Les Anthropoïdes Éocènes
 

40 millions d'années avant l'Australopithèque

  L'Homme appartient à l'ordre des Primates, les anthropoïdes actuels sont les singes d'Amérique du Sud (ouistitis, allèles) d'Afrique (macaques, chimpanzés, gorilles) et d'Asie (orangs-outans, gibbons). Où sont les fossiles des ancêtres des Anthropoïdes ? L'hypothèse asiatique …
   
 

Les origines de l'homme remontent en fait aux origines du groupe des primates auquel il appartient, et plus précisément à l'apparition des anthropoïdes, représentés actuellement par les singes d'Amérique du Sud (ouistitis, atèles), d'Afrique (macaques, chimpanzés, gorilles) et d'Asie (orangs-outans et gibbons).

C'est au début des années 1960 qu'ont été découverts en Egypte par l'équipe de E.L.Simons (Duke University, USA) les premiers restes de primates qui peuvent être apparentés aux lointains ancêtres de l'homme ; Depuis, une vingtaine d'espèces différentes âgées de -37 à -32 millions d'années a été trouvée en Afrique du Nord. La plupart de ces formes appartient au groupe des anthropoïdes. Parmi elles, Aegyptopithecus et Catopithecus sont parmi les mieux connus, car représentés par des restes dentaires et crâniens assez complets. Longtemps considéré comme un lointain ancêtre potentiel de l'homme, Aegyptopithecus serait peut-être en fait une branche isolée apparentée à des formes semblables aux babouins et autres macaques…

Depuis, plusieurs fossiles contemporains et de morphologie assez proche de celle des formes égyptiennes ont été découverts au Sultanat d'Oman, et il faut y ajouter quelques restes très fragmentaires trouvés en Algérie et en Tunisie. Ces derniers sont toutefois plus anciens (environ -45 millions d'années) ; mais ils appartiennent à des primates plus petits et dont les affinités avec les formes d'Egypte et d'Oman ne sont pas claires. Le nombre et la diversité de ces découvertes étaient donc jusque très récemment en faveur d'une origine et d'une évolution africaines des anthropoïdes.

Cependant, depuis 1994 les découvertes de primates anthropoïdes fossiles se multiplient dans les sédiments éocènes d'Asie… En effet, c'est à cette époque que la découverte en Chine orientale des restes d'Eosimias, un petit primate vieux de 45 millions d'années attribué à une branche très primitive des anthropoïdes par l'équipe de C. Beard (Carnegie Museum, Pittsburgh, USA) a relancé le débat d'une origine africaine ou asiatique du groupe.

 
 

Vue générale du site de Krabi au sud de la Thaïlande : des affleurements de lignite (gris foncé) sont recouvers par des sédiments lacustres et fluviatiles (sables et argiles, plus clairs).
© Cnrs

 

 

L'appartenance d'Eosimias aux anthropoïdes a même été âprement discutée par de nombreux spécialistes à cause de son aspect très primitif. Mais en 1993, une équipe de Montpellier dirigée par Jean-Jacques Jaeger retrouve les restes d'un petit primate inédit, Bahinia pondaugensis, dans le célèbre site de Pondaung au Myanmar (ex-Birmanie). Ce nouveau venu possède tous les caractères dentaires permettant de le placer au sein des anthropoïdes, et qui plus est, il appartient à la même famille que Eosimias. Ces fossiles chinois et birmans sont particulièrement importants puisqu'ils contribuent à proposer une origine du sous-ordre des anthropoïdes au sein de la famille des Tarsiidae, et de mieux comprendre la façon dont ont évolué les anthropoïdes primitifs. Mais surtout, la morphologie particulière de ce petit singe birman associant des caractères d'anthropoïdes et des aspects très primitifs nous apprend que l'origine des anthropoïdes pourrait bien remonter à au moins 55 millions d'années !

Jusque très récemment, seules deux formes de grande taille étaient connues (Pondaungia et Amphipithecus), et ce de façon très fragmentaire, dans les mêmes niveaux paléogènes continentaux de 40 millions d'années du Myanmar qui ont livré Bahinia. Le statut anthropoïdien de ces fossiles, jusqu'à présent très controversé au sein de la communauté scientifique, a pu être confirmé par la découverte récente de nouveaux spécimens plus complets appartenant aux deux genres birmans.

Mais l'épopée asiatique se poursuit avec en 1997 la description par l'équipe de Jaeger de Siamopithecus eocaenus, un anthropoïde vieux de 35 millions d'année du Sud de la Thaïlande. Celui-ci présente beaucoup de similitudes avec Pondaungia de Birmanie, mais également avec Aegyptopithecus du Fayoum, et une autre espèce fossile apparentée de l'Oligocène de Sultanat d'Oman. Ces ressemblances morphologiques qui traduisent également des affinités phylogénétiques ont amené Jean-Jacques Jaeger et son équipe montpelliéraine à proposer une phylogénie dans laquelle Siamopithecus et les formes birmanes constituent un groupe monophylétique à l'origine des Catarhiniens (cercopithèques et hominoïdes).

 
Mandibule de Siamopithecus en vus latérale. La mâchoire inférieure du fossile de ce primate anthropoïde provient de la couche de lignite du site Krabi (Thaïlande).
© Cnrs
 
 

Les primates fossiles de Chine (Eosimias), de Thaïlande (Siamopithecus) et du Myanmar (Pondaungia, Amphipithecus et Bahinia) apportent ainsi la preuve indiscutable que le groupe des anthropoïdes a bien subi une évolution et une radiation importante en Asie du Sud dès l'Eocène moyen. La présence dès cette époque en Asie du Sud-Est, de primates anthropoïdes de grande taille et dont la morphologie dentaire était déjà significativement dérivée par rapport à celle des formes contemporaines nord-africaines et chinoises suggère qu'un groupe distinct de primates anthropoïdes a très certainement évolué dans une province correspondant au moins à l'actuel Myanmar et la Thaïlande. En effet, Amphipithecus, Pondaungia et Siamopithecus, regroupés dans la famille des Amphipithecidae, se caractérisent par un raccourcissement de la rangée des prémolaires (donc de la face) contrairement aux primates de l'Eocène et de l'Oligocène inférieur d'Afrique, ce qui les place très probablement à l'origine des formes anthropomorphes qui apparaîtront plus tard en Afrique et en Eurasie. Ces découvertes inédites confirment donc que l'Asie du Sud-Est, et en particulier le Myanmar et la Thaïlande, représente une région clé contribuant à mieux comprendre l'origine et l'évolution des anthropoïdes et des hominoïdes actuels. Mais elles démontrent aussi que si l'ancêtre direct de l'homme doit être recherché en Afrique, son lointain ancêtre, lui est très certainement asiatique. L'histoire évolutive des grands singes serait donc plus complexe qu'on ne le pense. Mais il est maintenant certain que l'Asie du Sud-Est a joué un rôle clé dans l'origine et l'évolution des anthropoïdes.

Jean Jacques Jaeger


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