L'islamisme, face sombre de la globalisation

C'est bien la nébuleuse d'Al-Qaeda - au-delà des premières revendications d'une certaine Organisation secrète d'Al- Qaeda en Europe, jusqu'ici inconnue - qui se profile une nouvelle fois, tel un spectre obsédant, dans la fumée des wagons ou des autobus londoniens déchiquetés par les bombes. Simultanément à ces attentats, ce même 7 juillet, un communiqué diffusé sur Internet et attribué à la section irakienne du réseau islamiste d'Oussama ben Laden, annonce l'assassinat de l'ambassadeur d'Egypte à Bagdad, Ihab Al-Cherif, qui a été enlevé cinq jours plus tôt. Pourtant, si aucun Etat, démocratique ou non, n'est à l'abri dans le monde des terroristes se réclamant d'Allah, c'est d'abord l'Europe, incarnée en ce moment par Tony Blair, dont le pays assure, pour les six prochains mois, la présidence de l'Union des 25, qui, cette fois, est visée. Loin d'être seulement des fanatiques aveuglés par la haine d'un «Occident pourri et malveillant», pour citer Zvi Elpeleg, brillant professeur à l'université de Tel-Aviv, les auteurs de la tuerie de la City se révèlent aussi de lucides analystes politiques.

En prenant Londres pour cible, les auteurs des attentats lancent un défi à Tony Blair. Fort de son bilan à la tête du royaume (un quasi-plein-emploi, une croissance supérieure à celle de la zone euro, un recul de la pauvreté) et de son charisme auprès des élites du continent, le Premier ministre britannique a aujourd'hui, face à Jacques Chirac et à Gerhard Schröder, décrédibilisés par leurs échecs et rejetés par leurs propres opinions, gagné la bataille du leadership de l'Europe à 25. Sa jeunesse - il a 52 ans - et son brio intellectuel l'ont rendu populaire de Tallinn à Madrid. Aux yeux d'une opinion européenne qui doute il apparaît, parmi les dirigeants occidentaux, comme le seul capable d'armer l'Europe dans le nouveau jeu de cette accélération de l'Histoire qu'est la mondialisation. Ce qui en fait, plus que tout autre, l'homme à abattre.

Avant même l'élection de George W. Bush et l'arrivée au pouvoir à Washington des néoconservateurs, Blair se fait l'apôtre, comme dans son discours de Chicago en 1999, de l'extension de l'idée démocratique: «Nous ne pouvons tourner le dos aux conflits et à la violation des droits de l'homme si nous voulons encore vivre en sécurité», plaide-t-il, alors, avec des accents quasi prophétiques. Parce que l'essor technique raccourcit l'espace et le temps à une vitesse que l'humanité n'a jamais connue auparavant, le Britannique a compris que l'ère de l'indifférence à la dictature est révolue et qu'il faut aussi accélérer le développement de la «bonne gouvernance», si l'on veut éviter de gonfler les rangs de l'islamisme armé. Il légitime ainsi comme un «devoir moral» la guerre au régime de Milosevic, accusé de «nettoyage ethnique» à l'encontre des Albanais (musulmans) du Kosovo. Et il plaide devant Bush pour un «Etat palestinien viable».