ATTENTATS de LONDRES - Le démon de la

"guerre des civilisations"

Les attentats de Londres sont à la une de la presse mondiale. Au-delà de l'horreur et de la condamnation de ces actes terroristes, certains quotidiens européens n'hésitent pas à prendre position contre la civilisation musulmane.

"Ce n'est que quand on aura déterminé si ces attaques ont une base internationale ou proviennent au contraire de groupes locaux, qu'il faudra trouver la réponse appropriée", estime The Independent. "Londres a remporté la course à l'olympisme en vantant son multiculturalisme, sa tolérance et son ouverture au monde. Des valeurs que nous devrons garder en tête lorsque nous répondrons à cet acte abominable." La presse anglaise réagit avec une étonnante modération aux attaques contre les transports londoniens.

Toujours dans The Independent, l'éditorial de Robert Fisk remarque la différence de poids entre victimes irakiennes et victimes britanniques. "Bien sûr que les attaques de Londres sont 'barbares'. Mais que dire des civils morts lors de l'invasion anglo-américaine en Irak en 2003, les enfants déchiquetés par des éclats de bombe, les innombrables Irakiens innocents tués à des check points de l'armée américaine ? Quand ils meurent, il s'agit de 'dégâts collatéraux', mais quand nous nous mourrons, il s'agit de 'terrorisme barbare'."

Dans The Guardian, l'écrivain Ian McEwan redoute "qu'une fois que les morts auront été comptés et que la torpeur se sera transformée en colère et en douleur, nous nous rendrons compte de la difficulté de vivre ici. Nous avons été sauvagement tirés d'un doux rêve. La ville ne retrouvera pas la confiance et la joie qui régnaient mercredi 6 juillet, à la veille des attentats, avant longtemps. Qui voudra circuler dans le métro une fois qu'il aura été nettoyé ? Qui se sentira à l'aise dans un restaurant, un cinéma ou un théâtre ? Et nous allons nous pencher sur le contrat que nous passons et repassons de manière permanente avec l'Etat. Quel pouvoir accordons-nous au Léviathan, quelle liberté devons-nous sacrifier en échange de notre sécurité ?"

Les journaux britanniques soulignent que le pays a l'expérience du terrorisme, et salue le courage des citoyens. "Dans les années 1970 et 1980, la capitale a connu les attaques répétées des combattants de l'IRA provisoire. Hier, comme leurs aînés, les Londoniens ont affronté cet acte monstrueux avec calme et courage", note The Guardian.

Cependant, rappelle The Independent, "ce problème n'est pas spécifiquement celui de la Grande-Bretagne, contrairement aux attaques de l'IRA." Pour le quotidien, "le 7 juillet londonien peut être comparé, à une échelle moindre, au 11 septembre de New York et au 11 mars de Madrid. Un mélange de tragédie individuelle, d'héroïsme et de détermination meurtrière."

"Constatons que nous ne sommes pas plus que d'autres à l'abri d'une attaque identique à celle de Londres", relève La Libre Belgique. En effet, poursuit le quotidien belge, en tant que "démocratie libérale, attachée aux droits de l'homme, abritant les institutions européennes comme atlantiques, la Belgique forme naturellement une cible. Mais est-ce pour autant une raison de sombrer dans la paranoïa, sous prétexte qu'une des défenses antiterroristes les plus performantes du monde — la britannique — a connu un échec ? Certainement pas."

L'éditorialiste Giannis Prétenteris du quotidien grec To Vima propose pour sa part une interprétation plutôt étroite des attentats de Londres. "Finalement, ils travaillent tous pour Blair. Après le CIO, qui a donné l'organisation des Jeux olympiques de 2012, voici Al-Qaida, qui lui permet de conquérir la sympathie et le soutien de la communauté internationale." Prétenteris estime que le Premier ministre anglais "ne mérite pas autant de faveurs". L'auteur revient sur les Jeux d'Athènes de 2004 et rappelle que "les Anglais se montraient les plus critiques à l'égard des mesures de sécurité nationale et olympique grecques voilà à peine un an", alors qu'en comparaison avec les attentats de Londres "les petites explosions de bonbonnes de camping-gaz dans les rues d'Athènes avant les Jeux de 2004 n'étaient rien".

"L'Intifada a atteint l'Europe", estime de son côté le quotidien progressiste néerlandais De Volkskrant. "A Londres, les terroristes du Djihad ont finalement réussi à frapper. Après l'attentat ferroviaire à Madrid, la mort de Theo Van Gogh à Amsterdam, ils ont touché la ville européenne qui, depuis les attentats terroristes du 11 septembre, est la cible numéro un pour les combattants terroristes." La campagne du Djihad en Europe s'accélère. Rien n'indique d'ailleurs que le recrutement des forces a perdu du terrain depuis les attentats de Madrid. Et la campagne européenne s'ouvre même sur un autre front. Les fanatiques partent de plus en plus souvent en Irak où ils obtiennent chaque jour la chance de se battre contre les infidèles et les renégats."

En revanche, le ton de la presse espagnole et portugaise est venimeux à l'encontre des musulmans et de leur civilisation. Luis Ignacio Parada, l'éditorialiste du quotidien espagnol ABC, explique que le terrorisme fonctionne "selon des plans minutieusement élaborés pendant des années, et la date dépend toujours des garanties de réussite. Londres était l'objectif, sans que les Jeux n'aient rien à y voir. Tout comme l'était Madrid, avec ou sans les élections. Car même le terroriste le plus sibyllin ne peut calculer la chute d'un gouvernement. La vengeance à cause de la participation à une guerre dans un pays islamique n'est pas non plus la raison des attaques contre Londres ou Madrid. Il faut chercher les explications dans une culture, une civilisation et une pauvreté qui dirigent ceux qui n'ont rien à perdre dans le fanatisme religieux."

L'éditorialiste João Morgado Fernandes enchaîne dans le quotidien portugais Diário de Notícias. "Il faut arrêter le 'politiquement correct'. C'est bien une guerre des civilisations et cela a bien un rapport avec l'islam. On dira ce que l'on voudra mais eux, les terroristes, sont clairement dans une logique de guerre contre notre civilisation, au nom d'une certaine lecture du Coran qui, ne nous voilons pas la face, est partagée par une grande majorité des peuples musulmans et par plusieurs Etats reconnus. C'est par l'établissement de la démocratie dans ces pays et par l'éloignement du religieux des centres de pouvoir qu'on luttera contre ce nid du terrorisme, cette zone floue et équivoque où l'on fait une guerre au nom de Dieu."

En écho, l'éditorialiste du quotidien allemand Die Welt estime qu'"il ne faut pas se laisser impressionner par le verbiage des communiqués de revendication. Il ne s'agit pas de punir le gouvernement des ‘croisés' britanniques pour sa participation aux guerres en Irak et en Afghanistan. Les islamistes ne sont pas motivés par des objectifs séculiers et politiques, ils poursuivent une antique eschatologie de la destruction qui distingue les bons croyants des sous-hommes. Ceux qui nient la vérité d'Allah ne sont pas dignes de vivre : on les convertit, on les soumet ou on les tue. Aussi longtemps que les communautés musulmanes tolèrent l'expansion du terrorisme, le mal continuera."

Dans le même esprit, le directeur de Libero, quotidien italien proche des populistes de la Ligue du Nord, s'emporte. "Le spectacle continuera tant que nous refuserons d'affronter l'ennemi tel qu'il doit être affronté : avec force." Vittorio Feltri poursuit : "Cela veut dire adopter des mesures exceptionnelles et reconnaître que nous sommes en état d'urgence ; mieux, en guerre. Le régime de la guerre demande des sacrifices spéciaux, y compris de renoncer à certaines libertés. La sécurité a un prix. Plus de sécurité veut dire moins de liberté. Je sais qu'il est difficile de digérer certains concepts ; pourtant, il faut se résigner : on ne peut pas tout avoir. On ne peut pas ouvrir les frontières à n'importe qui ; les immigrés doivent être sélectionnés avec rigueur ; les illégaux doivent être rapatriés. Le terrorisme vient de l'extérieur. Il vient du Proche-Orient. Les assassins sont des islamistes. Voilà déjà une indication précieuse. Expulsons les plus actifs. Cessons d'accueillir ceux qui planifient les massacres. A la guerre comme à la guerre. Il est idiot de financer la construction des mosquées ; il faut être bête pour être tolérant envers ceux qui ne le sont pas ; cela n'a pas de sens d'éliminer des lieux publics les symboles de notre civilisation pour ne pas vexer les sentiments de ceux qui appartiennent à une civilisation inférieure. Alors que la bataille fait rage, il faut abattre les ponts de l'amitié avec les peuples d'où proviennent les terroristes."

Dans son éditorial intitulé "Le suicide de l'Europe", son confrère Paolo Mieli, du Corriere della Sera, adopte un ton plus mesuré. "Le fanatisme armé s'acharne sur l'Europe : l'Espagne l'année dernière, l'Angleterre cette année, et qui l'année prochaine ? Nous ne voulons pas seulement mettre en garde contre l'éventualité que la prochaine attaque touche l'Italie mais qu'en réalité aucun pays d'Europe ne doit se sentir tranquille. Et qu'alors que le projet de l'Union bat de l'aile, nous devons ‘retrouver l'Europe' autour d'un projet politique et militaire de lutte contre le terrorisme. La défaite de l'Europe n'a pas commencé avec l'échec de la Constitution européenne mais quand l'Union est devenue le talon d'Achille de la lutte contre le terrorisme. Il faut maintenant que l'Europe fasse quelque chose, s'il le faut quelque chose de différent de l'action des Etats-Unis. Mais quelque chose."

"Tous ensemble contre le terrorisme", titre l'éditorialiste d'Al-Hayat, qui ne mâche pas ses mots. "Les Arabes et les musulmans, qui ont produit la majorité des terroristes depuis les attaques du 11 septembre 2001, doivent être en première ligne dans la guerre contre le terrorisme. Nous sommes responsables avant les autres et en conséquence nous devons être les premiers à clamer notre refus du terrorisme, sans chercher à fuir notre responsabilité par ignorance ou parce que nous avons honte d'avouer que les terroristes qui ont perpétré les attentats de Londres pourraient être d'origine arabe ou musulmane." Le quotidien panarabe édité à Londres est très critique à l'égard "de ceux qui, dans nos pays, continuent à être indulgents avec les actes terroristes."

L'auteur poursuit en prenant clairement fait et cause pour la guerre contre le terrorisme déclenchée par les Américains. "Certes, les Etats-Unis ont encouragé le terrorisme en établissant des relations avec des groupes djihadistes en Afghanistan durant la période de la guerre froide, groupes qui sont devenus le fer de lance du terrorisme après la chute de l'Union soviétique. Mais actuellement la situation impose des mesures immédiates pour arrêter ce fléau. Nous pouvons critiquer la politique américaine à maints égards et espérer que l'administration américaine et le gouvernement britannique, ainsi que d'autres gouvernements européens, reverront leurs politiques dans le monde arabe, des politiques qui engendrent la haine et répandent la terreur dans le monde. Mais en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, nous ne pouvons qu'être solidaires."

Son confrère Al-Quds Al-Arabi a pour sa part, dans son éditorial d'ouverture, une autre lecture "des attentats terroristes de Londres." Selon ce quotidien, également édité à Londres, le Premier ministre britannique Tony Blair et son allié le président américain George W. Bush, "viennent de subir un sérieux revers. Les derniers attentats sont la preuve de l'échec de leur guerre contre le terrorisme, qui leur a coûté près de 2 000 morts et des milliards de dollars." Le journal rappelle que "la guerre américaine en Irak a coûté à ce pays la mort de plus de 1 000 000 civils" et souligne que "tous les terrorismes sont abjects, le terrorisme d'Etat ou celui perpétré par des individus".

Le quotidien israélien The Jerusalem Post estime de son côté que "le Royaume-Uni n'a pas su travailler en profondeur pour déraciner l'islamisme de son sol". Le quotidien préconise "une intensification de la coopération entre les différents services de sécurité à travers le monde".

Enfin, The New York Times s'arrête également sur "les capacités des services de sécurité britanniques qui n'ont pas su anticiper les attaques qui ont eu lieu à Londres. Les pays riches ne sont toujours pas arrivés à agir sur les racines du terrorisme." Le quotidien américain n'a pas de solution à proposer, mais estime qu'"en respectant nos engagements et en faisant preuve de civisme nous pouvons montrer aux terroristes qu'ils ont échoué".
Courrier international