Saisi des propositions des ministres des Finances, des Affaires sociales, du Ravitaillement et de la Production, concernant l'ensemble des dispositions d'ordre économique, financier et social à prendre lors de la libération de la France, le gouvernement constate les conditions dans lesquelles se trouve et se trouvera le pays et arrête ses décisions.
En France, depuis l'armistice, l'appauvrissement général du marché a été croissant, l'outillage est frappé de vétusté, la production est altérée, les transports désorganisés, la pénurie des denrées alimentaires est un état permanent; au total, les moyens de consommation sont inférieurs aux besoins. Cet état de choses a entraîné un strict rationnement. Mais ce rationnement de la consommation ne s'accompagnant pas du rationnement des moyens de paiement développe l'injustice sociale.
La hausse des prix officiels a été considérable, alors que la hausse des salaires permise par les réglementations successives édictées par le régime de Vichy a été beaucoup plus faible. Dans l'ensemble, les salaires des travailleurs français avaient déjà perdu, de juillet 1940 à octobre 1943, environ la moitié de leur capacité d'achat. Ils ont, depuis, perdu une nouvelle et importante fraction de leur valeur réelle.
La hausse des moyens monétaires a été constante. La circulation fiduciaire a plus que triplé depuis 1939 et les dépôts ont plus que doublé depuis la même date.
La libération de la France sera marquée à la fois par la présence dc troupes alliées nombreuses sur le sol national et par le développement de l'effort de la France pour participer à la victoire commune. De là des charges considérables, malgré la fin des prestations fournies à l'ennemi.
Il sera impossible, en fait, d'improviser de nouveaux services économiques. Il faudra donc, dans les premiers temps, utiliser, après élimination des éléments indésirables, les groupements et organisations existants en associant à leur activité les représentants des organisations ouvrières et de la résistance.
Maintenir un strict rationnement. La population doit être d'ores et déjà prévenue du caractère inéluctable de cette mesure. Mais le système de rationnement sera amélioré et lié à la politique financière de telle sorte que l'achat des denrées indispensables soit accessible à tous et que l'amélioration, au fur et à mesure qu'elle se produira, soit assurée à tous également.
Les distributions collectives d'aliments préparés seront prévues dans l'organisation du rationnement.
A la libération, il y aura lieu de procéderàune majoration immédiate et substantielle des salaires dans leur ensemble.
Cette première majoration sera déterminée par l'établissement du salaire minimum vital du manoeuvre ordinaire. Ce salaire comprendra deux parties
Les salaires des autres catégories professionnelles sont déterminés par l'affectation, au salaire du manoeuvre ordinaire d'un coefficient correspondant aux diverses qualifications professionnelles prévues, soit par la réglementation, soit par des conventions collectives.
Les révisions ultérieures des salaires devront intervenir en fonction:
Ces révisions seront effectuées par le gouvernement, après consultation d'une commission nationale et de commissions régionales et départementales des salaires, de caractère tripartite, composées de représentants des pouvoirs publics, de représentants des organisations professionnelles de travailleurs et de représentants des organisations professionnelles d'employeurs.
La réunion de ces commissions sera de droit sur l'initiative d'un de leurs trois éléments constitutifs.
Limiter la circulation fiduciaire et faire une importante ponction dans les moyens de règlements excédentaires, afin de réaliser un assainissement monétaire immédiat
Des réajustements des prix payés aux producteurs seront consentis, afin de stimuler Ies productions indispensables et d'assurer un approvisionnement régulier du consommateur.
Des subventions spéciales pourront être consenties pour que ]es prix à la consommation de certains produits essentiels puissent, dans une première période, être maintenus à un niveau artificiellement bas.
Régler la consommation, exclure le luxe, créer parmi les Français l'égalité de la capacité d'achat en un moment oè le ravitaillement est insuffisant.
Cette politique sera menée de telle sorte qu'elle ne paralyse pas la capacité de production et de transactions de la çlassemoyenne et qu'elle facilite les investissements nécessaires à la reprise de la production.
Elle comportera la conclusion, avec les alliés, d'accords réglementant la consommation et les disponibilités monétaires des troupes séjournant sur le sol français.
Signé C. DE GAULLE.
Mis en ligne le 31/03/2009 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) Portail: http://pratclif.com