Soixante-dix Asiatiques auraient peuplé le Nouveau Monde

par Bruce Bower; Science News

Qui sont les ancêtres communs des peuples amérindiens ? Combien étaient-ils lorsqu’ils traversèrent le détroit de Béring ? A quelle date l’ont-ils fait ? Un chercheur américain donne des réponses surprenantes.

En utilisant un programme de simulation des migrations humaines préhistoriques, Jody Hey, généticien à l’université Rutgers, à Piscataway, New Jersey, est arrivé à la conclusion que seuls 200 à 300 individus auraient emprunté le détroit de Béring lors de la dernière glaciation pour quitter l’Asie et devenir les premiers habitants de l’Amérique du Nord. Et ce n’est pas tout : ce groupe de pionniers n’aurait compté que 70 adultes en âge de procréer.

Hey est parvenu à ce nombre, qui surprend par sa petitesse, après avoir analysé l’ADN d’Asiatiques et d’Amérindiens d’aujourd’hui. Il s’est servi de neuf séquences d’ADN bien précises comme points de référence et en a déduit les caractéristiques et les déplacements de cette ancienne peuplade dont faisaient partie les “pères et mères fondateurs” de l’Amérique. “Tout porte à croire que le groupe qui a fait le premier voyage depuis l’Asie jusqu’au Nouveau Monde avait à peu près la taille d’une tribu”, affirme le généticien, dont les découvertes ont été publiées dans le magazine PLoS Biology au mois de juin.

L’étude des populations anciennes se fait à partir d’échantillons d’ADN prélevés sur des hommes modernes, dont on compare certaines zones qui semblent avoir échappé à la sélection naturelle [en général, des zones qui ne comportent pas de gènes codants] et où les mutations aléatoires se sont donc probablement accumulées à un rythme régulier. Les reconstitutions de la taille de la population initiale du Nouveau Monde faites jusqu’à présent se fondaient sur des séquences uniques, situées soit dans l’ADN mitochondrial [des organites présents dans toutes les cellules et qui possèdent leur propre ADN, de taille très réduite], transmis exclusivement par la mère, soit sur le chromosome Y, transmis uniquement de père en fils. Selon ces estimations, le nombre des nouveaux venus sur le continent américain se serait situé entre une centaine et un millier d’adultes en âge de procréer.

Jody Hey, en revanche, a utilisé des données déjà disponibles et a comparé les divergences présentes à la fois dans une séquence unique d’ADN mitochondrial et dans 8 fragments d’ADN répartis sur plusieurs chromosomes nucléaires [parmi les 46 de l’être humain]. Les données concernant chacune des séquences génétiques provenaient de personnes originaires d’Asie du Nord-Est et d’un nombre équivalent de locuteurs de langues amérindes, le plus ancien des trois grands groupes de langues parlées par les Indiens d’Amérique (entre 5 et 50 personnes selon les gènes). Hey a introduit les données dans un programme informatique qui a comparé les millions de scénarios qui auraient pu donner lieu aux différences génétiques entre les populations, retenant les plus probables.

D’après son analyse, entre 200 et 300 individus seraient arrivés dans le Nouveau Monde à une époque comprise entre – 14 000 et – 7 000 ans. Ils venaient d’une peuplade asiatique approximativement cent fois plus nombreuse. Les généticiens estiment que toute population comporte un tiers d’adultes en âge de procréer. La date à laquelle Hey situe la migration est plus récente que dans d’autres estimations, selon lesquelles elle aurait eu lieu entre – 20 000 et – 16 000 ans.

Michael F. Hammer, généticien à l’université d’Arizona, à Tucson, estime que l’approche adoptée par Hey représente “un grand pas en avant”. Ses résultats confirment l’idée que le continent américain a été colonisé par des populations de taille réduite et isolées. Pour Theodore Schurr, généticien à l’université de Pennsylvanie, à Philadelphie, il s’agit d’“un travail solide, et pionnier”.

Toutefois, selon lui, les analyses de séquences d’ADN provenant de groupes plus importants d’Asiatiques et d’Amérindiens pourraient déboucher sur des conclusions différentes. David Meltzer, archéologue à l’Université méthodiste du Sud, à Dallas, souligne pour sa part que, depuis la quatrième période glaciaire, seul un nombre limité d’individus ont peuplé les rudes terres de l’Asie du Nord-Est. “Qu’on me dise que la population fondatrice [du Nouveau Monde] ait été constituée de 70 personnes environ ne me surprend pas du tout”, affirme-t-il.