CPE - "La France se rebelle contre Villepin"

Courrier international - 29 mars 2006 Hamdam Mostafavi

Après la forte mobilisation contre le CPE qui a marqué la journée du mardi 28 mars en France, la presse internationale estime que Dominique de Villepin est le grand perdant de ce bras de fer avec la rue. Au-delà du Premier ministre, c'est le président Chirac et toute la classe politique française qui sont montrés du doigt.
"Isolé et fier de l'être: Dominique de Villepin s'est marginalisé lui-même", condamne Le Temps. "Les comparaisons chevaleresques conviennent bien à Dominique de Villepin. Féru d'histoire, volontiers grandiloquent, ravi que certains commentateurs le comparent à un 'hussard', le chef du gouvernement français a vécu depuis le début l'affaire du contrat première embauche (CPE) comme s'il s'agissait d'un tournoi où le premier qui porte l'estocade emporte le trophée", écrit le quotidien suisse.

Pour le journal de Genève, "la rue a encore révélé, ce mardi 28 mars, une fracture désormais plus nette entre Dominique de Villepin et les manifestants. La crise du CPE a mis en évidence la faille connue de l'armure du personnage : son inadéquation avec son programme, ses élus, les partenaires sociaux et le pays qu'il est supposé gouverner. Villepin l'élitiste, pur produit de l'énarchie républicaine et de la haute fonction diplomatique, plus au fait de la marche du monde que de celle de la France, a cru que sa fougue serait un irrésistible outil de séduction. Raté." Les étudiants et les syndicats, essentiellement composés d'employés du service public, "ne supportent pas que des leçons d'audace soient données du palais doré de Matignon par un Premier ministre qui, de toute sa vie professionnelle, Ecole nationale d'administration (ENA) oblige, n'a connu que le plus doré des contrats à durée indéterminée."

Cette crise illustre "un pouvoir qui se défait", poursuit le quotidien suisse. "La cassure est, enfin, également une fracture. Celle du cumul lourd de la démagogie sociale d'un Jacques Chirac qui, à l'inverse de François Mitterrand le cynique, a perdu son autorité dans l'exercice du pouvoir suprême. Il fallait voir le président français, au récent Conseil européen de Bruxelles, tancer les manifestants et dénoncer les 'ultimatums' pour comprendre le manque d'arguments sociaux qui est le sien. En nommant Dominique de Villepin pour échapper à Nicolas Sarkozy, le chef de l'Etat s'est exposé plus que de raison. L'homme de la dissolution ratée de 1997 était comme celle-ci : un fusil à un coup dont la nomination, résultat de manœuvres élyséennes, démontre combien Chirac, l'ex-roi de l'arène électorale et le champion du bain de foule populaire, est aujourd'hui barricadée dans ses fonctions. Nicolas Sarkozy, fermement arrimé aux commandes de l'Intérieur, a fini par contaminer le tout. La machine à déliter fonctionne à plein régime."

"La France se rebelle contre Villepin", titre de son côté El Mundo. "Les manifestations d'hier sont devenues une sorte de plébiscite contre le Premier ministre Dominique de Villepin, qui refuse de retirer le CPE. Le conflit n'a fait que s'accentuer ces derniers jours, provoquant une division au sein du gouvernement et, par-dessus tout, détériorant profondément l'image du Premier ministre. Villepin a probablement ruiné sa carrière politique, mais il a aussi mis en péril la victoire d'un candidat de la droite à la prochaine élection présidentielle. La façon dont Villepin a géré la crise est un désastre, puisqu'il n'a fait qu'ajouter de l'huile sur le feu." Pour le quotidien conservateur espagnol, "le pays a besoin d'un électrochoc, mais malheureusement aucun leader en vue n'est capable de convaincre les Français qu'ils ont besoin de moderniser leur machinerie sociale, ankylosée et inefficace."

"Au-delà du contrat première embauche, la crise révèle le profond fossé qui s'est creusé entre le pouvoir et la jeunesse", analyse Le Soir. "Une image revient en mémoire ces jours-ci. Celle de Jacques Chirac, il y a près d'un an, lors de la campagne pour le référendum sur la Constitution européenne. Devant un parterre de jeunes, sur un plateau de télé, le président était apparu déconnecté, complètement coupé du réel. 'Je ne comprends pas vos inquiétudes', avait bredouillé le chef de l'Etat. C'est bien ça qu'on lui reproche. Ne rien sentir de cette angoisse de l'avenir qui étrangle à ce point les jeunes qu'ils ne peuvent qu'être imperméables à toute réforme, fût-elle nécessaire dans un nouveau monde économique. C'est peut-être cela le plus terrible pour les voisins que nous sommes. Observer ce pays qu'on aime tant sombrer dans une incompréhension surréaliste. Car au lieu de trouver les mots pour se faire comprendre des jeunes, la classe politique ne s'adresse en réalité qu'à elle-même. Villepin observe Sarkozy. Sarkozy observe Villepin. Et Chirac observe le match. Mais, pendant que tout le monde observe son petit doigt, on en oublie de montrer la lune. Sur l'autocollant le plus répandu dans la manif d'hier, on pouvait lire : 'Rêve général'."

"La France vit un véritable psychodrame. Le CPE, qui permet de licencier un salarié sans indemnisation pendant deux ans, est un type de contrat déjà en vigueur dans beaucoup de pays européens", explique pour sa part le quotidien espagnol El País. "Si la violence dans les banlieues [en novembre dernier] était la révolte des enfants de l'immigration, la révolte que l'on voit actuellement, et qui a touché 130 villes françaises hier, est celle de la classe moyenne. Le CPE est l'étincelle qui a déclenché un incendie alimenté par des citoyens frustrés, opposés à tout changement, qui tentent de préserver à outrance un modèle social qui a besoin de nombreuses réformes."

De plus, souligne El País, "la lutte au sein du gouvernement pour être le candidat de la droite à la présidentielle de 2007 empêche le France d'avoir un gouvernement solide. Le ministre de l'intérieur, le populiste Nicolas Sarkozy, a senti tourner le vent de l'opinion et a demandé la suspension de l'application du nouveau contrat, brisant la solidarité du gouvernement. Et l'opposition ne fait que contester le gouvernement, sans un programme propre. Quand la tour Eiffel reste fermée en raison d'une grève, ne serait-ce que pour quelques heures, c'est que quelque chose va réellement mal en France."