PROTECTIONNISME - Séduisant mais trompeur

Courrier International 13 mars 2006 Philippe Randrianarimanana

La presse libérale anglo-saxonne s'inquiète de la résurgence de politiques protectionnistes de part et d'autre de l'Atlantique, où les discours de défense des intérêts stratégiques et de la sécurité nationale gagnent en audience. Les exemples français et américain sont passés à la loupe.
"Aux barricades !" Tel pourrait être, selon Newsweek, le mot d'ordre du gouvernement de Dominique de Villepin. Aucun rapport avec la bataille franco-française autour du CPE. Pour le magazine américain, le Premier ministre français, qui s'est fixé comme objectif la défense des emplois français, s'illustre par une politique protectionniste. "Il n'est pas le seul. A travers toute l'Europe, les gens ont peur. Pour certains, la peur vient de la Chine et de la fuite des emplois à l'étranger. Pour d'autres, c'est une peur plus générale de la mondialisation, qui mènerait à leur perte."

De l'OPA hostile de l'indien Mittal sur Arcelor à l'échec du rachat de Suez par l'italien Enel ou à la levée de boucliers pour la défense de Danone contre un éventuel acquéreur étranger, la France s'est forgé une réputation de champion européen du protectionnisme. Cela vaut au gouvernement français de centre droit des critiques plus ou moins cinglantes, tant de la part de Bruxelles que de celle des pays des acquéreurs déboutés, comme l'Italie.

Néanmoins, au-delà de la rhétorique aux accents patriotiques dans laquelle puise Dominique de Villepin, le magazine américain note une réelle volonté de transformation et de réformes. Ainsi, la fusion annoncée de Suez et de l'entreprise publique Gaz de France permet de réduire à 35 % la part de l'Etat dans la seconde. "C'est une privatisation déguisée, qui aurait été longtemps impensable d'un point de vue politique, même si de nombreux analystes l'estiment nécessaire avant la dérégulation du secteur de l'énergie en Europe, qui interviendra l'an prochain."

Pour les tenants d'un libéralisme sans entraves, les Etats-Unis font également l'objet de réserves, avec la controverse sur la vente de six grands ports américains à la compagnie émiratie Dubai Ports World. "Il règne au Capitole [siège du Congrès américain] une atmosphère de protectionnisme", constate le Financial Times dans son éditorial. "Le fait même que des dirigeants républicains et démocrates soient d'accord pour considérer que le caractère ouvert de l'économie américaine représente une menace pour la sécurité nationale est particulièrement inquiétant", note le quotidien de la City. Autre signe de mauvais augure pour le Financial Times : le projet de restructuration de la commission du Congrès sur les investissements étrangers, qui examine toutes les acquisitions de biens américains par des étrangers.

"Malgré les inquiétudes justifiées pour la sécurité nationale dans le monde de l'après-11 septembre, une chose essentielle a été négligée dans le débat : les Etats-Unis n'ont plus les moyens de financer leur rapide croissance économique", note Stephen Roach dans Newsweek. Cet économiste de Morgan Stanley souligne que "la montée du protectionnisme aux Etats-Unis arrive au moment même où le pays a le plus besoin de capitaux étrangers", d'où l'importance de la Chine et de Dubaï.

Avec le recul de la DP World, qui s'est engagée à revendre à une entreprise américaine la gestion des ports américains, "il s'agit de la seconde agression contre un investisseur étranger au cours des derniers mois, après le flot de démagogie qui s'était exprimé lors de la tentative de rachat d'Unilocal, une compagnie pétrolière américaine de taille moyenne, par une société chinoise. Si les membres du Congrès veulent une véritable crise sécuritaire, à savoir une crise de sécurité financière, ils n'ont qu'à continuer ainsi", note The Wall Street Journal.

Le quotidien financier new-yorkais se désole de la "réapparition des protectionnistes obsédés par la sécurité nationale". "Ces dernières semaines, les élus du Congrès ont suggéré qu'une interdiction de propriété aux étrangers devraient s'appliquer aux routes, aux télécommunications, aux transports aériens, à la navigation maritime, aux entreprises de technologie, aux infrastructures de gestion de l'eau, aux buildings, à l'immobilier et même aux valeurs du Trésor américain. A ce rythme-là, les Américains rejoindront bientôt la France, où même la nourriture et la musique sont 'protégées' des influences étrangères pour assurer la survie de la nation", note le journal, qui vilipende "les nouveaux protectionnistes".

Reste que l'image d'une France se refermant sur elle-même mérite d'être nuancée, à en croire l'International Herald Tribune. "Derrière le tollé sur l'interventionnisme du gouvernement français se cache un paradoxe : une proportion relativement élevée des travailleurs français sont employés par des entreprises étrangères, dont des investisseurs à long terme comme la société américaine Caterpillar", note le quotidien américain publié à Paris. D'après Eric Chaney, chef économiste pour l'Europe chez Morgan Stanley, "la France a été plus ouverte que ses grands voisins européens", rapporte l'International Herald Tribune. Mais, aujourd'hui, "certains analystes s'inquiètent que sa réputation de pays protectionniste puisse avoir des effets négatifs, en menaçant l'investissement étranger en France ou même en rendant plus difficile aux entreprises françaises d'investir à l'étranger".