30 avril 2014 – La crise ukrainienne continue à se développer sans que rien ne puisse sembler contrecarrer ce mouvement. Il y a une puissante logique dans le rangement et les corrélations des divers événements en cours, pour que cette crise évolue vers un paroxysme dont l’issue aurait de fortes chances d’être absolument décisive pour la crise générale du Système et de notre civilisation.
M. Porochenko propose la paix mais est en guerre
Le président ukrainien Petro Porochenko (à gauche), dans une base militaire proche de Sloviansk, vendredi 20 juin.
MYKHAILO MARKIV/AP
Moscou Correspondante Marie Jégo
Le président ukrainien a annoncé un cessez-le-feu unilatéral d'une semaine dans l'Est, où les combats redoublent
C'est à Slavianogorsk, en pleine zone de combats entre les séparatistes et l'armée ukrainienne, que le président ukrainien Petro Porochenko est venu en personne, vendredi 20 juin, exposer son plan de paix en 15 points. Il est assorti d'un cessez-le-feu unilatéral, valable une semaine seulement, " jusqu'au 27 juin ", a prévenu M. Porochenko.
Le plan invite les rebelles à déposer les armes, à cesser leur occupation illégale des bâtiments de l'administration régionale à Donetsk et à Louhansk et à libérer les otages. En échange, les séparatistes seront amnistiés et pourront quitter les lieux grâce à des " couloirs de sortie " vers la Russie. Kiev ambitionne à long terme un démarquage unilatéral de sa frontière orientale, ce qui suscite l'ire de Moscou. Depuis l'effondrement de l'URSS en 1991, le tracé frontalier entre les deux pays (2 300 kilomètres) n'a jamais été effectué.
Le plan comporte un volet politique – promesse d'organiser des élections régionales et de mieux protéger la langue russe – et économique (création d'emplois, décentralisation budgétaire). Pour Kiev, en passe de signer l'accord d'association avec l'Union européenne le 27 mai, il est primordial de faire cesser les combats dans l'Est, responsables de la mort de 370 personnes depuis avril.
Dans la nuit de jeudi 19 à vendredi 20 juin, Petro Porochenko a pris soin d'informer par téléphone son homologue russe Vladimir Poutine de son plan de paix. Il lui a également présenté ses condoléances pour la mort de deux journalistes de la télévision russe, Igor Korneliouk et Anton Volochine, fauchés par un tir de mortier à Sloviansk le 17 juin. Le maître du Kremlin a insisté pour sa part sur la nécessité d'ouvrir le " dialogue " avec les séparatistes.
Plus que jamais, Moscou souffle sur les braises. Le 18 juin, des dizaines de milliers de soldats russes ont été redéployés dans les régions de Rostov et de Belgorod, le long de la frontière orientale de l'Ukraine, une semaine après leur retrait. Un déploiement confirmé mercredi 18 juin par Sergueï Choïgou, le ministre russe de la défense, interrogé par les députés de la Douma lors d'une entrevue à huis clos.
" Une question lui a été posée sur la capacité de notre armée à défendre la patrie dans un contexte international tendu. Il a dit que les soldats étaient bien préparés ", a expliqué à la presse le député Mikhaïl Emelianov (Russie juste). La direction russe " se prépare à tous les scénarios ".
Le plan de paix annoncé par le président ukrainien n'a pas l'heur de plaire à Moscou. " Il y manque l'ingrédient essentiel : une offre de négociations ", a fait savoir le Kremlin dans un communiqué. Trouver une solution rationnelle au conflit, qui fait rage en Ukraine et menace son intégrité, n'est pas la priorité de l'élite politico-militaire russe.
Sur le terrain, les rebelles ne veulent pas du plan. " Nul ne déposera les armes sans un retrait complet de l'armée de notre territoire ", a déclaré Valeri Bolotov, le " gouverneur " autoproclamé de la région de Louhansk.
Les combats ont redoublé d'intensité ces derniers jours, causant la fuite de 13 500 civils selon l'ONU, 400 000 selon Moscou, qui promet de leur distribuer des passeports de la Fédération de Russie, une offre présentée par Sergueï Ivanov, le chef de l'administration présidentielle.
Militaires et rebelles semblent peu concernés par les décisions prises à Kiev. Equipés de blindés, les séparatistes prorusses ont récemment attaqué la base militaire ukrainienne d'Artemievsk dans la région de Donetsk. Sept militaires ukrainiens et 300 rebelles ont été tués lors d'une embuscade, mercredi 18 juin, non loin de Sloviansk, où les positions des séparatistes sont bombardées par l'aviation ukrainienne.
Pris de court par l'offensive, " les Cosaques, en quittant leur campement, ont eu le temps de miner un des ponts qui mène à Louhansk ", a expliqué au MondeViktor Vodolatski, député russe pro-Kremlin Russie et ataman (chef) des Cosaques du Don. D'après lui, la " fraternité " cosaque fonctionne à plein. Venus" de 38 pays différents ", les volontaires cosaques " arrivent de toute l'Europe en tant que touristes par un vol Berlin-Kiev ", précise-t-il.
Alors que les chefs séparatistes russes Denis Pouchiline et Alexandre Borodaï ont été reçus à Moscou par Vladislav Sourkov, l'éminence grise de M. Poutine pour les régions irrédentistes (Ossétie du Sud, Abkhazie, Transniestrie, est de l'Ukraine), le renfort en volontaires et en matériel russes s'est intensifié.
Non seulement les séparatistes sont désormais équipés de chars T-64 mais des lance-missiles portatifs sol-air de type Igla ont été utilisés par les rebelles pour abattre un avion militaire de transport avec 49 personnes à bord (40 conscrits et 9 membres d'équipage), samedi 14 juin.
Pressé par les Occidentaux de calmer le jeu avec Moscou, le président ukrainien Petro Porochenko propose donc la paix tout en durcissant le ton. Lors d'une réunion de son Conseil de sécurité et de défense, lundi 16 juin, il a déclaré le gel de la coopération militaire avec la Russie.
L'Ukraine fabrique de nombreux composants pour l'industrie militaire russe, entre autres pour le missile balistique intercontinental Topol-M, considéré comme le fleuron de l'armée russe et dont certaines pièces sortent de l'usine Arsenal de Kiev. L'usine Motor Sitch de Zaporoje produit, pour sa part, les moteurs de certains hélicoptères tandis que la holding Ioujmach fabrique à Dniepropetrovsk des composants pour le missile R-36 Voïevoda. Sans parler des sociétés de fret maritimes d'Odessa, qui assurent le transfert des armes exportées vers la Syrie, l'Iran, l'Afrique et tous les clients du " complexe militaro industriel " russe.
" Tout ce qui est nécessaire au VPK - le complexe militaro-industriel russe - devra être produit en Russie (…). Nous nous sommes trop reposés sur l'Ukraine (…) Il nous faudra entre deux ans et demi et trois ans pour y parvenir ", a prévenu Dmitri Rogozine, le vice-premier ministre russe en charge du VPK.
La Russie s'expose à de nouvelles sanctions occidentales si elle continue de soutenir les rebelles, ont prévenu vendredi les présidents américain et français, Barack Obama et François Hollande, ainsi que la chancelière allemande Angela Merkel. " Faute de progrès en ce sens, de nouvelles mesures seraient adoptées à l'encontre de la Russie ", dit un communiqué de l'Elysée.