Libye 1969-2011; Kadhafi et la révolution de février 2011

Voici une collection de liens sur la Libye pour éclairer le tumulte des évènements en ce début 2011. J'en extrais pour cette page d'accueil le document disponible sur le net qui me paraît le plus complet sur l'histoire du pays, notamment depuis la révolution Kadhafi de 1969 (lien).. Le paradoxe de la situation de révolte de 2011 en Libye, c'est que le pays s'est considérablement développé sous le "moment" Kadhafi, en production de pétrole brut et raffiné, en production de minerai de fer, d'acier et de ciment pour les infrastructures et tout le tissu industriel associé. En même temps Kadhafi a exercé depuis son arrivée au pouvoir en 1969 des actions terroristes et pris des positions politiques extravagantes dans le monde arabe, les pays voisins et dans la communauté internationale. C'est cette ambivalence qui me semble être au coeur de la révolte du peuple Libyen; Kadhafi ne comprend pas car il considère que son action a été bénéfique pour le développement du pays.

La Libye - 1.76 millions de km2 6.7 millions d'habitants - est un vaste désert prolongeant au nord le Sahara jusqu'à la côte méditerranéenne la plus propice à l'implantation humaine. La Libye a une longue histoire d'occupation humaine depuis le néolithique, les Romains, les Arabes, les Ottomans de Turquie... L'Italie s'en empara en 1911 et la garda comme colonie jusqu'en 1943. Lors de la 2è guerre mondiale, la stratégie des alliés - américains et anglais - fut de contourner les puissances de l'axe notamment l'Italie, par leur point faible à savoir le sud de la méditerranée cad. la Libye (Cyrénaïque). Les italiens furent battus et la Libye leur fut enlevée (lien sur les évènements de la 2è guerre mondiale en Libye Tobruk).

Après la guerre en 1945, la France et la Grande-Bretagne se partagèrent le contrôle du pays. Des garnisons françaises demeurèrent dans le Fezzan jusqu'’en 1955. La Libye fut grâce à l'ONU la première colonie d'Afrique à accéder à l'indépendance en 1951. Le pays se constitua en une royaume fédéral formé des trois régions historiques: la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan (carte).. L'Assemblée nationale désigna l’émir Muhammad Idris as-Sanusi, chef de la confrérie des senoussis, comme roi qui prit le nom de Idris. Le 24 décembre 1951, le roi Idris Ier proclama l’indépendance du royaume de Libye. La Libye rejoignit la Ligue arabe en 1953 et les Nations unies en 1955.

Le nouvel État bénéficia de l’aide économique et technique de la Grande-Bretagne, de la France et des États-Unis, en contrepartie du maintien de bases militaires dans le pays. De plus, l'influence de l'anglais et du français commencèrent à se faire sentir dans l'administration de la Libye. Toutefois, la découverte des gisements pétroliers, en 1958 et 1959, allait modifier la position libyenne et des négociations pour le retrait des troupes étrangères débutèrent en 1964. La Libye établit des relations diplomatiques avec l’URSS en 1956, mais elle repoussa les propositions d’aide économique de la part des Soviétiques. Afin de répondre aux impératifs liés à la production pétrolière, le fédéralisme fut aboli en 1964.

Puis des tensions se firent rapidement ressentir dans le pays et un climat de mécontentement croissant s'installa, alors que, en même temps, le panarabisme se développait dans le monde arabe, en Egypte avec Nasser. La subordination croissante du pays aux intérêts occidentaux provoqua des émeutes qui furent vite réprimées.

Le 1er septembre 1969 s’ouvrit une ère nouvelle dans l’histoire de la Libye, lorsqu’un coup d'État militaire dirigé par le capitaine Mouammar Kadhafi, alors âgé de 27 ans, renversa la royauté — le roi Idriss était alors en cure thermale en Grèce — et proclama la République arabe libyenne, sans occasionner la moindre effusion de sang. Le gouvernement révolutionnaire, dirigé par Kadhafi, afficha d’emblée un nationalisme intransigeant et exigea l’évacuation immédiate des bases anglo-américaines. En 1970, Kadhafi expulsa les membres de la communauté italienne demeurée en Libye après l’indépendance (1951); quelque 25 000 descendants de colons italiens furent forcés de quitter au plus vite le territoire.

Le régime calqua ses structures sur celles de l'Égypte nassérienne. L’administration, l’éducation et le domaine culturel furent intégralement arabisés. La politique linguistique en fut une d'arabisation et de combat anti-italienne, anti-anglaise, anti-américaine et anti-française. Une ordonnance fut publiée en exigeant que tous les panneaux de signalisation, les plaques des rues, les enseignes des magasins, etc., devaient être rédigés uniquement en arabe. Cette politique d'arabisation atteignit son apogée en 1973, lorsqu'un décret exigea que les passeports des individus cherchant à entrer au pays contiennent toutes les informations personnelles en arabe, une exigence qui fut respectée scrupuleusement. En 1973, les sociétés pétrolières furent toutes nationalisées. Le nouveau dirigeant libyen affirma également sa détermination à jouer un rôle plus important dans les affaires du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord, et se posa en rassembleur du monde arabe et musulman.

Kadhafi publia en 1976 son fameux Livre vert (lien).. Dans cet ouvrage, il faisait ressortir ses idées concernant la démocratie, les problèmes économiques et les bases sociales de «la troisième théorie universelle». Ce livre montrait son opposition à la «démocratie occidentale», qu’il considérait comme une «dictature». Il s’opposa par la violence à toute opposition interne comme à l’extérieur de son pays. Dans le Livre vert, Kadhafi s’opposait à l’enrichissement personnel, puisqu'une telle transformation ne peut se réaliser qu’au détriment d’autres personnes.

En 1977, Kadhafi proclame la Jamahyria, un mot arabe pouvant se traduire par «république des masses». Il mit en place un système de «démocratie directe» à travers les Comités populaires. Dans la pratique, le système politique libyen demeura un couvert par lequel Kadhafi renforça son pouvoir personnel et imposa une certaine dictature. Le régime libyen se radicalisa. Toute opposition ou toute voix tentant d’exprimer des points de vue différents de ceux dictés par le régime de Kadhafi furent réprimées. En 1980, Kadhafi rompit avec l’al-Fatah, la branche armée de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dont il soutint, dès lors, l’aile la plus radicale. D’autres mouvements nationalistes révolutionnaires reçurent l’aide financière et logistique du régime de Kadhafi, au nom d’un anti-impérialisme qui était dirigé en premier lieu contre les États-Unis.

La politique extérieure de la Libye basée sur le panarabisme, la condamnation violente de «l'impérialisme occidental», le soutien aux mouvements indépendantistes à travers le monde et l'intervention dans les pays voisins ne contribuèrent qu'à isoler la Libye de la communauté internationale, car le régime se fit accuser de venir en aide à des organisations terroristes internationales. En décembre 1985 deux attentats, attribués au FCR, sont perpétrés contre la compagnie israélienne El Al à Rome et à Vienne. Ils font respectivement 16 et 4 morts. En avril 1986 un attentat est perpétré contre une discothèque berlinoise fréquentée par des soldats américains (3 morts). La Libye est soupçonnée d’en être le commanditaire. Kadhafi devint le paria de la planète. Le président égyptien, Anouar el-Sadate, l'a traité de «voisin fou»; le président des États-Unis, Ronald Reagan, l'a qualifié de «chien enragé».

Dix jours après l'attentat contre la discothèque de Berlin, les États-Unis menèrent une attaque aérienne sur la Libye pour tenter d'atteindre Kadhafi lui-même; cette attaque fit une centaine de victimes. Bien que les raids américains provoquèrent d’importants dégâts et firent de nombreuses victimes, ils ne suscitèrent que des protestations formelles de la part des pays arabes et de l’Union soviétique. Par ailleurs, la Libye fut de nouveau accusée par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France d’être impliquée dans deux attentats aériens contre des avions de ligne, l’un américain de la PanAm qui explosa en vol en 1988, au-dessus de Lockerbie (en Écosse), l’autre français d'UTA qui s’écrasa dans le Ténéré en 1989. En 1992, un embargo aérien et militaire fut décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui élargit ainsi l’embargo décrété unilatéralement par les États-Unis en janvier 1986.

Au plan intérieur, le colonel Kadhafi s'en prit aux Berbères de son pays. Tous les militants et porte-parole berbères furent arrêtés, emprisonnées ou liquidés. En juin 1985, un jeune Berbère, Ferhat Ammar Hleb, fut pendu sur la place publique dans sa ville natale (Zouara). Il avait étudié aux États-Unis et était reconnu pour ses positions favorables à la cause berbère. Le régime libyen l’accusa d’avoir des contacts avec des opposants libyens aux États-Unis et le condamna à la pendaison. La langue berbère fut interdite en public, les livres rédigés en berbère furent brûlés. Les militants berbères, comme tous les opposants, furent poursuivis jusque dans l’exil où ils se faisaient assassinés par les agents des services secrets du régime libyen. Kadhafi interdit l'enseignement de toute langue étrangère.

À la fin de la décennie quatre-vingt, le régime de Kadhafi dut faire face à l’opposition des mouvements islamistes, dont le plus célèbre, les Frères musulmans. Afin de contrecarrer la montée de l’islamisme, le régime libyen adopta la Charia comme fondement du droit libyen, en 1994, tout en menant une sévère répression contre les Frères musulmans. Kadhafi déclara que la langue parlée autorisée au paradis est celle de l'islam. Le colonel utilisa habilement la menace islamiste pour obtenir la coopération des autorités égyptiennes et des pays arabo-musulmans, dont de nombreux ressortissants résidaient et travaillaient en Libye et étaient susceptibles d’en être expulsés, comme des dizaines de milliers d'Égyptiens et de Soudanais l'ont été en 1995.

Afin de rompre l'isolement de son pays, le colonel Kadhafi multiplia aussi les voyages dans les pays de la zone sahélienne (Niger, Nigeria), annonça la reprise des investissements libyens au Soudan et au Mali et renoua avec le Tchad. De plus, il reçut l’appui du président sud-africain, Nelson Mandela qui, en visite en Libye, en octobre 1997, critiqua l’embargo des Nations unies et réclama son arrêt. En juin 1998, l’OUA décida de lever unilatéralement l’embargo aérien imposé à la Libye.

En juin 2003, Mohammed Kadhafi, le «guide de la Révolution», annonçait sa volonté de privatiser les entreprises qu’il avait lui-même nationalisées en 1969, notamment celles qui gèrent le pétrole, principal revenu du pays. L’abolition des entreprises publiques répondait à une volonté affichée d’assainir et de développer l’économie nationale. Kadhafi a accusé la fonction publique libyenne d'«irresponsabilité», accusant les fonctionnaires d’avoir perdu des milliards de dollars par manque d’expertise, de moralité et de patriotisme. Il estimait qu’ils avaient fait courir à l’économie de graves dangers qu'il fallait dorénavant éviter. En novembre 2004, le président libyen, Mohammed Kadhafi, annonçait qu'il désirait voir la peine de mort abolie dans son pays. Il précisait, devant une assemblée de juges, d’avocats et d’universitaires, que cette décision n’était en rien motivée par des pressions extérieures. Depuis un certain temps, des firmes américaines et italiennes arrivent à décrocher des contrats avec la Libye, comme quoi elles ont réussi à «plaire» au «guide de la Révolution». Kadhafi poursuivit ses rêves : il voulut fédérer les État du Sahara et unir les pays arabes dans une grande union panarabe. Mais tous ces projets on échoué.

Le régime se prépara à s'ouvrir au domaine très lucratif du tourisme. Il fallait aussi que le régime révise sa politique d'arabisation à tout crin et fasse des compromis avec la langue anglaise. Kadhafi affirma alors que William Shakespeare est en fait un Arabe qui s'appelait «Cheikh Spir». Heureusement, il y a longtemps que les Libyens se fichent pas mal des élucubrations de leur leader et ne se font plus d'illusions. Le côté fantasque et imprévisible du «guide de la Révolution», ses tirades à l'emporte-pièce lui ont aliéné bien des gens, y compris ses voisins arabes. Si le «guide spirituel» est en quête d'un monde meilleur, c'est uniquement pour lui-même et son clan.

Jusqu'à présent, l'ouverture extérieure du régime ne s'est nullement accompagnée de nouvelles libertés pour les Libyens. Et Mohammed Kadhafi continue d'affirmer que les Libyens jouissent d'une «forme pure de démocratie», alors que les systèmes parlementaires occidentaux ne seraient, en réalité, que des «dictatures déguisées». Son fils, Seïf al-Islam Kadhafi, qui se veut un réformateur, est pressenti pour lui succéder. Mohammed Kadhafi se déplace entouré d'un groupe de femmes armées — ses «amazones» — et aime planter sa tente de Bédouin là où il va, même en visite officielle comme à Paris en 2007 (voir lien à gauche).

La visite de Kadhafi à Paris en 2007 faisait suite à la crise des "infirmières bulgares" dont la France assura le dénouement en juillet 2007 avec comme acteurs principaux le secrétaire de l'Elysée Claude Géant et Cécilia Sarkozy épouse du président. Dans sa campagne présidentielle NS avait promis de faire de la libération des infirmières bulgares incarcérées en Libye "une priorité". La libération avait pour contre partie pour Kadhafi une visite d'État en France qui devait lui permettre d'affirmer son honorabilité de chef d'État respectable adoubé par la communauté internationale pour les juteux contrats - dont dans le nucléaire, le pétrole, les armements et autres projets d'infrastructures. La vente d'armes par la France à la Libye ne date pas de la période Sarkozy. Dès la prise de pouvoir de Mouammar Kadhafi, en 1969, Paris lui a vendu des avions mirage. Seule la période d'embargo ONU contre Tripoli, entre 1989 et 2003, a stoppé ce commerce; mais il a été repris dès 2004 sous Jacques Chirac. Cette visite se déroula en décembre 2007 et suscita bien des critiques à gauche et par la secrétaire d'État aux droits de l'homme. La France espérait des ventes de centrales nucléaires et d'avions Rafale, mais celles-ci ne se sont pas concrétisées. (lien).

L'économie libyenne est une économie de rente basée sur une activité principale, l'extraction du pétrole (lien).. La Libye possède 3.3% des réserves mondiales de pétrole estimées et produit environ 2% de la production mondiale de 80 millions de barils/jour (chiffres 2009) (lien); les réserves de gaz naturel sont insignifiantes. Cinquante compagnies internationales se partagent l'exploitation du pétrole dont Total. La Libye a aussi des capacités de raffinage 0.38Mb/j (lien) dont une partie est exportée.

La Libye est aussi un producteur de minerai de fer par la voie de la réduction directe (1.7Mt de fer de rédction directe par le procédé Midrex minerai de fer enrichi pour permettre la production d'acier au four électrique) et d'acier 1.24Mt en 2008 au four électrique pour la production de fil, produits longs et produits plats - complexe de Misurata. Voir les données sur l'ensemble du secteur minier en 2008, source USGS (lien). Misurata est la 3è ville de Libye et a été l'objet de combats entre les insurgés et les forces loyales à Kadhafi le 2 mars 2011 (liens).

Le «guide de la Révolution» libyen est au pouvoir depuis 1969, ce qui en fait le doyen des dictateurs du monde. Mais le régime du colonel Kadhafi est de plus en plus contesté par la population. À l'instar de la Tunisie et de l'Égypte début 2011, les Libyens manifestent contre le régime depuis février 2011. À la télévision, Kadhafi a déclaré qu'il ne cèderait pas, ne démissionnerait pas et ne tendrait pas l'oreille à ses opposants. Au besoin, il n'hésitera pas à employer la force et menace ses opposants d'une riposte sanglante: «Rendez vos armes immédiatement, sinon il y aura des boucheries.» Kadhafi n'a pas de «poste officiel», il est le chef suprême de la Révolution. L'ampleur de la répression devrait dépendre de la loyauté de l'armée envers le dictateur. Si l'armée décide de ne plus l'appuyer, il tombera. La chute apparaît de plus en plus imminente, le «prophète» n'est plus écouté. Le «guide suprême» est prêt à tout saccager avant de couler.

Mis en ligne le 08/12/2010 Suivez moi aussi sur: