Démographie : le flou entretenu

Ivan Rioufol Figaro 22 juillet 2005

Faire confiance aux démographes ? Nombreux sont ceux qui nient un bouleversement identitaire de la France, tout en annonçant 75 millions d'habitants en 2050. Le directeur de l'Institut d'études démographiques (Ined), François Héran, assure (1) que, si les Françaises font plus d'enfants que les autres européennes, «la part de l'immigration n'est pas déterminante car les comportements des migrantes ont tendance à se rapprocher de ceux des Françaises». Opinion relayée par le 25e congrès international de la population, ouvert lundi à Tours. Mais il suffit de côtoyer la réalité pour douter de ces analyses.

Déjà, en 2004, Héran avait surpris en assurant, statistiques à l'appui, que la France n'était pas «un pays d'immigration massive». L'affirmation avait enchanté les médias, trop heureux de pouvoir dénoncer des «fantasmes». Cependant, le spécialiste allait être contredit quelques mois plus tard par la Cour des comptes, s'alarmant de découvrir que la nation était confrontée, chaque année, à 300 000 entrées nouvelles. Ces populations, issues surtout du Maghreb et d'Afrique noire, influent évidemment sur la natalité.

Selon l'Insee, la fécondité des Africaines vivant en France serait de 4 enfants en moyenne. Elle serait de 3,2 pour les Maghrébines et de 3,7 pour les Turques. Et, si la natalité tend à se stabiliser à la deuxième ou à la troisième génération, elle resterait de l'ordre de 2,5 enfants par femme, contre 1,6 pour la femme européenne. Aussi est-il curieux de voir les démographes officiels – ceux qui les contredisent sont souvent marginalisés – s'efforcer d'occulter un nouveau peuplement que chacun peut observer.

Ce flou entretenu semble d'autant plus relever de l'acrobatie comptable que nos voisins n'ont pas ces réserves. L'Espagne ne cache pas que sa natalité est en hausse grâce aux immigrées, qui seraient à l'origine de 10% des naissances alors qu'elles ne représentent que 4% de la population (2). Et ce sont notamment les Chinois qui relanceraient la natalité italienne, les nouveaux arrivants faisant en moyenne trois fois plus d'enfants que les Italiens de souche (3). Ce qui est vrai à l'étranger serait-il faux en France ?

Selon Yves Laulan, président de l'Institut de géopolitique des populations, la population des ménages d'Afrique noire, du Maghreb et de Turquie serait de l'ordre de 5 millions de personnes en 2004. Soit 9% de la population métropolitaine totale, qui fournirait 110 000 naissances, soit 16% des naissances. Selon Laulan, en 2030, cette population pourrait approcher 9,6 millions de personnes, soit 15% de la population totale offrant 30% des naissances métropolitaines, voire plus.

On ne tranchera pas ici ces querelles de chiffres. Mais la France, qui traverse une grave crise existentielle, a besoin de savoir qui elle est. Or il y a une application troublante, chez certains observateurs soutenus par le conformisme immigrationniste et antiraciste, à récuser d'évidentes mutations. Cette banalisation conduit à endormir des vigilances et à laisser croire que l'intégration des populations extra-européennes se déroule sans difficultés. Est-ce si dérangeant de décrire lucidement les faits ?