Dominique de Villepin; CPE la réforme mal vendue!

L'analyse de Bruno Jeudy Journaliste au service politique du Figaro.

Dominique de Villepin a-t-il commis le même péché d'orgueil que le maréchal Montgomery en septembre 1944 ? Trop sûr de lui, le célèbre chef de guerre britannique tente ce mois-là un coup décisif pour précipiter la chute du IIIe Reich. Il décide de s'emparer des six principaux ponts sur le Rhin. Mais il échoue à Arnheim, en Hollande. Rusés, les Allemands ont fait sauter le dernier pont. Le pont de trop pour Montgomery ! L'opération est un échec.

Avant d'enclencher la seconde étape de sa « bataille pour l'emploi », le premier ministre aurait dû revoir le film de Richard Attenborough, Un pont trop loin. A tort ou à raison, le contrat première embauche (CPE) apparaît aujourd'hui pour les Français comme le contrat de trop. La "réforme trop loin" en quelque sorte pour Dominique de Villepin. Un de ces enchaînements politiques tragiques dont la droite a le secret dès qu'elle affronte la jeunesse.

A la mi-janvier, lorsqu'il lance l'opération CPE, tout va bien pour le premier ministre : le chômage baisse depuis huit mois ; le contrat nouvelle embauche (CNE) affiche des résultats encourageants et lui-même connaît un état de grâce à retardement. Ne fait-il pas jeu égal dans les baromètres de popularité avec Nicolas Sarkozy, l'autre présidentiable de droite ?

Mais Dominique de Villepin en veut plus. A un an et demi de la présidentielle, ce fidèle chiraquien déborde d'ambition. Convaincu que son destin passe par une baisse visible du chômage, il va pousser son avantage. Quitte à prendre, de son propre aveu, tous les risques. Quitte à sacrifier, momentanément, sa popularité. Sûr de sa baraka, pressé par le temps, il concocte le CPE tout seul avec ses conseillers. Deux de ses ministres, Thierry Breton et Jean-Louis Borloo, le mettent en garde. Le premier aurait préféré une extension du CNE aux entreprises de moins de 250 personnes. Le second juge l'opération trop risquée et lui rnnspillp lP statu nun. Même leson feu vert. Le pari est donc très risqué. Le terrain de la jeunesse a toujours été miné pour la droite. En 1986, le projet de loi Monory Devaquet avait tourné au cauchemar pour Jacques Chirac, alors premier ministre. En 1994, sous la pression de la rue, Edouard Balladur doit remballer son contrat d'insertion professionnelle (CIP) - rebaptisé "smic jeune" par la gauche. L'an passé, enfin, les manifestations de lycéens ont contraint le ministre de l'Education nationale, François Fillon, à revoir sa copie.

Mais Dominique de Villepin va commettre une erreur beaucoup plus lourde que celle de ses prédécesseurs. Pressé, il fait l'impasse sur la concertation avec les syndicats. Cela n'aurait sans doute rien changé car on voit mal la CGT ou Force ouvrière dire oui à un gouvernement de droite. Mais il s'est peut-être privé, sinon de l'accord de la CFDT, au moins de l'indulgence du très réformiste François Chérèque. Résultat : le front syndical se reconstitue sous ses yeux et à ses dépens. Consultés ni sur le CNE ni sur le CPE, Bernard Thibault et Jean-Claude Mailly veulent prendre leur revanche dans la rue.

Sur le papier, les intentions du premier ministre étaient pourtant louables. Contrairement à François Mitterrand, Dominique de Villepin pense que, contre le chômage, on n'a pas tout essayé. Dans son esprit, le CPE est un prolongement du CNE. Il annonce même une future troisième phase de sa "bataille pour l'emploi", le contrat unique. C'est la proposition phare que Nicolas Sarkozy veut inscrire dans son programme en 2007.

Le premier ministre, lui, n'attend pas pour enclencher la "rupture". Dans un premier temps, les Français approuvent son dispositif : selon un premier sondage CSA-L'Humanité, 52 % des Français estiment que le CPE peut permettre la réduction du chômage, preuve que les arguments du premier ministre ont été entendus.

La situation est connue : 23% des jeunes de moins 26 ans sont au chômage ; 40% d'entre eux sont sans formation ; et il faut à un jeune entre huit et onze ans pour sortir des stages et CDD à répétition. La campagne éclair de Villepin démarre donc plutôt bien. La première manifestation des syndicats fait un flop. La mayonnaise ne prend pas dans les universités. Ce n'est pas dans la rue que la machine se grippe, mais à l'Assemblée nationale. Confondant vitesse et précipitation, le premier ministre commet une faute psychologiaue en voulant passer en force àtion inutile. La gauche tient enfin l'occasion de relancer la mobilisation anti-CPE.

La majorité se crispe. Les ministres se font plus discrets. Quant à l'UMP et à ses 220 000 militants, elle est en service minimum... Nicolas Sarkozy observe son rival se prendre les pieds dans le tapis. Surtout, le premier ministre manque de relais dans la société civile. Contrairement au CNE qui était porté par la CGPME, l'idée du CPE est une création exclusivement politique. Le premier ministre se retrouve seul en première ligne. Que la fronde estudiantine obtienne ou non la tête du CPE, le regard que les Français portent sur Villepin ne sera plus jamais le même. Son image de gaulliste social est écornée et il a vraisemblablement perdu le volant de soutiens centristes dont il disposait jusqu'à présent. Plus embarrassant, Ville-pin a renoué avec ses démons d'avant Matignon : pouvoir solitaire et un tant soit peu autoritaire... Des démons qui ont réveillé les doutes chez les parlementaires UMP qui ne l'aiment guère.

A-t-il hypothéqué ses chances pour la présidentielle de l'année prochaine ? Tout retrait du CPE paraît hautement improbable. Cela serait incompatible avec la haute idée qu'il a de lui-même et de son destin. Il est donc condamné à tenir. Si le CPE passe finalement et que le chômage recommence à baisser, une partie de l'opinion créditera le chef du gouvernement d'avoir manifesté courage et détermination. Si les statistiques se dérobent, c'est toute la droite - y compris Nicolas Sarkozy - qui sortira affaiblie de l'épreuve.