagnol Sur insiste sur le fait que "les difficultés que rencontrent les jeunes pour trouver un emploi ne sont pas dues à un quelconque désir des employeurs de provoquer un malaise au sein de la jeunesse, mais à des raisons plus complexes, comme le manque d'adaptation de la formation des jeunes et la rigidité de la législation du travail. Si les dirigeants du mouvement contre le CPE réfléchissaient à leur propre intérêt, ils concentreraient leurs efforts sur l'extension de certaines conditions de ce contrat à l'ensemble du marché du travail, en flexibilisant ainsi toutes les structures du marché. Mais, même dans le pays berceau des Lumières, le rationalisme doit passer par un processus difficile pour s'imposer", considère le quotidien.