Est-il permis
de parler de l'islam à l'école ?
Professeur d'histoire et de géographie, mon cours
sur le monde musulman avait provoqué un «tollé» de... sept personnes.
Cette ultraminorité agissante m'a accusé de «racisme antimusulman» et a
saisi le Mrap et la Ligue des droits de l'homme, qui me poursuivent
aujourd'hui en justice.
Que mon modeste cours de 5e ait pu entraîner de telles
réactions prouve qu'il a soulevé un problème sensible: comment enseigner
le monde musulman dans le cadre d'une critique historique, au sein d'un
établissement laïque? Le professeur d'histoire contraint par les
programmes d'enseigner le monde musulman est devant un dilemme: doit-il
cacher des faits historiques à ses élèves sous le prétexte de respecter
la religion musulmane ou doit-il respecter la réalité historique au
risque de heurter des convictions religieuses? Pour ma part, j'estime
que le respect commence par la réalité historique, même si elle peut
paraître déplaisante.
Il y a encore quelques années, le professeur pouvait
éveiller l'esprit critique de ses élèves sur l'islam, il est vrai sur un
seul thème, celui de la condition féminine. Dans les fiches pédagogiques
du CRDP (Centre régional de documents pédagogiques) de l'Académie de
Lyon, des passages du Coran se rapportant à ce sujet étaient cités:
sourate IV, verset 38: «Les hommes sont supérieurs aux femmes (...). Les
femmes vertueuses sont obéissantes et soumises (...), vous réprimanderez
celles dont vous aurez à craindre l'inobéissance (...), vous les battrez
(...)» (1).
Aujourd'hui, la condition féminine est passée à la
trappe, vous seriez bien en peine de trouver un extrait du Coran pour
l'évoquer dans les fiches du CRDP ou dans le manuel scolaire utilisé au
collège (2).
Dans ce manuel, vous ne trouverez aucune référence aux
pillages des caravanes de La Mecque, au massacre des juifs de la tribu
des Quraizah ou aux versets du Coran sur les chrétiens. Les seuls
versets cités sont particulièrement choisis pour éviter tout aspect
critique. Il est bien entendu inconcevable de montrer les musulmans
comme des esclavagistes, c'est pourtant une réalité historique, la
«culpabilité» de l'esclavage ne devant être supportée que par les
Occidentaux (3).
La seule représentation des guerriers musulmans
dans ce manuel exclut toute violence, ceux-ci ne se battent pas mais
brandissent des bannières et jouent de la trompette. Il y a bien un
texte de Tabary concernant la bataille de Qadisiyya en 637 entre les
Perses et les musulmans, mais il traite surtout des éléphants de combat
des Perses. D'ailleurs, une des deux questions posées aux élèves est :
«Comment les Arabes parviennent-ils à faire fuir les éléphants ?»
Conclusion : les collégiens retiendront que les guerriers musulmans
jouaient de la trompette et combattaient des éléphants ! En fait, ce
manuel est d'une suavité confondante sur ce sujet et finit par ne plus
respecter la réalité historique.
La présentation de l'empire musulman est
complètement tronquée, si le manuel rappelle l'existence du statut de
«protégé» des chrétiens et des juifs qui, moyennant un impôt, pouvaient
garder leur religion, l'élève ne saura jamais que le paiement de cet
impôt pouvait être accompagné d'humiliations publiques ni que
l'esclavage ou la mort sanctionnait le refus de son paiement. La
conclusion du paragraphe est assez effarante : «L'Empire arabe devient
ainsi un Empire musulman, où les différences entre vainqueurs ou vaincus
disparaissent dans l'unité de la même foi». Si l'on en croit ce manuel,
tous les chrétiens et les juifs seraient devenus musulmans.
Par contre, l'Occident chrétien est présenté d'une
autre façon dans le manuel scolaire : la représentation des chevaliers
chrétiens de la Reconquista est beaucoup moins pacifique, ils se
battent, un guerrier musulman est même tué d'une lance. Quant aux
croisades, on atteint des sommets : «Elles ont développé chez les
musulmans l'image d'un Occident agressif», est-il écrit. Parce que la
conquête arabo-musulmane n'a jamais eu de caractère agressif ? Bien sûr
puisque les guerriers musulmans étaient des mélomanes pourchassant des
éléphants ! L'Histoire tourne à la farce !
Est-ce que le manuel cache le massacre de la
Saint-Barthélemy ? Bien évidemment non, les collégiens ont même droit à
une gravure représentant cet événement, montrant donc des meurtres
d'hommes, de femmes et d'enfants par des catholiques. Cela ne choque
personne et aucun parent ne crie au racisme anticatholique. Les
représentations de la violence ne concernent donc que le monde
occidental.
Nous en arrivons à une vision parfaitement manichéenne
et fausse de l'histoire : le positif relève des civilisations
extra-européennes et le négatif relève toujours de l'Occident. Est-ce là
de l'esprit critique ? Est-ce ainsi que l'on doit former les futurs
citoyens ? Les professeurs doivent-ils inculquer aux élèves le mépris de
la civilisation qui a inventé la démocratie ? Pour ma part, je me
proclame fier d'appartenir à la culture occidentale où sont nés les
droits fondamentaux du citoyen et que l'on ne compte pas sur moi pour
transmettre le mépris de cet immense héritage culturel et de ses
valeurs. Ces valeurs ne sont d'ailleurs plus considérées que comme
«prétendues» universelles dans «4e histoire, géographie, éducation
civique, aide à la mise en oeuvre des programmes», du Centre régional de
documentation pédagogique de l'Académie de Versailles.
La violence fait partie de l'histoire de l'Empire
musulman, l'islam est né dans la violence, c'est un fait historique, le
nier ne fait qu'encourager l'islamisme le plus radical puisque l'esprit
critique est par définition une garantie contre les excès. La critique
doit s'exercer sur l'islam comme sur toute autre religion ou événement
historique. Mahomet doit être un sujet d'étude comme les autres. Le
communautarisme religieux n'a pas à imposer sa lecture de l'histoire.
Le «politiquement correct» incompatible avec la
déontologie de l'historien doit être banni des manuels scolaires, il
faut appeler les choses par leur nom (un pillage est un vol et un
massacre est un crime), c'est la condition première pour un enseignement
digne de ce nom. Le professeur d'histoire est là pour transmettre la
réalité historique, si gênante soit-elle.
L'enseignant doit être libre de ses propos sans aucune
tutelle politique ou religieuse, ce qui d'ailleurs est dans les textes
de lois. Aucune censure religieuse n'est justifiable, quelle que soit la
confession religieuse des élèves, qu'un enseignant dans une école laïque
n'a d'ailleurs pas à connaître. Un professeur d'histoire n'est pas un
professeur de mythes ou de contes de fées, il doit encore moins être au
service d'un credo religieux.
Malheureusement, cela n'est pas la réalité. Mon
affaire montre clairement que l'enseignant est dorénavant sous
surveillance politico-religieuse. Faut-il que l'enseignant donne ses
cours en se demandant à chaque fois si telle ou telle phrase ne le
conduira pas devant le tribunal correctionnel ? Mes collègues de
français doivent avoir des sueurs froides lorsqu'ils font étudier Le Cid
à leurs élèves et mes collègues d'italien ne s'aventureront pas à faire
étudier L'Enfer de Dante où Mahomet est décrit éventré. Ne parlons pas
du Mahomet ou le fanatisme de Voltaire...
Il est indispensable que les professeurs soient
protégés des poursuites judiciaires en ce qui concerne le contenu de
leurs cours, les problèmes pédagogiques doivent se régler au sein de
l'Education nationale et non devant les tribunaux, à moins de vouloir
faire fuir les candidats au métier d'enseignant.
La citoyenneté et la religion musulmane ne peuvent
s'entendre que par la distinction du spirituel et du temporel, relater
des faits historiques établis sur Mahomet ou le monde musulman n'a rien
à voir avec un quelconque jugement de valeur sur le message spirituel de
l'islam. Assumer son histoire et accepter la critique de sa religion
font partie des règles de vie dans une démocratie. Une société qui
remplace le débat par les tribunaux est une société malade. La foi
religieuse doit rester dans la sphère privée et ne pas être une arme
politique ou un moyen de pression.
Force est de constater qu'aujourd'hui la démocratie en
France est bel et bien en danger : qu'un citoyen-enseignant puisse être
traîné devant les tribunaux pour avoir relaté des faits et gestes d'un
personnage mort il y a quatorze siècles le prouve assez.
Le message est clair en direction de tout le corps
enseignant : cela est un avertissement et celui ou celle qui ne rentrera
pas dans le rang du «politiquement correct» subira le même sort. Cela
porte un nom : le terrorisme intellectuel.
(2) Bordas, Histoire-géographie 5e, édition 1997.
(3) Les ouvrages de Jacques Heers, Les Barbaresques, et
Les Négriers en terres d'Islam, (Perrin).